C’était l’une des promesses phares de Narendra Modi. Lors de sa campagne de 2014, le futur Premier ministre promettait de remettre l’Inde sur la voie de l’hygiène et de la santé. Il en voulait pour preuve d’enfin parvenir à arrêter certaines habitudes, comme la défécation en plein air. Depuis, cinq années se sont écoulées et Narendra Modi brigue aujourd’hui en second mandat. Ses stratégies politiques en matière d’hygiène, elles, commencent à s’affirmer.
« Swachh Bharat » derrière ce nom que l’on peut littéralement traduire par « l’Inde propre » se cache le vaste projet du gouvernement pour assainir l’Inde. Sur le site de cette mission gouvernementale, les compteurs s’affolent pour afficher fièrement, dès la page d’accueil, le nombre de toilettes construites ou encore les États qui sont venus à bout de la défecation en pleine rue.
Le recours aux toilettes : un symbole
Le problème peut faire sourire, mais les déjections humaines en pleine rue sont un fléau pour l’Inde. Sous couvert d’un acte « viril » pour les hommes, ou d’un moment « d’échanges entre amies » pour les femmes, les près de 600 millions d’Indiens persistant dans cette pratique contribuent à aggraver la situation sanitaire du sous-continent. En effet, ces excréments, à ciel ouvert, sont pris d’assaut par les mouches. Elles y pondent leurs oeufs facilitant ainsi la propagation de virus. En 2017, le magazine National Geographic avançait qu’un gramme de matière fécale abrite, en moyenne, 10 millions de virus et un million de bactéries. Chez les populations rurales les plus jeunes, où les structures de santé se réduisent à peau de chagrin, cela engendre des diarrhées mortelles ou de graves anémies. Le constat est alarmant et, à l’orée de l’anniversaire des 150 ans de la naissance du Mahatma Gandhi, Narendra Modi faisait une question d’honneur que d’endiguer cette habitude.
Le gouvernement s’est mis en ordre de bataille et a bâti, au pas de force, des latrines par centaines . Dans les villages, la progression est impressionnante. En 2014, seulement 31% des habitations en milieu rural étaient équipées de toilettes. Ce chiffre a atteint 70% en 2019. Mais cette augmentation masque des situations très variées. De nombreuses toilettes ne sont pas raccordés au tout-à-l’égout voire n’ont pas l’eau courante, ce qui les rend difficilement utilisables.
Et même lorsqu’ils sont utilisables, les toilettes n’attirent pas tous les Indiens.
Certains refusent les équipements préférant continuer à se soulager dans la nature. L’application de smartphone spécialement conçue pour géolocaliser les toilettes les plus proches n’y change rien, les mentalités et les habitudes restent ancrées.
Selon les chercheurs Diane Coffey et Dean Spears, auteurs de Where India goes, les gens préfèrent faire leurs besoins « dans la nature plutôt que des les stocker dans une fosse septique ». Au delà de l’image de saleté qu’elle renvoie sur le foyer, posséder une fosse revient à employer un Dalit, autrefois appelé « Intouchables », qui sont les seuls à même de nettoyer la fosse, car les seuls acceptant de faire une tâche aussi dégradante.
Le privé au chevet des hôpitaux publics
Au-delà, du problème des toilettes, la situation sanitaire du pays est l’une des principales occupations des Indiens. Dans un sondage, paru en mars dernier, Bloomberg montrait que la santé et l’hygiène sont les deuxièmes problèmes les plus important pour les votants de 2019. Ils arrivent juste après les incertitudes liées à l’emploi. L’accès à l’eau potable arrive troisième. Conscient du danger, Narendra Modi se voulait efficace et rassurant en multipliant les effets d’annonce en tous genres.
L’an dernier, il annonçait encore vouloir « donner accès à des soins gratuits pour 500 millions d’Indiens pauvres ». Une déclaration forte, accompagnée d’un tweet en hindi, pour lancer la première forme de sécurité sociale en Inde : le programme Ayushman Bharat.
Ce programme s’inscrit dans le cadre d’un nouveau coup d’accélérateur voulu par le Premier ministre après des premières années timides en matière de santé publique. Pour l’Observer Research Foundation : « Durant ses premières années, le gouvernement a largement négligé la santé. Depuis, ils ont consolidé des initiatives lancées par le gouvernement précédent et semble avoir un plan crédible pour le futur. »
Cette accélération peut s’expliquer par l’explosion des centres de santé privés en Inde. Face à un système public défaillant, de nombreux établissements ont vu le jour avec des prix parfois exorbitants. Le risque majeur est de créer un système de santé à deux vitesses dans lequel les plus pauvres seraient exclus.
Pour parer ce phénomène, le gouvernement a débloqué de nombreux fonds publics afin d’aider certains acteurs privés à financer la construction de leur hôpital. En contrepartie, ces futurs hôpitaux s’engagent à accepter les Indiens les plus pauvres soumis au régime d’Ayushman Bharat. Une bonne nouvelle pour les 500 millions de personnes bénéficiant de cette esquisse de sécurité sociale. Une moins bonne pour les 700 autres millions devant avancer leurs frais de santé et qui voient les coûts de ces établissements privés bondir.
Mathis Lescanne