Les nouvelles règles européennes vont-elles réduire les déficits?

Vendredi, la commission européenne a annoncé ses prévisions économiques pour les pays d'Europe. Dans l'ensemble, de mauvaises nouvelles : croissance de 0,1% pour la France, et déficit public de 3,7% du PIB pour 2013, par exemple. La commission inaugurait à cette occasion le nouveau traité européen, entré en application le premier janvier, qui vise à coordonner les politiques budgétaires et éviter la dérive des déficits qui s'était produite dans le cadre du précédent pacte de stabilité et de croissance. Les européens ont-ils enfin trouvé des institutions satisfaisantes?

L'échec du pacte de stabilité

La coordination des politiques budgétaires des pays de la zone euro était sensée passer par le pacte de stabilité et de croissance, signé en 1997. Celui-ci imposait deux contraintes : un déficit public sous les 3% du PIB, une dette publique inférieure à 60% du PIB. Si un pays ne respectait pas ces règles, le conseil des ministres pouvait demander des sanctions. Ce schéma, via Quartz, qui récapitule toutes les années où les pays de la zone euro ont été en dehors des règles, suffit pour montrer que cela n'a pas fonctionné :

 

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Pourquoi un tel échec? L'un des facteurs a été que les gouvernements ne souhaitaient guère appliquer de sanctions, qui risquaient à terme de leur tomber dessus. Aussi parce que les règles étaient trop peu discriminantes, ne distinguant pas un déficit public expliqué par un gouvernement démagogue et un déficit causé par des circonstances économiques défavorables.

Des prévisions de croissance biaisées

Mais surtout, il apparaît que les gouvernements ont de façon systématique, fait des prévisions exagérément optimistes de croissance pour élaborer leur budget. Les prévisions de croissance sont toujours fausses: mais une erreur "honnête" signifierait que les prévisions sont soit trop faibles, soit trop élevées. Or les erreurs de prévision des pays européens n'ont jamais été trop faibles. Avec une prévision de croissance suffisamment forte, n'importe quel budget peut donner l'impression de réduire les déficits publics. La Grèce, par exemple, prévoyait en 2000 une croissance suffisante pour réduire son déficit à 2% du PIB en 2001, 1% en 2002, et passer ensuite à l'excédent; Son déficit a finalement été chaque fois de l'ordre des 4-5%. En moyenne, en Europe, entre 99 et 2007, les prévisions ont été surrévaluées de 0,2 points à un an, 0,8 à deux ans, 1,5 à trois ans. Résultat: aucune marge de manoeuvre budgétaire lorsque la crise est arrivée.

Les règles budgétaires comme celles du pacte de stabilité n'ont aucun impact si les gouvernements peuvent choisir leurs prévisions de croissance. Il suffit d'annoncer une prévision de croissance optimiste, de faire le budget en conséquence, et de dire l'année suivante que le déficit est trop élevé parce qu'on n'a pas eu de chance, la croissance n'a pas été au rendez-vous, mais ça ira mieux l'année prochaine. De nombreux travaux montrent que c'est exactement ce qui s'est passé : au lieu de faire une prévision réaliste, et un budget en conséquence pour respecter les règles, les pays européens ont fait la prévision qui permettait de donner l'impression de respecter les règles, tout en faisant le budget qu'on veut.

Les nouvelles règles ne sont pas crédibles

Les nouvelles règles, appelées "traité pour la stabilité, la gouvernance et la coordination de la zone euro" (TSCG) corrigent ce problème en distinguant le déficit structurel et conjoncturel, permettant donc de dépasser les limites en cas de conjoncture dégradée. En contrepartie, les gouvernements subissent plus de contraintes. En particulier, la commission européenne, sur la base de ses propres prévisions de croissance, peut exiger la modification des budgets nationaux avant que ceux-ci ne passent devant le parlement. C'est cette nouvelle procédure qui a été testée avec les prévisions de vendredi dernier.

Cette procédure peut-elle fonctionner? Il y a des raisons d'être pessimiste. On risque d'entrer dans une discussion de marchands de tapis entre gouvernements et commission sur la prévision de croissance, un peu comme le comptage des manifestations, la commission étant systématiquement pessimiste, les gouvernements systématiquement optimistes, avec des écarts de plus en plus grands. Le recours à un organisme de prévision extérieur, indépendant, pour établir le budget, peut donner de bons résultats (cela fonctionne au Chili); mais la commission européenne est un acteur politique, qui peut avoir envie de sanctionner ou de favoriser un gouvernement.

En mai 2012, la commission prévoyait pour la France 0,5% de croissance en 2012, et 1,3% en 2013. 8 mois plus tard, ces prévisions sont de 0% pour 2012, et 0,1% pour 2013. Ironiquement, si l'on peut dire, une bonne partie de cet écart s'explique par les politiques d'austérité préconisées par la commission, qui refuse d'admettre que l'austérité budgétaire a un effet négatif sur l'économie.

Pire même : Olli Rehn, vice-président de la commission, a adressé aux ministres des finances de la zone euro et au FMI un courrier surréaliste, reprochant au FMI d'avoir indiqué que l'austérité avait des conséquences négatives, sous prétexte que cela nuisait à la confiance dans les politiques européennes!

En somme, dès leur mise en application, les règles n'ont pas de crédibilité. Les gouvernements auront beau jeu de dénoncer les insuffisances de la commission, dont les prévisions ne sont pas meilleures que les leurs. Ils pourront continuer à faire des budgets irréalistes sur la base de prévisions de croissance fantaisistes. La règle du déficit structurel, de bon sens en théorie, permet de justifier tous les déficits par la mauvaise conjoncture: personne, en pratique, ne sait estimer celui-ci correctement.

Ni austérité automatique, ni ajustement

En somme, ceux qui annonçaient que le TSCG allait enfermer les politiques budgétaires dans un carcan d'austérité se trompaient : en pratique, celui-ci va laisser de grandes latitudes aux gouvernements. Pour l'instant, l'austérité domine; cela ne va pas durer, et l'actualité politique européenne ne va pas encourager à poursuivre dans ce sens.

Mais si l'austérité en pleine crise est stupide et nocive, l'absence d'un mécanisme efficace pour limiter les déficits en période favorable l'est tout autant : la zone euro ne peut pas fonctionner sans coordination des politiques budgétaires. Il faudra donc trouver d'autres mécanismes. De nombreuses possibilités sont connues : la méthode Suisse, ou le système américain, semblent bien plus à même de faire fonctionner la zone euro que tous ces mécanismes centralisés adoptés jusqu'à présent, qui poussent à la tricherie.

Vous pensiez la crise de la zone euro terminée? Entre les élections italiennes et la mise en pratique des nouvelles règles, il apparaît ces jours-ci que ce n'est pas le cas.