"Emmanuel Macron doit réévaluer sa relation aux États-Unis et à Donald Trump"

La relation entre les deux présidents était excellente la première année. Mais l'administration Trump cherche à travailler seule. Photo : Tatyana Zenkovich / Pool / AFP

Donald Trump se rendra à Paris à l'occasion des commémorations du 11 novembre. Mais pour Emmanuel Macron, il est temps de prendre ses distances avec le président américain. Explications avec Célia Belin, chercheuse invitée à Brookings Institution.

Quelle vision Donald Trump a-t-il de la France ?

C.B: Pour le président américain, la France est avant tout un partenaire dans la lutte anti-terroriste. À ce titre, les deux pays ont une très bonne relation. Le problème, c'est que Donald Trump a une vision beaucoup plus négative de l'Union européenne. Il a dit, à plusieurs reprises, qu'elle est une ennemie, notamment sur les questions commerciales. Sa vision de la France n'est pas donc pas entièrement positive, bien au contraire.

Emmanuel Macron s'est-il trompé en jouant la carte de la proximité avec Donald Trump ?

C.B: Quand Donald Trump a été élu, les intérêts américains et français étaient assez alignés. Il se trouve aussi que les deux hommes sont des outsiders : ils ont renversé le système de pouvoir dans leur pays. Le président Macron a donc saisi cette opportunité pour se rapprocher du président Trump, que les autres européens n'arrivaient pas vraiment à aborder. Emmanuel Macron a eu raison de tenter cette technique pendant la première année.

Aujourd'hui, le président français doit-il prendre ses distances ?

C.B: Cette relation est dans un moment intermédiaire: elle a été excellente au cours de la première année mais la France se rend compte progressivement que l'administration Trump démantèle le système multilatéral et nuit aux organisations sur lesquelles l'Europe s'appuie. Le président Macron doit réévaluer sa relation aux États-Unis et à Donald Trump, vers plus de distance. 

Emmanuel Macron n'a donc rien obtenu de Donald Trump...

C.B: Il a obtenu des choses ponctuelles : une bonne coordination après l'affaire Skripal [NDLR : la tentative d'assassinat d'un ancien espion russe en Angleterre] ou encore lors des attaques chimiques de Bachar el-Assad sur son peuple. Mais concernant les grands enjeux globaux, le multilatéralisme, l'évolution du lien transatlantique, le Président Macron, comme les autres chefs d'État européens, n'arrive à rien avec cette administration.

Pourquoi Donald Trump refuse-t-il l'aide du président français ?

C.B: Le président Macron cherche à construire un agenda positif. Il a, par exemple, proposé que la France et les Etats-Unis travaillent ensemble sur le défi chinois. Jusqu'à présent, l'administration américaine n'est pas intéressée. Cette dernière a vraiment une ambition unilatérale : elle cherche à travailler seule et ne s'appuie pas sur ses alliés.

Quelles stratégies la France doit-elle adopter ?

C.B: La France doit faire attention à ne pas trop se mettre en avant. Elle a besoin de jouer collectif. Les Européens sont très unis sur le commerce mais ils doivent encore beaucoup discuter au sujet de la défense et plus largement de la politique étrangère. Mais s'il faut prendre un peu de distance avec Donald Trump, il faut néanmoins continuer à travailler avec l'Amérique de long terme : les entreprises mais aussi le Congrès. La politique américaine se transforme, évolue. Il peut y avoir du changement lors des élections de mi-mandat, en novembre prochain, ou peut-être en 2020 ou 2024. La France doit pouvoir miser sur une relation future.

Propos recueillis par C.L

Consultez le rapport complet (en anglais) de Célia Belin à ce sujet sur le site de Brookings Institute.