C’est un coup d’épée dans l’eau. Pensé en 1989, démarré 14 ans plus tard, le projet de digue Moïse (ou Mose, en italien) ressemble à une chimère dont les Vénitiens ne savent plus que faire. L’espérer, pour qu’il sauve enfin leur ville de la montée des eaux ? Le vouer aux gémonies pour son coût (5 milliards d’euros au total) et son impact écologique catastrophique ? L’attendre, dans tous les cas.
Cet ensemble de portes d’écluses, qui sont relevées mécaniquement en cas de marée haute, vise à retenir l’impact des vagues lors de ce type d’événement, bloquant ainsi l’interaction entre mer et lagune – et c’est ce que lui reprochent principalement ses détracteurs. Pour les habitants, sauver Venise se fait en élevant celle-ci, d’abord physiquement (il faudrait surélever ses fondations), mais aussi moralement, en luttant contre le tourisme de masse qui la submerge.
Antonio Zago, dernier habitant de la place Saint-Marc
« Les problèmes de Venise sont essentiellement administratifs ; il faut que notre ville se prenne en main et limite, entre autres, le nombre de touristes ». Antonio Zago est plus déterminé que quiconque ; il est le dernier Vénitien à encore habiter sur la place Saint-Marc. Tiraillé entre un amour passionnel pour sa ville de toujours et une envie de fuir son appartement lorsque les vagues de touristes inondent la place sous ses fenêtres, cet homme d’affaires n’a plus de voisins depuis longtemps.
Le mastodonte des assurances Generali s’est emparé de la quasi-totalité des deux ailes qui enserrent Saint-Marc. Depuis sa terrasse, Antonio Zago surplombe le mythique café Florian, le campanile et le Palais des doges plongés dans la brume et le silence matinal d’une ville au pic de sa désertion touristique annuelle. C’est normal, le carnaval n’a pas commencé et il fait froid. Très froid. « C’est ça, la vraie Venise, celle couverte de brouillard, froide et calme, entre Noël et le Carnaval. C’est là que Venise reprend ses droits. » Et pendant un instant, on oublie toute invasion, maritime ou touristique, toute épée de Damoclès.
Pour comprendre ce qu'est le Mose :
Pour découvrir qui sont les derniers Vénitiens :
L’info en + : Un compteur situé sur une pharmacie de la piazza San Bartolomeo indique le nombre d’habitants restants à Venise : 52 000 environ en 2020, contre 175 000 en 1950. En 1500, même si elle en comptait un peu moins (120 000 habitants), Venise était l’une des villes les plus peuplées du monde !
Anne Donadini