Séisme au Népal : « Je ne savais pas si nous arriverions en vie à New Delhi »

Sunita, d’origine népalaise, travaille comme domestique depuis 10 ans dans un quartier paisible du sud de la capitale indienne. Ses quelques jours de congés par an, elle se les réserve pour rendre visite à sa famille au Népal. Au moment du violent tremblement de terre qui a fait plus de 6 000 morts, elle était justement pour une semaine dans le petit village de son enfance dans la montagne népalaise. Accompagné d’une de ses filles, elle ne se doutait pas que l’enfer l’y attendait.

Sunita est rentrée. Elle est en bonne santé. Ce matin, elle prépare le petit déjeuner. Au menu : des oeufs, des flocons d’avoine et du Tchai, thé typiquement indien. Habituellement, on peut sentir de la douceur et de la sérénité sur son visage. Aujourd’hui, pas. Son regard est encore figé dans le vide. D’une voix encore fébrile, elle raconte l’expérience qui a bouleversé ses quinze jours de vacances.

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 Sunita est partie pleine d’excitation en direction de Sirpa, son petit village perché dans les montagnes de la région de Rolpa dans le nord du pays. Une chance, Pinky, une de ses trois filles l'accompagnait. Elle n’avait pas cours cette semaine-là. Mais ses vacances en famille n'auront duré que 4 jours.

«On était en train de manger quand la terre s’est mise à trembler. Toute ma famille s’est très vite ruée vers la sortie.» explique Sunita. Après cette première secousse, elle pensait que le plus gros était derrière elle. Mais à peine de retour à l’intérieur que le séisme a de nouveau frappé de toute son intensité. La peur et la stupéfaction ont laissé place à la panique. Tous les habitants se sont à nouveau précipités hors des maisons, faites de briques. C’était le chaos dans le village. Tout le monde courait dans toutes les directions.

Entourée de montagnes, c'est une région reculée. A plus de 300 kilomètres  de Katmandou. Et heureusement, à 200 kilomètres de l'épicentre du séisme.  Il n’y pas eu trop de dégâts dans son village, exceptés des arbres déracinés et des cultures endommagées. « Les villages voisins ont été beaucoup moins épargnés que nous. La maison d’une de mes amies s’est effondrée.» déplore Sunita. À ce moment-là, elle arrête son récit, et baisse les yeux, son visage semble encore plus triste. Elle reprend à demi-mot ; «Mon amie est décédée dans l’éboulement.» 

Le séisme a laissé les villageois apeurés. Nuit et jour. Ils sentaient le sol vibrer sous leurs pieds. La famille de Sunita ne voulait pas prendre le moindre risque. Ils dormaient tous dehors à quelques mètres de la maison. « Dormir » est un grand mot. Sunita raconte que toute la nuit, des enfants pleuraient, des gens se recroquevillaient en boule comme paralysés ou au contraire tournaient en rond de nervosité. La tension était palpable. « Les gens n’osaient pas bouger du village et s’engouffrer dans la montagne de peur de revivre la scène, seuls et isolés. Personne ne savait si le danger était loin.» explique-t-elle.

Dranbahadur, son père était très malade et sa fille était en état de choc. La priorité de Sunita était de ramener son père en Inde. Elle voulait le soigner à Delhi et surtout être auprès de son mari. Au Népal, elle se sentait coupée du monde. Depuis le drame, les communications téléphoniques passaient très mal. Il était impossible de savoir si les bus roulaient à nouveau et si le chemin pour descendre la montagne était praticable. Malgré la dégradation de la route et les fortes pluies, elle s’est aventurée à pied avec quelques villageois pour s’en informer à la station de bus la plus proche.  « J’ai marché 4 heures pour y aller et 4 heures pour retourner au village. J’étais exténuée» raconte-t-elle.

Les nouvelles n’ont pas été bonnes : aucun bus ne circulait. Après deux jours, elle a finalement appris d’une amie que le trafic était rétabli. La santé de son père se dégradait fortement, il lui fallait partir. A l’arrêt de bus, un monde fou attendait : notamment des indiens qui voulaient retourner au pays.

Pendant le trajet, Sunita n’avait jamais été autant désemparée depuis la catastrophe. « Ma fille était en sanglots. Elle m'appelait sans cesse, mais j’étais pourtant là ! Elle était très en colère après moi. Elle m’en voulait de l’avoir emmenée en vacances au Népal.»  

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Sunita se sentait coupable, elle était très inquiète : pour la famille qu’elle laissait derrière elle dans ce village en plein chaos et pour son mari et ses deux filles à New Delhi qui n’avaient pas de nouvelles d’elle. Le bus dévalait la montagne. En temps normal, c’est déjà difficile de redescendre à cause des cours d’eau qui traversent la route. Mais là, le bus tanguait à chaque crevasse sur le bitume. « Je ne savais pas si nous arriverions en vie à New Delhi » lance-t-elle les yeux rouges et humides. Après les 15 interminables heures de bus, la famille était pourtant à nouveau réunie.

Aujourd’hui, à la question, « Tu retourneras encore dans ton pays ? ». Elle répond sans hésiter : « Pas avant 10 ans. Le pays n’est pas sûr. » 10 ans, c’est à peu près le temps qu’elle a déjà travaillé comme domestique à New Delhi. La ville où tous ses enfants sont scolarisés. Bien sûr, Sunita veut garder contact avec sa famille basée au Népal mais il semblerait que sa vie ne soit ailleurs qu’ici.

Christophe Reyns (St.)