Enseignant, un métier solitaire davantage exposé aux risques psychosociaux

@AFP

C’est VousNousIls qui nous a mis la puce à l’oreille, cette semaine, en citant une étude menée par deux membres de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) qui ont comparé l’exposition des enseignants aux risques psychosociaux à celle des cadres, notamment du privé. L'étude, qui « rejoint l'idée qu'enseigner tend vers un métier solitaire », conclut que les enseignants sont « plus exposés aux facteurs de risques psychosociaux que les cadres ».

Les risques psychosociaux, kézako ?

Par risques psychosociaux (RPS), on entend : « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». Les RPS peuvent déboucher sur une souffrance qui se traduit « sous forme de blessure, maladie ou harcèlement sexuel, mais également sous forme de stress, mal-être ou harcèlement moral au sein de l’environnement de travail ».

Les auteurs de l’étude sont partis des six dimensions de facteurs de RPS établies par un Collège d’expertise, afin de créer des indices d’exposition aux RPS pour l'ensemble des professions :

- l’intensité au travail (travail sous pression, contraintes de rythme et de temps, difficulté de conciliation entre vie professionnelle et personnelle, exigence de compétences élevées)

- les exigences émotionnelles, liées à la nécessité de maitriser ses émotions, notamment face à un public

- l’autonomie et les marges de manœuvre (possibilité d’être acteur, de participer aux décisions, d’utiliser ses compétences et de s’épanouir)

- les rapports sociaux au travail (relationnel entre le salarié et sa hiérarchie ou ses collègues, reconnaissance de son travail)

- les conflits de valeur et le sens du travail (situations où on demande à une personne d’agir en contradiction avec ses valeurs professionnelles ou personnelles)

- l’insécurité économique (risque de perdre son emploi, changements non maitrisés de la tâche ou des conditions de travail).

S’appuyant sur une étude de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) datant de 2013, l’étude porte sur 11 219 personnes (1 610 enseignants, 4 290 cadres de la fonction publique et 4 012 cadres du privé) séparées en 7 catégories selon notamment qu’elles sont en contact avec du public ou non : enseignants du premier degré, du second degré, du supérieur, cadres de la fonction publique en contact avec le public, autres cadres de la fonction publique, cadres du privé en contact avec du public, autres cadres du privé.

L’originalité de cette étude est donc de comparer, avec des données et des outils d’analyse identiques, différentes populations au travail, afin de mettre en exergue les caractéristiques de la population enseignante – et en son sein, le premier et le second degré.

Enseigner, un métier particulier

Voici un bref résumé des résultats de l’étude, point par point, avec quelques chiffres significatifs.

Intensité et complexité du travail : « les enseignants du premier degré sont, de loin, les plus exposés à l’intensité et à la complexité du travail, suivis par les cadres en contact avec un public. Les moins exposés sont les enseignants du second degré et les cadres sans contact avec un public ». Un chiffre : 91,2% des enseignants du premier degré et 86,5% de ceux du second disent continuer à penser à leur travail même quand ils n’y sont pas, contre 59,2% en moyenne (48,6% pour les cadres du privé sans contact avec du public).

Intérêt du travail : « les enseignants du premier degré se démarquent par rapport aux cadres, du privé notamment. En effet, ils sont plus nombreux à exprimer le plaisir, la fierté et l’utilité du métier. Quant aux enseignants du second degré, leur part est plus proche de celui des cadres ». En revanche, la part des enseignants « qui déclarent ne pas être fiers du travail bien fait ou ne pas avoir l’occasion de développer leurs compétences professionnelles est plus importante que celle des cadres ».

Comportements hostiles subis : « dans l’ensemble, peu d’enseignants et de cadres disent avoir subi de situations difficiles sur leur lieu de travail, dans sa forme la plus extrême. Les cadres en contact avec un public et les enseignants du second degré ont les pourcentages les plus élevés, tandis que les enseignants du premier degré semblent plus épargnés ».

Manque de soutien hiérarchique : ce domaine englobe des choses très variées comme le matériel, la formation, et pas seulement les rapports avec les supérieurs hiérarchiques. De ce point de vue d’ailleurs, il y a moins de tensions avec les supérieurs hiérarchiques en primaire (21,4%) qu’en secondaire (26,9%) et que la moyenne (29,9%), même si les instits estiment davantage que leur supérieur hiérarchique ne les aide pas à mener leurs tâches à bien (38,7% contre 20,8% en moyenne, 15,8% pour les cadres du privé). Globalement, les enseignants déclarent « manquer de soutien de leur hiérarchie et de moyens nécessaires pour bien faire leur travail, tant au niveau du matériel que de la formation » ; les instits sont ceux qui se plaignent le plus du manque de matériel adapté pour effectuer correctement leur travail (46,6% contre 19,8% en moyenne, 8,9% pour les cadres du privé). Les enseignants en général regrettent une formation continue insuffisante et inadaptée : 80,7% des instits, 63,8% des profs de secondaire, contre 37,1% pour l’ensemble, 27,1% pour les cadres du privé. Les instits expriment davantage le manque de reconnaissance : 56% pensent qu’ils ne reçoivent pas le respect et l’estime que mérite leur travail (36,6% dans le secondaire, 23,6% chez les cadres du privé).

Exigence émotionnelle : « tous les métiers en contact avec un public déclarent ressentir des tensions avec leur public. De fait, ils ont un indice moyen d’exposition de ce facteur de RPS très élevé et doivent maitriser leurs émotions ». 87,5% des instits (85,3% des profs de secondaire) sont en contact avec des personnes en situation de détresse, contre 53,4% pour l’ensemble. 92,1% des instits (91,3% pour les profs de secondaire) ont été amenés à devoir calmer des gens, contre 63,5% pour l’ensemble. Les instits sont aussi ceux qui sont le plus sujet aux agressions verbales de la part du public (38,1% contre 22% pour l’ensemble). Les profs sont les seuls à devoir majoritairement cacher leurs émotions ou faire semblant d’être de bonne humeur (51%, contre 33,8% pour l’ensemble).

Tensions dans l’encadrement du personnel : sans surprise, « les enseignants sont rarement amenés à superviser d’autres collègues et ils déclarent donc subir moins de tensions liées à l’encadrement de personnel que les cadres ».

Manque de soutien entre collègues : ici les enseignants de secondaire se distinguent de ceux de primaire, décrivant un manque de relationnel avec leurs collègues supérieur à la moyenne, quand les instits sont en-dessous de la moyenne. Le travail solitaire distingue les enseignants : 72,7 % des enseignants du premier degré et 83,6 % et du second degré déclarent travailler seul (moyenne de l’ensemble 54,7%). « A noter que l’ambiance et le relationnel entre collègues tend à se dégrader avec l’âge, notamment pour les enseignants du premier degré », indique l’étude.

indice global

Plus exposés que la moyenne parce que plus seuls ?

Tous ces indices d’exposition pris en compte, l’étude propose une synthèse : « L’indice global d’exposition aux facteurs de RPS indique que les enseignants, hormis ceux du supérieur, ont une exposition moyenne significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré ».

Les enseignants se détachent clairement des cadres, même ceux en contact avec du public. Les enseignants de primaire ressentent plus de tensions psychosociales dans leur métier, notamment au niveau de l’intensité, de la complexité du travail et du manque de soutien hiérarchique. « Ce constat rejoint l’idée qu’enseigner tend vers un métier solitaire où le rapport social est peu sollicité en dehors des élèves, même sur le plan du partage et de la transmission de son expérience ».

Il est tentant de faire le lien entre les résultats de cette étude et l’augmentation du nombre de démissions chez les profs, dont on a pas mal parlé la semaine dernière (sur ce sujet, à nuancer, lire impérativement ce salutaire article). Tentant aussi d’y trouver les explications à l’épuisement professionnel des enseignants (on parle d’un prof sur 6 en situation de burn out).

On préfèrera ici renvoyer au rapport 2016 du médiateur de l’éducation nationale, qui portait sur les ressources humaines dans l’EN et… sur les risques psychosociaux chez les enseignants. Le médiateur, qui pointe également la dimension solitaire du métier (« le métier d’enseignant, tel qu’il est actuellement, isole trop souvent ») rappelle notamment qu’un rapport du Sénat « établit le constat que la souffrance ordinaire des enseignants reste largement invisible de l’institution scolaire et de la hiérarchie administrative ». Avant de conclure : « Le bien-être des enseignants induit le bien-être des élèves ou des étudiants et donc leur réussite, celle du système scolaire et universitaire. Conscience doit être prise et partagée de cette évidence. »

 

Nota : sur l’augmentation du nombre de démissions dans l’EN, on pourra lire ceci.

Sur le burn out enseignant, un post sur la dernière étude en date (2012).

Sur le rapport 2016 du médiateur de l’EN : ce billet sur le mal-être enseignant, et celui-ci sur les ressources humaines dans l’EN.

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