Attaques verbales ou physiques - parfois mortelles - racisme latent et quotidien : les personnes noires résidant en Inde n'ont pas la vie facile.
Le 20 mai, un Congolais, professeur de Français, est battu à mort à New Delhi. Cinq jours plus tard, un étudiant nigérian se fait tabasser par son voisin indien à Hyderabad, une ville du centre de l'Inde, après une dispute pour une place de parking.
Pour la ministre indienne des Affaires Étrangères ces attaques sont des actes criminels et non racistes. Pourtant, les agressions contre les ressortissants africains ou contre toute personne noire de peau sont fréquentes en Inde. En 2014, une scène filmée dans le métro de Delhi montrait des étudiants africains violemment pris à parti par une foule d'Indiens. Ce racisme latent est ancré dans une société indienne où le teint blanc est adulé et le teint foncé rejeté.
Suite aux récentes agressions, France 2 est allé à la rencontre d'Africains vivant à New Delhi. Dans le quartier de Khirki, au sud de la ville, s'est installée une forte communauté d'Africains. Pour des raisons de sécurité, les personnes interrogées n'ont pas souhaité être prises en photo.
Emmanuel, 32 ans, Nigérian ; travaille dans l'export d’habits
Au détour d'une rue, nous rencontrons Emmanuel, venu acheter des billets dans une agence de voyage du quartier. Originaire du Nigéria, il est arrivé il y a à peine deux mois en Inde.
"Je ne comprends pas la langue ici, l'hindi, mais je vois que des gens m'insultent. Il m'est aussi arrivé de recevoir des coups.
Comment je réagis ? Je me fie à mon instinct. Parfois je continue de marcher, parfois je dis "je n’aime pas la façon dont vous agissez, ce n’est pas bien."
Ma pire expérience, c'est sûrement cette fois où une vieille dame dans la rue m’a lancé de la bouse de vache séchée dessus !"
Le propriétaire de l'agence de voyage, un Indien, resté assis à son bureau pendant l'interview, n'a pas l'air surpris de ces agressions. Il les condamne cependant fortement et compatit avec Emmanuel.
Donald, 32 ans, du Nigéria ; commerçant dans le textile
Lunettes Ray Ban sur le nez et l'air assuré, Donald pousse la porte de l'agence de voyage tel un cow-boy entrant dans un saloon. Il nous désigne le directeur de l'agence et sa femme :
"Vous voyez, eux, ce sont comme mes parents. Si j'ai besoin de quelque chose, ils vont m'aider. Ici, il y a deux catégories de personnes : les gens éduqués, et ceux qui ne le sont pas. A part les agressions, l'Inde reste un très beau pays. "
Sophia(*), 38 ans, Ougandaise ; travaille dans l'export d'habits et de perruques
Au deuxième étage d'un immeuble peu éclairé, Sophia nous reçoit chez elle. Elle vit à Delhi depuis deux ans. Dans son salon, la télévision tourne en boucle sur une chaîne de téléachat, tandis qu'à la radio, on entend de la musique africaine.
"On m’appelle "singe", on me montre des bananes, on me crache dessus depuis les balcons... Parfois j'ai peur... j'ai peur de mes voisins par exemple. Ils m'accusent de faire trop de bruit. Je peux comprendre. Mais alors ils viennent avec des bâtons ! Je les menace d'appeler la police, mais ils risquent de leur parler en hindi et moi je ne vais pas comprendre.
Je déteste le métro car les gens me regardent et commencent à rire… L'autre jour je me suis assise, et la femme à côté de moi s’est levée.
Les Indiens ne nous respectent pas. Oui, il y a des Africains qui se comportent mal ici, mais ce ne sont pas tous les Africains!
Pourtant, en Ouganda, j'ai beaucoup d'amis indiens. J'ai grandi avec eux. A l'école, certains de mes professeurs étaient indiens. Je ne m'attendais pas à ce racisme en venant ici."
Un stéréotype récurrent sur la femme noire en Inde l'associe à une prostituée. Les hommes africains sont, quant à eux, suspectés d'être des vendeurs de drogue.
Stéphane, de République Démocratique du Congo ; ingénieur
Stéphane n'habite pas Khirki. Il est d'abord arrivé en Inde pour faire ses études d'ingénieur et revient dans le pays pour un stage dans l'immobilier. Comme de nombreux étudiants africains, Stéphane est venu profiter d'une formation de qualité et plus accessible qu'en Europe ou qu'aux États-Unis.
"Quand j'étais étudiant de 2011 à 2015, je n'avais pas d'autre choix que de prendre le bus le matin et le soir. J’avais un peu peur. On te dit "kalu" : c’est-à-dire "nègre" en hindi.
C’est dans la rue que l'on t’insulte le plus. On entend souvent nègre, singe, démon... Si tu n’as pas les nerfs stables tu peux toujours te battre!
Le problème avec l’Inde c’est qu’il y a beaucoup de gens qui ne savent rien sur l’Afrique. On te demande par exemple : "pourquoi dans votre pays vous êtes noirs ? "
Je fais partie de la deuxième génération d'Africains venue en Inde pour y habiter. Donc j'imagine que pour les Indiens, voir des personnes noires, c'est encore assez nouveau."
Nakul, 19 ans, Indien ; travaille dans l'immobilier
Côté indien, nous croisons Nakul, un jeune homme de 19 ans qui a grandi et travaille à Khirki. Il vit au-dessus d'un coiffeur africain et se présente à nous d'un air amical pour nous dire que le salon est fermé jusqu'à 4 heures. Nous profitons de l'occasion pour lui demander son sentiment sur les Africains.
"Mon voisin, David, le coiffeur, c'est mon ami. C'est un Africain correct. Mais les autres, ils gâchent le quartier : ils vendent des drogues... c’est le chaos avec eux ! Et puis, ils s'installent petit à petit ici.
Si un Africain m'a déjà proposé de la drogue? Oui, une fois, il y a six mois, un "nigger" m'a demandé si je voulais lui acheter ses produits.
Oui, c'est vrai, il y a du racisme. Mais c’est la mentalité ici..."
(*) le prénom a été modifié
Sidhu Yadav et Caroline Chauvet (St.)