"Ne vous trompez pas de côté, surtout", a conseillé âprement le taxi. Ville coupée en deux par un mur de plus de deux mètres, Brasilia avait des airs étranges hier, 17 avril. L'esplanade, place des ministères et du Sénat entre autres, avait en effet été séparée de tout son long par un mur pour éviter de nouveaux affrontements entre pro et contre impeachment. Les débats n'ont commencé qu'aux alentours de 14 heures, pourtant dès le matin, le quartier bouclé, les manifestants arrivaient. Compte rendu d'une journée tendue au cœur de la capitale.
Même ingrédien qu'une entrée dans un stade de foot avant un grand match : policiers, sécurité, énormément de monde et de l'ambiance. Avec trois camions-scènes, les chants, les danses et les cris ont commencé dès le matin. Tois écrans géants avaient aussi été installés de chaque côté pour suivre les débats télévisés.
13h00 : A une heure du lancement du débat, les choses s’accélèrent. Côté pro-destitution, les drapeaux brésiliens se répandent sur toute la longueur de la rue. On distribue des petits panneaux "Tchau Querida" ce qui signifie "au revoir ma chère", et on attend, calmement. Règne une ambiance à la fois tranquille et joyeuse. Côté contre, cela se remplit doucement, plus doucement que "chez les jaunes", comme ils le disent. La tension est plus présente.
13h50 : Au micro, les discours motivants se suivent du côté jaune. "Ici, nous sommes tous des résistants. Nous méritons mieux qu'une corruption qui mange le pays. Dehors Dilma, Dehors Lula et Dehors tout le PT". Bracelets, T-shirts, lunettes, chapeaux, maquillage, banderoles, écriteaux ou encore poupées de Dilma et Lula en prisonniers : tout est bon pour resserrer la communauté pro-impeachment. Avant que le débat ne commence au Sénat, l'hymne résonne dans les enceintes.
Côté rouge, moins de personnes mais beaucoup plus agglutinées, serrées, stressées devant les écrans. Attentives. On retrouve des têtes de Dilma et des slogans contre les coups d'Etat collés sur les sacs. Certains étaient aussi venus vêtus en débardeur "pour le droit des femmes", ou encore drapés de drapeau LGBT.
14h15 : Dans une foule d'applaudissements, rouges comme jaunes, à présent c'est parti : le débat au Sénat est lancé.
Ricardo, assis en tailleur, lance son propre débat pour faire passer le temps. Avec son T-shirt au couleur du Brésil et son autocollant "Basta", le soixantenaire ne mâche pas ses mots. Chacun a une raison différente d'être du côté jaune. Certains sont ici car ils ne supportent pas les partis de gauche ou le Parti Travailleur. D'autres le sont car ils veulent un avenir sans corruption pour leur pays et que la nomination de Lula fût la goutte d'eau. Et quelques-uns considèrent qu'il est surtout temps de changer après 15 ans de Lula/Dilma au gouvernement. Parmi les manifestants, beaucoup de jeunes adultes, de nombreuses familles aisées et aussi des Brésiliens croyants. "Pour moi, il n'est pas question de ça, reprend Ricardo, je suis vraiment de gauche, pas cette gauche que nous vend le PT. Il faut arrêter de les saluer et de les honorer pour ce qu'ils ont pu faire car à présent beaucoup de crimes ont été commis. Et il est temps que ça s'arrête. Dilma n'a jamais eu son existence propre en politique. Elle n'est là que grâce à Lula, non pas pour son expérience ou sa capacité. Elle est malheureusement incompétente pour de telles responsabilités et Lula est corrompu". Tous s'accordent au moins sur cela.
15h00 : Après 45 minutes, la première partie des débats est finie. "Première partie" si l'on ne comptabilise pas les 40 heures de discussion qui avaient précédés ces débats télévisés. Ça a été la session la plus longue de l'histoire de la Chambre.
Les députés, au nombre de 513, sont ensuite passés un par un devant l'assemblée pour dire "Oui" ou "Non" à la proposition de destitution. Côté pro, l'ambiance est frivole. Déjà rassurés par les discours qui se sont tenus, ils continuent à chanter sur fond de "bye bye Dilma".
17h45 : C'est l'heure du vote. Chacun peut dire quelques mots avant d'annoncer son vote au président de la Chambre. Les premiers votes s'enchaînent rapidement avec une succession de "Oui". Parmi les anti-destitutions, les visages étaient donc dès le début très tirés et inquiets. Certains appelaient même leurs proches. Les rassemblements autour des écrans se faisaient toujours plus nombreux. La tension était très forte, tout comme la colère. Les visages se succédaient sur l'écran et les insultes pleuvaient.
22h30 : Bien que ce ne soit pas fini les brésiliens et brésiliennes présents du côté contre destitution ont commencé à s'en aller. Au vu des chiffres, ils ont compris qu'ils ne pourraient pas atteindre les 2/3 obligatoires pour empêcher la procédure d'impeachment.
"Si on analyse un peu les votes "Oui", ils ne donnent jamais leur raison. Ils déclarent être contre la corruption mais ils n'expliquent rien. C'est qu'il n'y a rien à dire, ils n'ont pas de motifs sincères. Le Brésil a un problème de classe sociale et ça en est la preuve. Ils peuvent reprendre le pouvoir, eux qui sont riches, ils s'acharnent contre le parti des travailleurs. Pas de doute, c'est à 100% un coup d'Etat qui se déroule devant nos yeux", a déclaré Sandra, 47 ans et membre du parti PT sur le chemin du retour.
23h08 : Un peu plus de 40 minutes avant la fin de la session, le vote de M. Bruno Araujo (PSDB-SP), a complété les 342 voix nécessaires pour le processus d'autorisation. Les députés Pro-impeachment ont célébré intensément au cœur du Sénat. La rue elle aussi s'est enflammée. "Dansez, dansez, on vient de vivre un instant de joie brésilienne : bye bye corruption".
Les derniers Pro-PT, on alors entamé leur marche funèbre en rentrant vers les axes de transports, sous haut contrôle militaire. Policiers et militaires ont d'ailleurs été acclamés par les pro-impeachment. Hélicoptère, sécurité, militaires et pompiers ont été applaudi, salués de haie d'honneur ou encore de révérences sur toute la longueur de l'Esplanade. Parmi les policiers beaucoup se sont autorisé à montrer leur soutien envers ce côté de la manifestation en filmant et applaudissant les brésiliens dans la rue.
Liama et Lukas, vêtus de rouge et étudiants en Art plastique à l'UnB, se disaient tristes et effrayés hier. "Evidemment qu'on a peur. On a peur de perdre nos droits. Celui d'étudier librement, dans un établissement publique, celui de pouvoir sortir quand on veut, comme on le veut. Peur de régresser sur le droit des femmes, des noirs, des homosexuels ou de toutes les minorités. Ils votent "Oui" car nous sommes dans un pays conservateur et le fait que Dilma soit une femme est sans doute un argument supplémentaire à leurs yeux pour qu'elle parte".
23h47 : Finalement, après plus de six heures de votes, le dernier député clôtura la session. La Chambre des représentants a donc approuvé l'autorisation pour que le Sénat poursuive le projet de destitution de la présidente actuelle Dilma Rousseff. Le "score", si l'on peut l'appeler ainsi, s'est conclut sur 367 voix en faveur et 137 contre ainsi que 7 abstentions et deux non votes.
Anne-Flore Roulette pour Fanny Lothaire