Le remaniement, une tradition française
Partout dans le monde, même dans les pays aux institutions chroniquement instables, un gouvernement reste en place (à quelques accidents de parcours près) jusqu'à ce qu'il soit renversé par une élection ou un changement de coalition au parlement. L'idée d'un remaniement ministériel - changer de gouvernement sans raison institutionnelle, alors que la majorité qui l'a mis en place est toujours là - est une spécificité française.
Cependant, si l'on sort des questions politiques, il y a d'autres activités dans lesquelles on pratique l'éviction du leader en cas de mauvais résultats, pour obtenir un électrochoc. Dans les entreprises, les actionnaires virent les PDGs dont les performances sont médiocres. Et il y a surtout le football professionnel, qui a placé le licenciement d'entraîneur lorsque les performances du club sont insuffisantes au rang de rituel sacrificiel. le club de Chelsea avait dépensé, en décembre 2012, un total de 52 millions d'euros pour licencier ses différents entraîneurs depuis qu'il appartient à Roman Abramovich (et ce n'est peut être pas fini). Les clubs anglais ont dépensé environ 99 millions de livres sterling rien que sur la saison 2010-2011 pour virer leurs entraîneurs.
Quel impact du changement de manager?
Cette frénésie de licenciements d'entraîneurs dans le football a apporté aux économistes ce qu'ils apprécient tout particulièrement : une floraison de données pour faire des tests économétriques. Et comprendre si le remplacement des dirigeants a un effet sur la performance, une question dont l'importance ne se limite pas au football, mais vaut aussi pour les entreprises et les organisations.
Et c'est un domaine dans lequel (pour une fois) les résultats des économistes sont unanimes : changer d'entraîneur ne sert strictement à rien. Ce résultat a été constaté en Italie, en Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et en Angleterre. Simon Kuper et Stefan Szimanski ont synthétisé dans leur livre "Soccernomics" l'ensemble des travaux sur ce sujet, pour constater que l'impact d'un changement d'entraîneur est toujours le même.
Retour vers la moyenne
Initialement, changer d'entraîneur conduit à une légère amélioration des résultats qui suivent, mais cela s'explique par un phénomène statistique : la régression vers la moyenne. L'idée est la suivante : si vous avez eu une série de résultats exceptionnels (ou exceptionnellement mauvais) vous avez une forte probabilité que les résultats suivants soient plus dans la norme. Or les évictions d'entraîneurs se font en général après une série de très mauvais résultats. Il est donc probable que par simple effet statistique, les résultats qui suivent soient un peu meilleurs, même si la tendance générale reste aussi médiocre qu'avant.
Et c'est exactement ce que l'on observe dans le football : dès lors qu'on corrige cet effet statistique, les équipes qui ont de mauvais résultats continuent d'en avoir après l'éviction de l'entraîneur; remplacer la tête ne change rien.
On pourrait penser que cela vaut pour le football, et qu'il serait bien hasardeux de généraliser cela à la politique ou à la direction d'entreprises. Mais il se trouve qu'on trouve des résultats exactement similaires avec les changements de PDG dans les grandes entreprises : les changements de direction n'ont aucun effet d'amélioration de la performance.
Et en politique française, on peine à voir l'impact positif des remaniements ministériels. Ce graphique représente la popularité de Jacques Chirac lors de son second mandat, de 2002 à 2007 : vous aurez bien du mal à observer le moindre renversement de tendance en mai-juin 2005, avec le remplacement de Jean-Pierre Raffarin par Dominique de Villepin.
Vous trouverez le même effet avec le changement de gouvernement Fillon lors de la présidence de Nicolas Sarkozy, et de manière générale depuis que les popularités sont mesurées.
Mais alors, pourquoi remanier?
Ce résultat n'est pas très surprenant. Les contraintes qui s'exercent sur les politiques sont les mêmes avant et après le remaniement - de la même façon que les adversaires ne vont pas devenir moins bons si l'on change d'entraîneur. Les arbitrages politiques qui déterminent les gouvernements sont les mêmes, et le stock de personnes disposant d'expérience et de capacité à tenir un ministère n'est pas illimité; cela explique le sentiment de chaises musicales que donnent les remaniements ministériels. Il n'y a aucune raison pour que cela améliore les performances de l'équipe dirigeante.
Alors pourquoi ce culte du remaniement? Plusieurs explications sont possibles. La première est que les politiques sont aveuglés par l'effet de retour vers la moyenne, et croient vraiment que le changement de têtes va apporter un avantage à court terme. L'horizon temporel des politiques n'est jamais très grand.
Une autre explication, c'est le culte de l'action. Quand tout va mal, il faut faire quelque chose. Changer de gouvernement, c'est faire quelque chose; alors, changeons de gouvernement. Il faut bien faire quelque chose. Et espérer calmer un peu les impatiences de l'opinion en donnant l'illusion d'agir.
Mais il y a une possibilité plus préoccupante : Que les dirigeants soient sincèrement persuadés que les remaniements peuvent changer quelque chose. Qu'ils soient victimes de l'erreur d'attribution fondamentale, et croient vraiment que ce sont les caractéristiques des personnes au pouvoir qui font la différence, plus que les circonstances et le contexte. La réalité sera un choc.