Horst Seehofer: qui est ce ministre qui a bien failli faire chuter Angela Merkel ?

DPA

Il veut durcir nettement la politique migratoire de l'Allemagne, et s'est opposé frontalement à la chancelière. Horst Seehofer, le très conservateur ministre de l'Intérieur, a failli provoquer non seulement la fin du gouvernement allemand, mais aussi de l’ère Merkel et même du système traditionnel des partis allemand.

Cela fait 100 jours que Horst Seehofer est au gouvernement allemand. Mais cette courte période aura suffi pour ébranler non seulement sa propre carrière, mais aussi celle de la chancelière. Le président de la CSU, ce parti frère bavarois de la CDU qui pèse 6% des votes sur l'échiquier politique allemand, est à l’origine d’une crise gouvernementale sans précédent. Hier, il a joué sa crédibilité politique et l’avenir du cabinet Merkel.

L'avenir du gouvernement allemand est entre ses mains

Nommé ministre de l’Intérieur en mars dernier, il a fait de l’immigration son cheval de bataille - et a révélé les désaccords profonds qui divisent les conservateurs de la CDU et de la CSU. Refuser à la frontière tout réfugié sans papiers ou déjà enregistré dans un autre État européen, voilà son plan radical qui a fédéré des larges parties de l’Union, mais qui s’oppose à la ligne de plus en plus isolée d’Angela Merkel. La chancelière insiste pour trouver une solution européenne à la “crise migratoire”. Il y a deux semaines, Horst Seehofer lui a lancé un ultimatum pour trouver un accord européen plus restrictif sur l’immigration. Mais les résultats du sommet de vendredi ne l’ont pas satisfait.
Alors le ministre a menacé : soit il fait passer sa réforme sans l'accord de la chancelière, risquant ainsi de précipiter la fin de l’union historique CDU/CSU et donc du gouvernement allemand en place depuis mars seulement, soit il démissionne de ses fonctions. Les deux auraient des incidences importantes sur le paysage politique allemand.

Quand tout a commencé : en 2015, Horst Seehofer critique publiquement la politique d'asile d'Angela Merkel lors de l'assemblée générale de la CSU à Munich, alors qu'elle est présente. (DPA)

Inutile de dire que Horst Seehofer fait partie de l’aile la plus à droite de l’union. Fils d’ouvriers bavarois, il a grandi dans un milieu modeste, conservateur et catholique de la petite ville d’Ingolstadt, où il a toujours sa résidence principale. Formé à l’administration, il rejoint la CSU dès ses 22 ans, siège pour le parti au Bundestag à partir de 1980, et s’engage notamment comme chef de la fraction des salariés. Il sera ministre de la Santé dans le gouvernement Kohl, puis ministre de l’Agriculture dans le premier cabinet d’Angela Merkel en 2005.
Son ascension dans le parti bavarois va être violemment interrompu par la révélation d’un scandale familial en 2007 : le quotidien Bild dévoile la longue relation extra-conjugale et l’enfant illégitime de l’élu, qui s’est toujours vanté de ses convictions conservatrices et chrétiennes. L’affaire va lui coûter sa candidature à la présidence du parti. Mais quelques mois plus tard, il remplace le président qui se retire, et restera en poste jusqu’à ce jour.
Le sexagénaire fête ses dix ans à la tête de la CSU cette année, et a également passé presque dix ans comme ministre-président de la Bavière : il dirigeait son Land depuis 2008, élu deux fois de suite.

Premier opposant à la politique d'asile de la chancelière

En décembre dernier, Horst Seehofer est poussé à ne plus candidater à cette présidence pour pouvoir à nouveau intégrer le gouvernement. Depuis mars, il est  ministre de l’Intérieur dans le quatrième cabinet Merkel - et se focalise sur la problématique migratoire. Le conflit sur la politique d’accueil, déclenché en 2015, reprend de plus belle entre lui et la chancelière. Quand Angela Merkel avait poussé son pays à maintenir les frontières ouvertes et à accueillir plus d’un million de réfugiés, Horst Seehofer s’y était frontalement opposé, et avait même menacé de lancer un recours constitutionnel. Il est l’auteur de phrases marquantes comme “L’islam ne fait pas partie de l’Allemagne” et se rapproche de dirigeants européens hostiles à l’immigration, comme le Hongrois Viktor Orbàn et l'Autrichien Sebastian Kurz.
Quand aux élections fédérales de 2017 la droite populiste de l’AfD récupère des larges parties de l’électorat des conservateurs et démontre l’importance qu’a pris la question migratoire dans l’opinion publique, Horst Seehofer se sent conforté dans sa volonté de réformer le système profondément.

Une lutte de pouvoir acharnée

Or, les tentatives du ministre ne portent pas les fruits espérés : après le clash avec la chancelière de ces derniers jours, la CSU recule dans les sondages et va probablement perdre la majorité absolue en Bavière lors des prochaines élections régionales prévues à l'automne. Que Seehofer rejette maintenant une solution européenne qui reprend largement les réclamations de la CSU - établir un système d’asile uniforme, renforcer les frontières européennes, empêcher l’immigration illégale et l’immigration secondaire - révèle à quel point la situation s’est déliée du contenu et s’est transformée en une lutte de pouvoir acharnée.

Samedi, lors de la dernière rencontre entre Horst Seehofer et la chancelière, les visages étaient tendus. (DPA)

Si Horst Seehofer démissionne dans les jours qui viennent, ce ne sera pas la première fois qu’il perd à ce jeu face à Angela Merkel. En 2004, les deux - à l’époque elle est présidente et lui vice-président de la fraction CDU/CSU - se sont déjà déchirés sur la question du financement du système de santé. Conservateur, mais paradoxalement attaché à certaines valeurs sociales-démocrates, Horst Seehofer ne voulait pas augmenter les cotisations pour les bas salaires comme le prévoyait la proposition d’économie de la CDU, et exigeait au contraire plus de prestations. Mais Angela Merkel s’est imposée, Horst Seehofer s’est retiré de ses fonctions. L’histoire se répète-t-elle?

Encore une fois, Horst Seehofer est allé très loin dans ses revendications et provocations. Mais le pari a finalement payé: la chancelière a accepté une mesure qu'elle avait toujours refusé, la création de centres de transit pour les migrants sans-papiers et l'expulsion des réfugiés déjà enregistrés dans un autre pays européen. Seehofer reste finalement en poste, et va ainsi continuer à mettre la pression sur une Angela Merkel passablement affaiblie par cette séquence politique inédite.

 

Par Anja Maiwald