Depuis le 1er janvier, le Brésil fait face à une vague de meurtres dans ses centres pénitenciers. Le 2 janvier, quatre prisonniers sont assassinés dans la prison de Puraquequara à Manaus, le 6 janvier une mutinerie au Centre Pénitencier Agricole de Monte Cristo à Boa Vista fait 33 victimes et enfin quatre prisonniers ont été tués dans la nuit de 7 au 8 janvier dans la prison Raimundo Vida Pessoa où une centaine de détenus avaient été transférés après la mutinerie du 1er janvier.
Parmi les pays records de la taille de la population carcérale, le Brésil est dans le peloton de tête, quatrième derrière les Etats-Unis, la Chine et la Russie. En 25 ans, le nombre de détenus a connu un boom explosif passant de 90 mille à 622 mille, une croissance qui n’a pas été accompagnée par l’émergence d'infrastructures nécessaires, aujourd'hui il y aurait presque deux prisonniers pour une place disponible.
Un faible pour les arrestations et les incarcérations qui prime sur la présomption d’innocence. 40 % des prisonniers brésiliens sont des prisonniers provisoires c’est à dire qu’ils n’ont toujours pas été jugés en première instance. De ces prisonniers, 37% sont libérés à la suite de leur jugement. « Plus d’un tiers des personnes emprisonnées provisoirement ne reçoivent pas de peine de prison définitive, c’est une mesure de précaution. Cela montre que nous avons, de fait, un usage excessif de la prison provisoire au Brésil », affirmait en 2016, le Directeur du Département Pénitencier National, Renato De Vitto. Des jeunes en majorité noirs, renvoyés à la case prison par une armée de juges souvent issus de la classe moyenne supérieure et à qui ont a donné une consigne claire: nettoyer les rues de la racaille gênante.
La mutinerie de cette semaine a remis sur le devant de la scène l’emprise des factions criminelles au sein des prisons. La politique d'incarcération massive pour combattre le trafic de drogue n’a malheureusement pas porté ses fruits. Bien au contraire, elle a permis d’amplifier et de fortifier les factions criminelles. Selon André Bezerra, Président de l’Association des Juges pour la Démocratie, « Ca été (la politique d’incarcération systématique) la solution pour lutter contre la violence et la criminalité. Et cela n’a permis en rien une réduction de la violence ou du trafic. Au contraire. A qui tout cela profite ? Au crime organisé. C’est un combustible pour le crime ».
Après 20 ans de paix relative: l’alliance rompue
Pendant près de vingt ans les deux plus grandes factions criminelles du Brésil ont cohabité en harmonie et collaboré, s’apportant entraide face aux autres groupes et soutien aux frontières. Une histoire d’amour qui a pris fin a petit feu jusqu'à l'officialisation du divorce en octobre dernier.
Ce sont les mutineries à Rondonia et Roraima qui avaient donné l’alerte de la rupture complète de l’alliance entre les deux géants, le Commando Rouge (CV) originaire de Rio de Janeiro et le "Premier Comando de la Capital" (PCC, primeiro comando da capital)*, originaire de Sao Paulo. Camila Caldeira Nunes Dias est chercheuse et spécialiste du PCC. Pour elle, c’est la volonté d’expansion des territoires et de la mainmise sur les routes du trafic qui sont à l’origine des affrontements. Le PCC veut sa part de gâteau à Rio, un Etat lucratif pour le trafic.
Ce serait cette rupture qui aurait poussé les alliés du CV, la Famille du Nord, a tué ceux du PCC au sein du pénitencier de Manaus ce week-end.
Comando Vermelho: de la revendication politique au trafic.
Le Comando Vermelho est né à la fin des années 70, pendant la dictature au sein de l’ancien complexe pénitencier de l’Ile d’Ilha Grande au Sud de Rio durant la dictature. Sous la dictature, les «prisonniers politiques » se retrouvaient enfermés avec les prisonniers de droit commun. Communistes, intellectuels, terroristes, guerrilleros se mélangeaient aux voleurs de poules. La prison d’Ilha Grande, surpeuplée, a fait naître un mouvement politique de revendication des droits des prisonniers, transformé en "Comando Vermelho".
La volonté était de se libérer de l’Etat, d’être un contre pouvoir et le slogan adopté fleurait bon l'influence française: Paix, Justice et Liberté. Très vite le groupe se forme et devient le principal instigateur de braquages et de traffic de drogues. Détenant le monopole au sein de l’Etat de Rio de Janeiro, le CV jouit d’une reconnaissance historique mais il est considéré par les spécialistes comme plus sanguinaire qu’organisé. La cooptation des territoires se fait par la guerre, non par la négociation.
Le PCC: l’art du business
C’est aussi au sein de la prison, lieu de prédilection du recrutement, que nait en 1993, le PCC. Bien que beaucoup plus récente que le CV, en quelques années elle est devenue la plus puissante en terme d’organisation et de structure, détenant le monopole dans plusieurs Etats du pays dont celui de Sao Paulo. De fait, le PCC est une vraie entreprise, du code de conduite au bonus mensuels pour les employés le respectant, il arrive a recruter notamment grâce aux avantages qu’il propose : un plan de santé, une assistance juridique et funéraire (au cas où les choses tournent mal), de meilleures conditions dans les prisons et un soutien dans les pays frontaliers.
Le Gouvernement se positionne
Alexandre de Moraes, ministre de la Justice a affirmé ce mardi que la mutinerie au sein du Complexe de Manaus ne s’explique pas seulement par la guerre des factions. Selon lui, plus de la moitié des prisonniers tués n’avaient aucun lien avec les factions criminelles. Le problème majeur serait la corruption qui favorise l’accès aux armes des prisonniers dangereux. En effet, la corruption elle a, mais rien ne sert de diminuer le phénomène des factions : corruption et omniprésence des gangs sont intrinsèquement liés.
Après quatre jours de silence, le Président brésilien Michel Temer a pris la parole pour faire part de ses condoléances aux familles des victimes mais aussi pour annoncer une série de mesures devant endiguer le phénomène. Le gouvernement souhaite améliorer la coopération entre les organes étatiques et fédéraux.
De plus, 1,2 milliard de réaux ont été libérés par le Fond National Pénitencier dont 800 millions doivent servir à la construction de nouvelles prisons. Le Gouvernement a aussi prévu la construction de cinq centres destinés aux détenus les plus dangereux. Afin de limiter la gestion des factions depuis les complexes pénitenciers, un budget de 150 millions de réaux est destiné à l'installation dans 30% des prisons de systèmes de blocage de communications téléphoniques.
Le Gouvernement souhaite aussi réviser les système des peines, des peines plus lourdes pour les crimes plus violents alors que les crimes plus légers devraient être traités par des peines plus légères ou alternatives. Et enfin une présence plus actives aux frontières.