Après la mort d’un expulsé afghan et une blague douteuse sur l’augmentation des expulsions outre-Rhin, les appels à la démission du ministre de l’Intérieur allemand se multiplient.
“Pile pour mon 69e anniversaire - je ne l’ai pas commandité comme ça - 69 personnes ont été reconduites en Afghanistan. Ca dépasse largement ce qui était de coutume auparavant”, s’est félicité mardi le controversé ministre de l’Intérieur allemand Horst Seehofer. Ce qui était perçu comme une mauvaise blague au départ, pourrait désormais causer de sérieux ennuis politiques au président de la CSU conservatrice : dans la journée de mercredi, l’Allemagne a appris qu’un des Afghans expulsés s’était suicidé à Kaboul. Âgé de 23 ans, l’homme avait vécu en Allemagne pendant huit ans. Il a été retrouvé pendu dans un logement temporaire mis à disposition par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Les services d’immigration de Hambourg en charge de son expulsion l’ont justifié par des condamnations pour vol, pour tentative de blessure corporelle grave, pour violation de la loi sur les stupéfiants et pour opposition aux forces de l’ordre.
Vives critiques de l'opposition - et de la coalition
Néanmoins, nombre de politiciens allemands se montrent choqués par la politique menée par Horst Seehofer. Plusieurs membres de l’opposition, mais aussi du SPD partenaire de coalition de CDU et CSU, réclament même sa démission. Parmi eux, la porte-parole de la gauche, Ulla Jelpke : “Un ministre de l’Intérieur qui se réjouit publiquement de renvoyer des personnes dans un pays en guerre manque visiblement non seulement d’humanité, mais aussi de qualification pour son poste”, s’est-elle indignée. “La situation sur place s’empire, mais l’Allemagne multiplie les expulsions. Ce n’était qu’une question de temps avant que cela ait des conséquences mortelles.”
Le président des Jeunes sociaux-démocrates Kevin Kühnert a accusé le ministre sur Twitter d’être “un cynique lamentable et pas à la hauteur émotionnelle de son poste”. Pour lui, la démission s’impose depuis longtemps.
https://twitter.com/KuehniKev/status/1016995346210226176?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.welt.de%2Fpolitik%2Fdeutschland%2Farticle179155766%2FAbschiebung-Aus-Deutschland-abgeschobener-Afghane-erhaengt-sich-in-Kabul.html
L’ancienne ministre de la Famille Renate Schmidt a publié une lettre ouverte très remarquée dans laquelle elle dénonce la politique d’immigration de Horst Seehofer comme “trahison des valeurs que représentent l’Allemagne et l’Europe”.
Sujet numéro 1 dans les médias allemands
La presse allemande ne manque pas non plus de critiquer le “plaisir déplacé au malheur d’autrui” (Frankfurter Rundschau) que prendrait le ministre, totalement “orbánisé” (Hamburger Abendblatt). Sous le titre “Pas drôle”, Zeit a publié un article d’opinion de la journaliste Vanessa Vu, pour qui la “blague” de Horst Seehofer est un “déraillement méprisant pour le genre humain, qui coûte cher à d’autres”. Spiegel qualifie de “tragédie” la manière dont Horst Seehofer s’autodétruit sur l’échiquier politique avec sa nouvelle ligne dure : jusque-là, il était plutôt connu et moqué comme conservateur défenseur des maillons faibles de la société.
Le "plan directeur" : durcir la politique d'accueil
Aujourd’hui, l’augmentation des expulsions fait partie des priorités du ministre de l’Intérieur en place depuis mars. Sur les 69 personnes reconduites dans leur pays d’origine, 51 ont été envoyées par la Bavière, le Land de Horst Seehofer et de son parti la CSU. Les mots douteux sont tombés lors de la présentation de son “Plan directeur pour l’asile” (Masterplan Asyl) mardi dernier - le même plan qui a entraîné des semaines de bras de fer entre Horst Seehofer et la chancelière et qui a bien failli détruire le gouvernement allemand.
Des activistes pro asile critiquent le fait que l’Allemagne ne se contenterait plus d’expulser uniquement les délinquants, personnes radicalisées et fraudeurs d’identité. Désormais, même des “personne bien intégrées” comme des élèves en formation professionnelle seraient reconduites dans leurs pays d’origine.
Interrogé au sujet du jeune Afghan qui s’est pendu à son retour à Kaboul, Horst Seehofer a rappelé que ce n’était pas l’Etat qui sélectionne les personnes à expulser, mais les Länder, et a rejeté sa démission. Le suicide serait un “événement très regrettable”, a-t-il dit.
Mais cela ne semble pas suffire pour concilier les Allemands : une pétition en ligne, qui demande la démission du ministre depuis deux semaines déjà, vient d'exploser : plus de 85 000 personnes l'ont signé à ce jour.
Par Anja Maiwald