Depuis dimanche dernier, difficile d'y échapper. L'Allemagne doit s'y faire, un nouveau parti a fait son trou dans le jeu politique allemand. À l'extrême-droite. L'AfD (Alternative pour l'Allemagne) a été créé il y a 3 ans mais il n'a pourtant toujours pas de programme digne de ce nom. Et depuis quelques jours les fuites se multiplient sur les ébauches de celui-ci. Avec des confirmations, comme la stigmatisation de l'Islam et le repli sur soi, mais aussi une surprise...
C'est une anomalie qui en dit long sur le profil de l'AfD et de ses électeurs. Un parti qui aspire le vote protestataire, séduit les mécontents de la politique d'Angela Merkel envers les réfugiés sans pour autant avoir de programme défini. Une anomalie à laquelle il sera remédié fin avril, lors d'un congrès de deux jours. En attendant ce grand rendez-vous, les cerveaux de l'AfD fument. Avec un objectif, aller au-delà des thèmes fondateurs de l'AfD, la sortie de l'euro bien sûr, mais aussi la crise des réfugiés. Forts de leur succès aux trois élections régionales, le parti et son égérie, Frauke Petry, doivent à présent se tourner vers les législatives de 2017 et prendre position sur tous les sujets. Impatients, des médias allemands ont déjà laissé fuiter les grandes lignes du futur programme. Avec des confirmations, et une surprise.
Premier à avoir sorti l'artillerie, Der Spiegel. Dans sa dernière édition, l'hebdomadaire de référence publie des e-mails internes du comité central pour qui l'Islam doit constituer le sujet central de la communication du parti. Non pas parce que l'Islam est un sujet décisif pour le pays, mais parce qu'il est celui qui polarise le plus et permet de récupérer un grand nombre d'électeurs. Toujours selon ces révélations du Spiegel, l'AfD veut "taper fort" pour obtenir le plus d'écho médiatique possible. Pari tenu si l'on en croit d'autres révélations, faites par Correctiv, collectif indépendant de journalistes d'investigation qui a publié un document présenté comme le projet de programme de la direction. Soixante-douze pages où l'Islam figure en bonne place : interdictions de minarets et d'appels à la prière lancés par le muezzin, du port du niqab ou encore de la circoncision.
Autre grande ligne, le grand coup de barre libérale. Frauke Petry le répète à l'envi, elle ne veut pas du "programme économique communiste prôné par le Front National français". Une orientation qui devrait intéresser les électeurs de l'AfD, eux qui se voient comme les perdants de la bonne santé économique allemande. Sur la table: un État le moins interventionniste possible, une ouverture aux monopoles et les mains libres laissées au marché. Une logique qui appelle à la suppression de l'impôt sur les successions, outil pourtant majeur du combat contre les inégalités sociales. Pour diminuer la dette de l'État, l'AfD prévoit des coupes sévères. Les allocations chômage seraient ainsi privatisées. Seuls pourraient s'assurer ceux qui en ont les moyens. Dans un pays où l'écart entre les plus riches et les plus pauvres n'a jamais été aussi important.
Les femmes en prennent, elles aussi, pour leur grade. Toujours selon le document révélé par le collectif Correctiv, l'AfD prône le "modèle de la famille traditionnelle". Celle de la mère au foyer et du père nourricier, avec un refus de subventionner les crèches alors que l'Allemagne connait un fort déficit de structures d'accueil pour les plus petits. La législation sur l'avortement est également dans le viseur de l'ébauche révélée. Il est fait allusion à un accès à l'avortement rendu plus difficile, voire même son interdiction. Tout comme des campagnes de sensibilisation sur les conséquences générées par un avortement, comme la dépression.
Au pays champion des énergies renouvelables, l'AfD se devait aussi de se positionner sur le changement climatique. Lequel est d'ailleurs contesté dans le fameux document. Citation repérée par l'hebdomadaire Die Zeit: "Le dioxyde de carbone n'est pas polluant mais un élément indispensable à toute vie". Le combat contre le changement climatique ne serait qu'un outil pour limiter la liberté de chacun d'entreprendre. Le parti souhaite également revenir sur la sortie du nucléaire et prolonger la durée de vie des centrales allemandes. Tout en finançant la recherche pour des réacteurs de nouvelles générations.
Et la sécurité dans un état fédéral où la criminalité est en baisse constante depuis la réunification ? Les mineurs pourront être envoyés en prison dès l'âge de 12 ans et l'accès aux armes à feu pour les personnes privées ne doit pas être restreint. La sortie de l'Union européenne sonnant quant à elle de facto la fermeture des frontières. Seule véritable surprise dans ce programme certes encore à l'état de projet, la libéralisation des drogues avec un marché contrôlé par la force publique. Rendez-vous est pris pour les 30 avril et 1er mai prochains à Stuttgart, et le congrès de l'AfD.
Par Julien Méchaussie