Ce matin, La moitié des écossais est déçue, l'autre moitié soulagée: le non l'a emporté au référendum sur l'indépendance. Cela ne clôt pas l'histoire pour autant. C'est que ce référendum est au coeur d'une tendance forte de notre époque: la fragmentation des nations existantes en entités toujours plus petites. Il y avait 74 nations indépendantes en 1945, contre 197 aujourd'hui. Et les candidats sont nombreux. Rien que dans l'Union Européenne, la Flandre, l'Italie du Nord, ou la Catalogne ont des partis autonomistes puissants qui pourraient l'emporter.

L'analyse économique de la taille des nations

De nombreuses disciplines se sont intéressées aux déterminants de la taille des nations, à commencer par Platon dont la Cité Idéale devait être composée d'exactement 5040 familles. La grandeur et la décadence des grands empires est l'un des sujets de prédilection des historiens. Les économistes aussi, ont leurs théories de la taille des nations, déjà abordées ici. L'idée est la suivante, fondée sur une approche coût-bénéfice.

Il y a d'un côté des avantages à la grande taille pour un pays, reposant sur les économies d'échelle. Les entreprises nationales sont plus performantes si elles ont accès à un marché plus étendu. De la même façon, les services fournis par l'Etat gagnent à être fournis au plus grand nombre; il ne faut pas 10% de policiers et de juges de plus lorsque la population d'un pays augmente de 10%; la dissuasion nucléaire française ne coûte pas plus cher lorsque la population croît. Mais si la grande taille n'offrait que des avantages, il n'y aurait qu'un seul Etat mondial, ce qui n'est manifestement pas le cas. Deux types de facteurs viennent contrebalancer ces avantages.

- premièrement, la technologie. Les économies d'échelle ne sont pas indéfinies. Au bout d'un moment, des coûts bureaucratiques, ou d'organisation, vont réduire l'intérêt économique de la grande taille.

- Mais surtout, les préférences hétérogènes de la population. Plus une population est réduite, plus il est probable que le gouvernement élu par celle-ci aura une politique approuvée par ses habitants. Au contraire, dans un Etat vaste, il y a plus de chances de ne pas appartenir au groupe majoritaire.

Lorsqu'on suit cette approche coût-bénéfice, il apparaît que de nombreuses caractéristiques du monde contemporain poussent vers l'éclatement en nations plus petites. La technologie est moins favorable à la grande taille : les grandes entreprises ont bien du mal à résister à de bien plus petites entités.  Les techniques militaires contemporaines font que les Etats-Unis ont bien de la peine à contrôler un territoire qui constituait une petite partie de l'empire britannique il y a moins d'un siècle.

La géopolitique va dans le même sens. Les grandes guerres sont moins menaçantes qu'autrefois. La généralisation du libre-échange et de l'intégration économique permet aux petits pays de prospérer en appartenant à des alliances commerciales, réduisant l'intérêt des Etats vastes. "A quoi bon appartenir à la Grande-Bretagne dès lors qu'on appartient à l'Union Européenne?" était l'un des arguments des indépendantistes écossais.

Le désenchantement du monde

Cette façon de voir les choses peut sembler bien cynique. La grandeur et la décadence des nations, c'est autre chose que de sordides calculs d'épiciers. Pourtant, ceux-ci ont été au coeur de la campagne, les indépendantistes promettant "1000 livres sterling par an" de gains après l'indépendance, le trésor britannique annonçant au contraire une perte annuelle de 1400 livres pour les écossais en cas de séparation. Tous ces calculs étaient éminemment discutables; en pratique, économiquement, cela ne faisait pas grande différence.

Il est frappant de constater que les journalistes, partant en quête de l'identité écossaise meurtrie, ne trouvaient à décrire au bout du compte qu'une Ecosse de carte postale, à base de Tartans, de cornemuses et de whisky; toutes choses qui ne sont pas menacées par l'appartenance écossaise au Royaume-Uni. Les récriminations des indépendantistes ressemblent aussi plus aux plaintes adressées au service après-vente des entreprises qu'à une crise identitaire. "Nous sommes plus à gauche que les anglais, nos préférences ne sont pas représentées à Westminster"; certains ont bien essayé d'inventer une oppression imaginaire, mettant l'Ecosse à égalité avec l'Inde sous Victoria; ce qui est un peu comique quand on connaît le rôle prépondérant joué par les écossais dans la constitution de l'Empire Britannique.

Au bout du compte, les facteurs déterminant le résultat auront été l'imprécision du programme économique indépendantiste autour de la monnaie - il est difficile d'être autonome avec une monnaie différente, comme on le sait dans la zone euro - des retraites, qui ont conduit les électeurs à ne pas prendre le risque. On est beaucoup plus près du calcul des intérêts que dans le tragique de l'histoire.

Les séparatismes qui viennent

Mais si les intérêts sont plus décisifs que les passions nationalistes, cela ne veut pas dire que les séparatismes ne peuvent pas gagner. C'est même le contraire : lorsque la question de changer de pays ressemble un peu plus à celle du changement d'opérateur téléphonique, cela accroît les tentations. Et les passions alors ne sont jamais bien loin. Partie de questions de répartitions de revenus, la campagne écossaise a entretenu les aigreurs. Si comme c'est probable l'Ecosse bénéficie de plus d'autonomie après ce référendum, cela ne calmera pas les velléités d'indépendance, bien au contraire. Et la prochaine fois, les indépendantistes arriveront avec un programme économique mieux ficelé.

Et dans le même temps, la leçon écossaise aura été retenue. En Belgique, en Espagne, les séparatistes avancent leurs pions. L'histoire montre que les obstacles économiques à la séparation peuvent toujours être contournés, pour peu que la volonté de séparation soit bien présente et que les coûts n'en soient pas prohibitifs. Mais elle montre aussi que le processus de séparation peut facilement dérailler, et tourner au conflit ouvert. L'histoire des séparatismes n'est certainement pas terminée.