Cinq solutions pour guérir le médicament

Il y a deux mois, je vous avais promis un post de solutions pour le secteur pharmaceutique. Le voici.

Rappelons le problème (et relisez le post précédent): il faut de fortes incitations à créer des médicaments nouveaux et efficaces, et cela coûte cher. Mais nous voulons aussi que ces médicaments soient le plus accessibles et disponibles possible. Le système actuel est cassé. Voici quelques pistes pour le réparer, présentées sans ordre particulier.

1Publier tous les essais cliniques

Cette première idée est la plus technique, celle qui semblera la plus aride. C'est pourtant celle qui a le plus de potentiel. Elle part du constat suivant: actuellement, toutes les études scientifiques sur l'effet des médicaments et traitements ne sont pas publiées. On estime qu'environ la moitié des essais cliniques effectués ne donnent lieu à aucune diffusion ou publication.

Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c'est le biais de publication : les revues scientifiques publient plus volontiers des études aboutissant à un résultat positif que des études infructueuses (du genre, j'ai testé telle molécule contre telle maladie, et ça n'a rien donné). La seconde est la pression économique qui s'exerce sur les laboratoires pharmaceutiques. Développer un médicament coûte très cher, et imaginez qu'un chercheur employé par un laboratoire, qui vient de passer des années à développer une nouvelle molécule, fasse plusieurs essais pour la tester, et constate qu'elle ne semble pas efficace dans certains des essais. Il risque d'être tenté (souvent, sans malhonnêteté consciente, simplement parce qu'il croit à son médicament et qu'il est fortement incité à son succès) de penser que les essais infructueux sont des erreurs et que seuls comptent les résultats positifs.

Mais cela pose un problème. Supposons que je vous dise que je suis un magicien, que quand je joue à pile ou face j'obtiens toujours pile: et qu'à l'appui de mes dires je ne vous présente que les essais dans lesquels j'ai obtenu pile en lançant une pièce, je vous arnaque. C'est la même chose en médecine : il est possible que sur un grand nombre d'essais cliniques d'un médicament inefficace, certains montrent une certaine efficacité, simplement par hasard. Ou alors que par hasard on trouve le médicament efficace mais pour certaines sous-catégories de population (les jeunes, les vieux, les femmes, etc). Si on ne publie que ceux qui ont eu un résultat positif on fausse totalement l'évaluation du médicament. A cause de ce problème, selon John Ioannidis, il est probable que plus de la moitié de la recherche publiée soit fausse. Cela conduit au développement et à la prescription de médicaments peu efficaces, ou aux divers scandales sanitaires des dernières années, comme celui du vioxx.

Une solution à ce problème est la suivante : créer un registre mondial des essais cliniques. A chaque fois qu'un essai est lancé, le laboratoire ou le chercheur doit aller décrire son expérience dans ce registre. Les autorités sanitaires, pour autoriser un médicament, n'acceptent que les études qui ont été préalablement inscrites dans ce registre. Ainsi, quand une étude donne un résultat positif, on peut directement aller voir combien d'études ont été faites pour cela.

Chances de se produire : 6/10. L'initiative alltrials vise à constituer un tel registre des essais, avec pour le moment des résultats mitigés. La compagnie pharmaceutique GlaxoSmithKline a annoncé il y a quelques années vouloir rendre publiques les données de ses essais cliniques. Pour l'instant, cette initiative est trop peu prise en compte par les autorités sanitaires. Mais à force, cela pourrait venir.

2Réformer la propriété intellectuelle

Le système actuel de protection de la propriété intellectuelle est très critiqué par les économistes. Loin d'inciter à l'innovation, il semble qu'il la paralyse et conduise à des économies bloquées par les rentes de monopole. Certains vont jusqu'à préconiser la disparition totale des brevets. Sans aller jusque là, d'autres proposent de réformer drastiquement le régime actuel de propriété intellectuelle.

Paradoxalement, il est possible qu'aujourd'hui, la durée des brevets pharmaceutiques soit en pratique... trop courte. Entre le dépôt d'un brevet et la mise sur le marché d'un médicament, de nombreuses années s'écoulent pendant lesquelles le laboratoire qui a déposé le brevet mène les essais nécessaires à obtenir l'agrément des autorités sanitaires nationales. En pratique de ce fait, pour un brevet de 20 ans, le laboratoire ne pourra vendre son produit en monopole que pendant 12 ans. Cela a plusieurs conséquences. Premièrement, cela ajoute à la pression pour obtenir rapidement des évaluations favorables des médicaments (voir le point précédent). Deuxièmement cela pousse les laboratoires, pour couvrir leurs coûts, à tarifer leurs médicaments à des prix très élevés pendant la période de validité du brevet.

Plusieurs solutions sont possibles. La première consisterait à accorder un brevet pharmaceutique spécial, qui garantisse une durée de monopole pour le médicament seulement après son autorisation de mise sur le marché. De la sorte le laboratoire n'est pas tenté de précipiter les évaluations de sa molécule pour en accélérer l'agrément. La seconde consisterait à permettre d'obtenir une extension de brevet si, à l'expiration de celui-ci, le laboratoire peut apporter la preuve que ses profits n'ont pas suffi à couvrir ses coûts.

Chances de se produire: 5/10. La réforme de la propriété intellectuelle est préconisée par les économistes et certains juristes spécialisés, mais les politiques semblent plutôt écouter les lobbyistes des entreprises et ont tendance à renforcer exagérément la propriété intellectuelle plutôt que la réformer. Mais les mentalités et les politiques peuvent évoluer.

3réglementer sévèrement le marketing médical

Autant dans de nombreux domaines, le marketing joue un rôle d'information auprès des consommateurs, il est douteux et anormal qu'il soit la source d'informations des médecins sur les médicaments. Les médecins sont des professionnels hautement qualifiés qui devraient s'informer auprès de la littérature scientifique, ou de revues indépendantes, et pas lorsqu'un visiteur médical vient leur présenter les produits du laboratoire qu'il représente. En France le marketing médical est très réglementé, mais il l'est moins dans de nombreux pays.

Chances de se produire : 3/10. Beaucoup d'intérêts en jeu, et peu de gouvernements auraient envie de mettre au chômage des visiteurs médicaux, des emplois bien payés et qualifiés.

4Passer des accords de réciprocité internationaux

Si l'on fait abstraction des dimensions qui mettent fin à la démocratie, il y a quelques bonnes idées dans les traités comme le TPP ou le traité transatlantique (appelé TAFTA par ses adversaires et TTIP par les experts du sujet). En particulier celle de réciprocité réglementaire internationale. L'idée est simple : Si un médicament est autorisé par les administrations sanitaires d'un pays dont les règles sont considérées comme aussi sûres que les nôtres, il est automatiquement autorisé chez nous.

Si vous suivez l'actualité des scandales du secteur pharmaceutique, vous avez entendu parler de Martin Shkreli qui a augmenté le prix d'un médicament pour les malades du SIDA de 5400%; du prix devenu prohibitif des injecteurs Epipen, ou de Valeant dont le business model semble essentiellement dépendre de sa capacité à arnaquer le système de santé américain en faisant grimper le prix de ses produits. Dans chacun de ces cas, la hausse des prix sur le dos des assurances-santé ou des systèmes publics n'a pas été rendue possible par des brevets, mais par la réglementation américaine qui n'homologue qu'un nombre de sites de production très restreint et ne permet pas d'importer les mêmes produits depuis des usines acceptées par les régulateurs européens ou canadiens.

Ces restrictions réglementaires renchérissent le coût de production des médicaments et conduisent à de nombreux gaspillages. Supposez que dans une usine pharmaceutique il y ait deux entrepôts mais un seul homologué par les USA (l'autre étant identique); si un manutentionnaire maladroit stocke des produits pour les USA dans le mauvais entrepôt, l'ensemble est bon pour la poubelle. Des accords de réciprocité permettraient de réduire le coût des médicaments de manière significative et d'amplifier la concurrence entre producteurs.

Chance de se produire : 6/10. Le TTIP est en fâcheuse posture et la tendance n'est pas tellement favorable à ce genre de grand accord. Notez bien qu'un grand traité incluant tout un tas de choses sans rapport avec le commerce international n'est pas nécessaire pour mettre en place de tels accords de réciprocité. Et que les affaires de prix élevés aux Etats-Unis pourraient conduire à des évolutions dans ce pays. 

5Créer des fonds pour rémunérer la création de médicaments

Le système fondé sur la propriété intellectuelle et les brevets n'est pas le seul moyen de financer la création de nouveaux médicaments. Depuis des siècles, on finance l'innovation en créant des prixrécompensant les inventeurs, ou on subventionne directement la recherche. La France sous Napoléon a ainsi payé l'inventeur de la boîte de conserve pour qu'il cède son invention sans brevet; il a aussi financé la recherche et le développement du sucre de betterave.

Ce mécanisme se développe de plus en plus pour le développement de médicaments. Il est à la base du GAVI, l'organisme international qui finance le développement de la vaccination pour les pays pauvres. En 2005, un parlementaire américain à l'époque peu connu, un certain Bernard Sanders, a proposé la création d'un fond, alimenté à hauteur de 0.5% du PIB américain, qui servirait à payer les entreprises pharmaceutiques pour qu'elles renoncent à leurs brevets sur les médicaments, afin que le prix de ceux-ci descende rapidement. Un fond mondial pour les antibiotiques serait en pratique la seule solution durable pour éviter la catastrophe que serait leur disparition.

Chance de se produire : 8/10. De tels fonds existent déjà, il suffit d'en élargir, d'en généraliser l'usage. Problème : cela coûte cher et les gouvernements ne sont guère incités à se lancer dans ces projets de long terme.

Conclusion

Le secteur pharmaceutique, après avoir été vu par le public comme un sauveur, n'a plus bonne presse. Il est perçu comme cupide, cherchant à fourguer des médicaments d'efficacité douteuse auprès du public, au frais du contribuable. Mais plutôt que de se plaindre tout en laissant les choses en l'état, s'arrêter à une critique superficielle de Big Pharma, son marketing et ses profits, il serait préférable de pousser concrètement à l'amélioration du secteur. Ce ne sont, comme vous pouvez le voir, pas les idées qui manquent.