“Nous voulons apporter des solutions, pas de la pollution!”, “Plus que 12 ans pour la planète”, “On ne peut pas changer notre passé mais on peut changer notre futur”, “la pollution de l’air est une meurtrière invisible”… Les panneaux brandis par les 250 enfants rassemblés sur Connaught Place à New Delhi ce vendredi 15 mars sont clairs : ils réclament une prise de conscience et des actions drastiques pour l’environnement.
L’Inde répond “présente” pour ce premier jour de grève scolaire mondiale pour le climat. “Friday For Future ! Friday for ? For Future!” s’exclament à s’époumoner les petits citoyens de la capitale indienne. C’est la première fois qu’un tel évènement a lieu en Inde : les petits ont plus important et urgent à faire que d’aller à l’école. Ils veulent sensibiliser leurs aînés aux effets de la pollution et du changement climatique. Sneha, 13 ans, dessins dans les mains, est consciente de son pouvoir : “En tant qu’enfant on a la chance de pouvoir toucher les masses ! Les gens ont tendance à écouter les enfants. Et puis c’est de notre futur qu’il s’agit donc c’est normal qu’on s’en empare!”
Kiran, la professeure d’une école d’un quartier riche du sud de New Delhi, est même venue soutenir ses élèves : “Pour moi, c’est aussi une des missions de l'école ! Il s’agit ici du droit de ces enfants et des générations suivantes. En tant qu’enseignants, nous souhaitons tout leur donner mais il y a une chose qui est hors de notre portée : qu’ils grandissent dans un environnement sain. Alors on fait ce qu’on peut.”
Srijani Datta, 16 ans, en uniforme scolaire bleu, sac d'école dans le dos et lunette sur le nez s'indigne : “Nos efforts individuels sont trop insignifiants. Ce que je souhaiterais c’est vivre dans une ville plus propre, avec moins de véhicules en circulation, sans me sentir étouffée ou tousser en hiver à cause de la pollution.” Elle a tenu à venir aujourd’hui, malgré la période d’examens en cours. “A New Delhi ce genre de protestation est plus que nécessaire !”
La pollution de l’air tue 600 000 enfants par an dans le monde
Sur les baromètres, l’air de la capitale indienne varie de “médiocre” à “situation d’urgence”. Il connaît régulièrement des explosions de sa concentration en particules fines; elle aurait même fait perdre 10 ans de leur vie à ses résidents selon une étude américaine.
Le pays tout entier est contaminé: l’Inde abrite 14 villes dans le palmarès des 15 les plus polluées au monde, indique l’Organisation Mondiale de la Santé. Le sous-continent fait également partie des trois plus gros émetteurs de CO2. Bien qu’il se situe encore bien loin derrière la Chine et les Etats Unis, son émission n’a fait qu’augmenter depuis 2005.
Et les quelques plans anti-pollution mis en place n’y changent que très peu de choses. Les enfants l’expérimentent au jour le jour : face au brouillard quotidien qui flotte dans le ciel gris de la capitale, les plus chanceux, ceux présents aujourd’hui venant tous de familles et de quartiers riches de Delhi, doivent mettre des masques ou allumer le purificateur d’air en rentrant chez eux. Les plus jeunes sont les plus vulnérables à la pollution. Une étude de l’OMS, publiée en octobre 2018 rappelait que les enfants étaient les premières victimes de la pollution de l’air dans le monde, qui cause la mort d’environ 600 000 d’entre eux par an.
“Comment faire pour protéger mon enfant qui n’est même pas encore né?”
Alors ce vendredi, à New Delhi, Gurgaon et Hyderabad, peut être encore plus qu’ailleurs, les enfants sont déterminés : “Combien d’entre vous connaissent Greta Thurnburg?” demande le petit Ram, 13 ans, au micro, à l’assemblée présente dans le parc où se tient la mobilisation. C’est cette jeune suédoise de 16 ans, récemment nominée pour le prix Nobel de la Paix, qui est à l’origine de ce mouvement de grève scolaire pour le climat, ces “Friday For Future”, lancés à l’été 2018.
Au micro, différents élèves se succèdent : “Nous devons régler les problèmes que nous avons causés ! Respirer à Delhi c’est fumer plus de 10 cigarettes par jour déjà!” rappelle le petit Ram. Il évoque le septième continent et cite les chiffres de bouteilles de plastiques vendues par minute dans le monde (plus d’un million).
Une autre petite fille court sur le micro pour questionner : “Combien d’entre vous avez un climatiseur chez vous? Savez-vous combien d’énergie ça consomme?” Derrière elle, une adolescente a écrit en lettres rouges sur un bout de carton : “Les Adultes ont Besoin qu’on les éduque”.
Une jeune femme, en blanc, le ventre rond, s’empare du micro : “Je suis enceinte de 5 mois. Mon médecin me recommande de marcher au moins 30 minutes par jour dehors. Comment faire avec cette pollution ? Comment faire pour protéger mon enfant qui n’est même pas encore né? Ce que je demande aux autorités c’est a minima de faire appliquer les lois pour protéger l’environnement !” Medhur Panjwani rêve que son bébé grandisse sans connaître une circulation si dense à New Delhi, qu’il ne verra pas non plus de camion ou de vieux véhicules rouler dans la capitale.
Dans leur communiqué, les groupes d’enfants et les associations (telles que “NineisMine” par exemple) demandaient au gouvernement indien d’aller plus loin que l’accord de Paris sur le climat. “ L’Inde a failli à son engagement de créer un réservoir de carbone supplémentaire équivalent à 2.5 voire 3 millions de tonnes de CO2 grâce à une reforestation et un reboisement d’ici à 2030. (…) La jeunesse et les enfants savent qu’il est temps que l’Inde arrête de penser ses objectifs de préservation de l’environnement au travers de la négociation avec les pays développés. Les mesures qui doivent être prises pour stopper le changement climatique sont les mêmes que celles qui doivent être prises pour minimiser le stress extrême causé par le manque d’air pur ou la détérioration des eaux et du sol. ”
Les enfants qui sèchent leurs cours aujourd’hui font la leçon, ils sont “rebels for life”, pour leur vie et celle des générations futures. C’est ce que souligne le petit Aayush, 13ans: “C’est à notre tour de donner à la nature, elle qui nous a tant fournit ! Nous pensons déjà à la prochaine génération. C’est notre devoir!” A côté de lui, Ramangeet, 16 ans, l’air grave, s’interroge : “Où passent les impôts que paient nos parents ? Pourquoi rien n’est fait politiquement ? Pourquoi ca prend tant de temps?”
Alors que les élections nationales auront lieu le mois prochain en Inde, Srijani prévient d’ores et déjà : “Moi j’ai 16 ans mais je serai bientôt en âge de voter. Alors il faut que cette question environnementale soit prise en compte. Toute la jeunesse le sait. Donc les politiciens devraient faire attention à leur agenda…”
Après quelques jonglages et danses des enfants, le rassemblement se disperse. Mais ils entendent bien la reproduire: “C’est une première aujourd’hui” explique Bharveen, une maman présente qui a participé à l’organisation de ce vendredi. “Mais déjà 30 à 35 écoles ont été concernées. Et plusieurs associations nous ont soutenus, comme GreenPeace ou plus localement, Chintan. On ne s’attendait pas à cela. Et on en attend plus pour les prochains vendredi pour l’avenir ! Je crois aux coeurs et à la détermination des enfants, ca me donne de l’espoir.”
Amanda Jacquel