Crise brésilienne : la parole aux étudiants

Manifestations à Brasilia lors de la nomination de Lula au gouvernement.

Scandales de corruption, rebondissements politiques et manifestations monstres : tel est le cocktail que déguste actuellement le Brésil. Plusieurs étudiants brésiliens nous livrent leurs impressions sur la crise nationale que traverse leur pays.

André

André, étudiant en sciences politiques

"Une crise économique, politique et médiatique"

André a 25 ans et étudie les sciences politiques depuis cinq ans à l'université d'Etat de Campinas (UNICAMP), à proximité de  São Paulo. Se décrivant comme "idéologiquement de gauche" mais non militant, il affiche un intérêt passionné pour la politique brésilienne.

"Pour moi, le Brésil est face à une crise économique, politique et médiatique, trois secteurs distincts mais entremêlés. Pendant plusieurs années, les gouvernements de Lula et de Dilma avaient réussi à atténuer les impacts de la crise mondiale dans le pays en promouvant des politiques sociales et des investissements pour garantir l'emploi. Malheureusement, à l'heure actuelle, le gouvernement ne peut plus investir et la dette du Brésil a augmenté. Cette situation renforce notamment le discours de l'opposition. En effet, pour les entreprises, les investissements publics et les politiques sociales de ces dernières années ont été synonymes de coupes budgétaires. Ainsi, depuis un certain temps déjà, le gouvernement de Dilma doit faire face à la résistance d'une tranche conservatrice de la population. Néanmoins, la contestation est encore plus forte depuis que la crise économique s'est aggravée. L'élite conservatrice utilise les médias pour manipuler l'opinion publique. Elle diffuse de fausses informations, elle crée un climat de mécontentement, d'insatisfaction et participe à la formation d'idées anti-démocratiques".

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Ana Victoria, étudiante dans le Sud du pays.

« Rester optimiste pour dépasser cette crise »

Ana Victoria a 20 ans et elle étudie la nutrition dans le sud du Brésil (District de Mato Grosso) depuis trois ans. Elle veut rester optimiste sur l'issu des scandales au cœur du gouvernement Brésilien.


« Le Brésil traverse une situation politique qui pourrait sérieusement affecter les progrès du pays. Les membres de notre gouvernement (représenté par le Parti des Travailleurs, le PT) font l'objet d'enquêtes pour corruption. La corruption n'est pas quelque chose de vraiment nouveau au Brésil... Mais à présent, avec la crise économique, cela crée une tension au sein de la population et entre les différentes idéologies. Ça donne l'impression que le pays est « divisé ». Ma crainte est que ces divergences se finissent en guerre civile, plongeant le pays au plus bas…Pour moi, la mesure idéale serait une réforme politique, mais il faut reconnaître qu'à l'heure actuelle, c'est une utopie. Alors je pense que la meilleure mesure que nous puissions prendre maintenant est de continuer à enquêter sur la corruption (sans parti pris) et de punir ceux qui sont impliqués dans de tels scandales. Mon sentiment face au climat de tension qui règne dans le pays est la déception, parfois même le désespoir. Je parle de déception et de désespoir quand je pense au fait que la politique brésilienne porte préjudice à l'image d'un pays aussi merveilleux. L'avenir du pays est une énigme, mais mon cœur optimiste croit qu'après toute cette crise, le Brésil va continuer à se développer de façon exponentielle, et sera reconnu et valorisé. »

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Vinicius, étudiant en histoire à la UNICAMP.

"Une vague fascite"

Vinicius, 20 ans, est étudiant d'histoire en première année à la UNICAMP. Préoccupé pour l'avenir de son pays, il insiste sur "son profond désir de comprendre ce qu'est le Brésil".

"Moi je suis historien, j'ai un regard rétrospectif sur les évènements. J'ai besoin d'attendre que les choses se passent pour ensuite les analyser et voir ce qu'elles me disent sur le futur. Mais aujourd'hui, ce que je peux affirmer, c'est que nous sommes face à une crise qui risque de menacer notre récente démocratie (NDLR : le Brésil a connu une démocratie militaire de 1964 à 1985). Je ne suis pas en train de défendre, ni de critiquer le gouvernement. Je suis juste en train de parler de l'Etat de Droit. Les personnes qui sont descendues manifester dans la rue ne représentent pas la population. Ce sont des gens de la classe moyenne, qui jouissent d'un salaire considérablement élevé si on le compare à celui du reste de population. Néanmoins, le problème majeur ne concerne pas le caractère élitiste de ces manifestations, mais le surgissement d'une vague fasciste au sein même du Brésil. Une vague clairement fasciste. Dans la rue, des gens se sont faits crachés dessus uniquement parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec les manifestants anti-gouvernement. Certains ont même été victimes d'agressions physiques et/ ou verbales. A l'heure actuelle, mes sentiments sont le dégoût, la tristesse. Quant au futur du pays, un seul mot me vient à l'esprit : l'incertitude".

Victor étudie la musique à Brasilia depuis trois ans.

Victor étudie la musique à Brasilia depuis trois ans.

« C'est avant tout une crise politique »

Victor est un apprenti musicien originaire de Minas Gerais. Le jeune homme de 21 ans, qui vit à Brasilia depuis trois ans, estime qu' « une réforme politique devient urgente ».

« A mon avis, ce qu'il se passe au Brésil relève d'une tentative de coup d’État par un groupe politique soutenu par la loi et les médias. Depuis que le gouvernement Dilma a commencé en 2014, des groupes d'extreme-droite tentent de la faire sortir. Et le quasi monopole médiatique de la Globo (NDLR : conglomérat médiatique, qui a notamment soutenu la dictature militaire au Brésil) encourage la haine contre le gouvernement. Les médias traditionnels semblent en savoir plus que la police fédérale sur l'affaire Petrobras. Ils diffusent un flot d'informations, en continu, sur le sujet. Mais ce ne sont que des interférences avant que les dossiers soient réellement étudier. En tant qu'étudiant et jeune citoyen, je ressens une grande émotion à l'idée de pouvoir manifester et de participer au changement du pays. Néanmoins, j'ai l'impression que beaucoup de Brésiliens sortent seulement dans la rue pour hurler une demande d'impeachment, sans vraiment savoir ce qu'ils font et sans vraiment connaître le système politique brésilien. Par exemple, le nom Dilma Roussef n'a jusqu'à présent pas été trouvé dans les documents qui prouvent le paiement de pots de vin, ce qui justifierait juridiquement et légalement un impeachment. Pendant ce temps, son adjoint (Michel Temer) et tous ses autres successeur sont accusés dans les grands scandales. Alors pour moi, il est clair que nous connaissons avant tout une énorme crise politique. Une réforme politique devient urgente, avec la fin des financements privés pour les campagnes politiques, l'utilisation de médias alternatifs etc. »

Marie Gentric et Anne-Flore Roulette pour Fanny Lothaire