Débrayage, revendications et visite officielle, la 47e édition du festival BD d’Angoulême sera mouvementée. Les auteurs en ont ras-la-bulle et vont le faire savoir.
« Posez vos crayons », le mot d’ordre est lancé sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours. Vendredi à 16H30, scénaristes et dessinateurs sont invités à déserter les dédicaces, se libérer des rencontres, à stopper toute activité professionnelle à Angoulême comme partout en France. Et d’autres actions « surprises » se préparent discrètement pour se servir du festival comme caisse de résonance. Il faut dire que la mayonnaise monte depuis quelques années sur le statut des auteurs et leurs rémunérations. A longueur de festivals comme au dernier salon du livre jeunesse de Montreuil en novembre ou celui de Livre à Paris en mars dernier, les auteurs affichent leur mécontentement.
Un auteur sur trois en dessous du seuil de pauvreté
Les revendications sont multiples. Elles portent sur la place de l’auteur, les droits et cotisations sociales, la retraite et, point crucial, les revenus. Les auteurs, à travers leurs organisations, ne cessent d’alerter sur la paupérisation de la profession. Selon une étude des Etats généraux de la bande dessinée, 53 % des auteurs vivent avec des revenus inférieurs au SMIC, 36% sont en dessous du seuil de pauvreté. Et pour les autrices, c’est pire puisque plus d’une sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté. « Les revenus ont dégringolé et vite. Il y a un peu plus d’un an, une grande maison d’édition pouvait vous proposer en avance sur droits 20 000 euros pour un roman graphique d’environ 200 pages nécessitant une année de travail. Aujourd’hui, la même grande maison d’édition ne vous donne que 5000 euros », explique Denis Bajram, président de la Ligue des auteurs professionnels. Le dessinateur et scénariste d'Universal War anime cette association qui compte d'autres illustres signatures comme Joann Sfar (Le Chat du Rabbin), Christophe Arleston (Lanfeust) ou Benoît Peeters (Les Cités obscures).
Les ratés de Franck Riester
Si la tension monte c’est aussi parce que l’économie de la bande dessinée se porte bien. Un chiffre d’affaire de 510 millions d’euros en 2018 (source Gfk), plus de 5000 titres publiés chaque année et des ventes hors manga qui ont progressé de 9,9% au premier semestre 2019. Le gâteau ne serait pas assez partagé pour celles et ceux qui sont à la base de cette économie, en somme les premiers producteurs. Et l’année de la BD lancée par le ministre de la Culture n’a pas calmé le jeu. « Une année de la BD, formidable, mais où sont les auteurs ? Ejectés, aucune proposition nous concernant n’a été faite pour cet événement, c’est incroyable», commente Denis Bajram. Franck Riester secoué aussi par Marion Montaigne, présidente du jury du festival d’Angoulême. Elle s’est ouvertement déclarée sur France Inter opposée à la venue du ministre de la Culture si celui-ci ne rendait pas public le rapport Bruno Racine.
Un rapport et des attentes
Gardé sous le coude par le ministère de la Culture pour d’obscures raisons, celui-ci a été mis en ligne sous la pression une semaine avant le début du festival. Bruno Racine, ex-président de la BNF, a réussi à tempérer les passions. Ce rapport commandé par le ministère de la Culture fait état de la situation des auteurs et établit 23 recommandations. « Nous n’avons plus besoin de prouver une réalité que nous connaissons par coeur. Le rapport Racine établit un constat que nous partageons et il propose des solutions », se réjouit Denis Bajram. Avec 141 pages qui ne se lisent pas aussi facilement qu’un album de Tintin, le document est complet, roboratif pour les auteurs. Cependant, il ne chiffre pas ses recommandations. Qui va payer et comment ? Et c’est précisément là, après les auteurs et les éditeurs, que le troisième acteur, l’Etat, est censé entrer en piste. Pour réguler ou investir ? Le président de la République sera jeudi après-midi au festival d’Angoulême. Même s’il ne fixera pas précisément les engagements que prendront les pouvoirs publics, il pourrait en définir l’esprit. L’espoir est grand, l’attente aussi.