La semaine prochaine sera cruciale pour les 26 candidats aux postes de commissaire européen. Le 10 septembre dernier, la future présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen révélait la liste et les portefeuilles des commissaires européens qui devraient composer son équipe. Sur les vingt-six, plusieurs nominations font polémique. Deux ont même déjà été retoqués, d’autres pourraient l’être, la semaine prochaine, à l’issue des auditions du Parlement européen.
La prochaine Commission européenne ne comptera plus que vingt-sept commissaires (et non plus vingt-huit), parmi lesquels la présidente, Ursula von der Leyen. Car c’est un principe constitutionnel européen, chaque État membre nomme son propre commissaire.
La seule contrainte? Le futur commissaire doit être jugé « particulièrement compétent » en matière d’affaires européennes par son pays. Dans les faits, les chefs d’États ou de gouvernements envoient à Bruxelles des candidats issus de leur parti - ou du moins de leur bord politique. En 2010, Nicolas Sarkozy avait ainsi missionné Michel Barnier, alors membre de l’UMP. François Hollande avait lui décidé en 2014 d’envoyer à la Commission le socialiste Pierre Moscovici. Et cette année, Emmanuel Macron a choisi la très contestée Sylvie Goulard, issue du MoDem, qui fait encore l’objet d’une information judiciaire pour une affaire d’emplois fictifs présumés d’assistants parlementaires et une rémunération par un think tank américain pendant qu’elle était députée européenne.
Les controverses sur les nominations de commissaires sont d’ailleurs monnaie courante. Cette année, six à sept noms présentés par Ursula von der Leyen font polémique. Nombre d’entre eux pourraient être écartés de la liste finale du collège des commissaires.
Les commissaires aspirants vont en effet devoir se soumettre à l’épreuve ardue des auditions du Parlement européen. Elles auront lieu entre le 30 septembre et le 8 octobre. Chacun devra convaincre les eurodéputés membres des commissions parlementaires concernées par son portefeuille. Leur maitrise des différents dossiers, leur connaissance du processus décisionnel européen ou même leurs compétences linguistiques seront questionnées, trois à quatre heures durant, par les édiles européens. Des auditions retransmises sur internet.
Un pouvoir de contrôle important sur la Commission européenne. Car à l’issue des auditions, l’ensemble des eurodéputés devra accepter ou rejeter l’intégralité de la liste présentée par von der Leyen ; tout en précisant les noms des commissaires à écarter. Certains parlementaires ont déjà fait part, depuis deux semaines, de craintes et de probables refus de nominations.
Six candidats dans le viseur des députés ?
Plusieurs commissaires pressentis font l’objet d’enquêtes judiciaires ou de soupçons de conflits d’intérêts. Ces accusations potentiellement rédhibitoires pour leurs nominations risquent de resurgir lors des auditions du Parlement.
🇫🇷 Sylvie Goulard
La candidate française se présentera au Parlement européen mercredi 2 octobre. Sous le coup de plusieurs enquêtes pour emplois fictifs d’un de ses assistants parlementaires - lorsqu’elle était députée européenne -, sa candidature est critiquée de toute part. Sylvie Goulard reconnait une ambiguïté et a remboursé 45 000€ au Parlement européen, ce qui est un aveu de culpabilité pour ses détracteurs, qui n’entendent pas en rester là.
Un seconde affaire vient entacher sa candidature : la rémunération que Sylvie Goulard a perçue durant son mandat européen de la part du « think tank » américain Berggruen. Les eurodéputés de la commission des affaires légales ont annoncé qu’ils ne la questionneraient pas à ce propos, cette rémunération ayant été déclarée en bonne et due forme. Mais certains élus pourraient tout de même intervenir durant les auditions et peser dans un éventuel rejet de sa candidature, en exigeant qu’elle dévoile ce qu’elle a produit pour ce think tank.
🇧🇪 Didier Reynders
Le ministre Belge est, comme Sylvie Goulard, affilié au parti centriste européen. Et comme elle, il est sous le coup d’une enquête préliminaire de la justice. Les magistrats belges le soupçonnent d’opérations financières frauduleuses et de blanchiment d’argent. Un cailloux dans la chaussure de celui qui devrait être nommé commissaire européen à la Justice.
🇵🇹 Elisa Ferreira
La portugaise devrait être commissaire à la cohésion des territoires et donc responsable européenne de la gestion des fonds régionaux européens. Dans son cas, si refus de nomination il y a, il ne sera pas d’ordre judiciaire. C’est le poste de président de l’organisme public portugais en charge des fonds communautaires, qu’occupe son mari, qui pose problème à plusieurs députés européens. Les parlementaires sont nombreux à juger ces fonctions incompatibles avec le portefeuille de Elisa Ferreira.
🇵🇱 Jan Wojciechowski
Le candidat polonais, proche du parti national-conservateur de son pays, souffre déjà d’un lourd passif avec le Parlement européen. En 2016, sa nomination à la Cour des Comptes européenne était entachée par un vote négatif de la part de l’Assemblée parlementaire. De plus il fait actuellement l’objet d’une enquête de l’Office Européen de Lutte Antifraude (Olaf), pour abus sur ses notes de frais, lorsqu’il était député européen.
Deux candidats sont d'ores et déjà disqualifiés pour l’investiture au poste de commissaire. La commission des affaires juridiques a annoncé que les deux prétendants ne répondaient pas aux prérequis minimaux en matière de conflits d’intérêts :
🇷🇴 Rovana Plumb
Le nom de la roumaine a été citée dans une affaire de transactions immobilières illicite. Elle est aussi accusée de plusieurs conflits d’intérêts. A cela il faut ajouter sa proximité avec l’ex-leader du PSD, le parti social-démocrate roumain, condamné pour fraude électorale et emplois fictifs.
🇭🇺 Laszlo Trocsanyi
Bien qu’il n’appartienne pas au parti de Viktor Orban, le Hongrois a été son ministre de la justice. Il est l’instigateur de plusieurs lois jugées « liberticides » par le Parlement européen et qui ont valu à la Hongrie une mise en demeure de l’UE pour non respect de l’État de droit. Laszloo Trocsanyi ne pouvait pas être nommé commissaire à l’élargissement. Puisqu’il aurait été en charge de s’assurer du respect de l’État de droit par les pays candidats à l’adhésion à l’UE.
Le député européen et coprésident du groupe Les Verts au Parlement européen, Philippe Lamberts, justifie les deux mises au ban déjà actées et celles encore envisageables : « Nous sommes dans une situation où les institutions européennes ont la réputation de ne pas défendre l’intérêt général. Et tout ce qui peut encourager cette vision doit être combattu ».
Commissaires retoqués, des cas d’école?
Le pouvoir de refus des eurodéputés n’est ni inédit, ni anecdotique. Plusieurs candidats-commissaires ont déjà été retoqués. En 2009, à la suite des auditions du Parlement européen, la candidate bulgare avait été écartée, obligeant Sofia a proposer un nouveau nom. En 2014, la candidate slovène avait été jugée insuffisamment compétente par les élus européens, avant d’être remplacée par un commissaire plus au fait des questions communautaires.
Enfin, les députés ont également le pouvoir de redessiner et de recomposer les portefeuilles attribués par la présidence de la Commission européenne. En 2014, le Parlement avait obtenu que celui de Tibor Navracsics, futur commissaire pour l’éducation, la culture et la jeunesse, soit amputé des thématiques de citoyenneté. Il n’est pas improbable qu’il en soit de même la semaine prochaine à l’issue des auditions pour le commissaire grec pressenti, Margaritis Schinas. Chargé de « protéger le mode de vie européen », son portefeuille concerne en réalité les thématiques de migration. Un « amalgame » qui hérisse la gauche et le centre de l’hémicycle strasbourgeois. Ces différentes formations politiques pourraient s’unir pour amputer de quelques prérogatives l’action du Grec.
Luca Campisi et Valéry Lerouge