Primaires à droite et école : des petites phrases qui en disent long

Ces derniers jours et à mesure qu’approchent les primaires à droite, les prises de parole se multiplient sur l’école. Plus exactement, les "petites phrases" car, quand ils ont le temps, les candidats n’en parlent pas trop, de l’école : lors du dernier débat, jeudi 3 novembre, le sujet, pourtant déclaré d’importance par tous, a été relégué en fin d’émission et balayé en 10 minutes (il était visiblement plus important de parler de Bayrou).

Pour Sarkozy, les profs travaillent 6 mois par an

Le 18 octobre, l’ancien président choisit France Inter pour redire ce qu’il a déjà dit au printemps : « Je veux dire aux enseignants qu’on ne peut pas continuer comme ça. Un agrégé, c’est-à-dire le sommet en matière de compétences, c’est quinze heures d’obligation de service par semaine, six mois de l’année. Un certifié, c’est dix-huit heures d’obligation de service par semaine, six mois de l’année. Et un professeur des écoles c’est vingt-quatre heures d’obligation de service par semaine, six mois de l’année. Ça veut dire qu’un prof commence à 1.600 euros. Il faut absolument revaloriser la fonction enseignante, qui est très utile, qui est très difficile, et il faut en même temps augmenter la durée de présence des enseignants dans les établissements scolaires. Donc les enseignants travailleront plus, entre 20-25 % d’obligation de présence dans les établissements en plus.»

Les profs travaillent 6 mois de l’année (répété trois fois), entendent donc 3,7 millions de français (les profs, eux, sont pour la plupart au boulot, ils découvriront en rentrant). Quelques minutes plus tard, interrogé par un prof auditeur qui conteste, Sarkozy enfonce le clou : « On peut contester tout ce qu'on veut mais enfin, y'a des faits. Et je dis à François que pour moi, le travail d'enseignant est un travail extrêmement noble, extrêmement difficile. Bon. Mais on ne peut pas contester qu'il y a, dans l'organisation du calendrier scolaire, 6 mois de classe et 6 mois où il n'y a pas classe. »

Réactions amusées des profs

Dans les minutes et heures qui suivent, tous les sites d’information, à l’exception notable du plus lu, le Figaro, publient des articles pour rétablir la vérité : Sarkozy inclut les weekends dans son calcul. A ce tarif-là, un salarié du privé travaille 7 ou 8 mois par an.

@lelab.europe1

@lelab.europe1

9 mois de l’année, donc, et pas 6.

Si certains profs sont plus qu’énervés, beaucoup préfèrent en rire. Jean-Jacques le Mag, le journal satirique créé par des profs et bien connu dans le milieu enseignant, se régale (lire ici, ça vaut le détour).

Les réseaux sociaux partagent massivement des publications ironiques :

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@Jack Koch

@Jack Koch

 

Sur twitter, un hashtag éphémère voit le jour : #CompteCommeSarkozy

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La palme revient sans doute à ce devoir de l’élève Sarkozy, partagé des dizaines de milliers de fois.

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Woerth et les députés en renfort

Deux jours plus tard, le revenant Eric Woerth, fidèle parmi les fidèles de l’ancien président, est l’invité de l’émission .pol (le Lab Europe1/ Linternaute.com/ le Huffington Post/ le JDD).

Interrogé sur les propos de son mentor, Woerth confirme sans ciller : « C’est pas complètement faux : 180 jours, ça fait six mois ». Selon cette logique, puisque les instits travaillent 24 heures hebdomadaires en classe, il n’est pas complètement faux de dire qu’ils ne travaillent qu’un jour par semaine : 24 heures, c’est une journée, au fond.

Nettement moins médiatisée, la sortie du député Vincent Ledoux n’a été relevée que par le Café Pédagogique. Le 26 octobre, alors que Pascal Demarthe présente en commission son rapport sur la revalorisation des enseignants, le député LR du Nord (qui voulait légiférer sur Pokemon Go, c’est dire s’il connait les priorités) interpelle le rapporteur : si les profs français sont moins payés qu’ailleurs, ce qu’il reconnait, c’est parce que, par rapport à nos voisins, « le nombre d’heures travaillées est de 2 à 4 heures de moins pour les enseignants de l’école primaire, et de 4 à 6 pour les autres ».

Pas de chance, Demarthe est enseignant en primaire, il connait plutôt bien son sujet, lui. Réponse : « Concernant le nombre d’heures travaillées, on est un peu dans l’erreur par rapport à ce que vous avez annoncé sur l’école primaire, puisque les professeurs des écoles travaillent plus en France, 924 heures par an, que la moyenne des enseignants de l’OCDE qui est de 782 heures. » Il aurait également du préciser que ces heures constituent les obligations de service et ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Positionnement politique clair

Toutes ces contre-vérités, cette désinformation assez récurrente sur le temps de travail des enseignants s’expliquent : d’une part, par une méconnaissance évidente de tout ce qui relève de l’école et de ce qui s’y passe. D’autre part, il n’aura échappé à aucun observateur qu’en matière d’éducation la première mesure des candidats à la primaire de droite, s’ils parviennent au pouvoir, consistera à faire des économies en supprimant des postes dans l’Education Nationale (de 70.000 pour Juppé à 170.000 pour Fillon, au vu des postes de fonctionnaires visés). Evidemment, pour justifier cela, il faut nécessairement laisser penser que les profs ne travaillent pas beaucoup, qu’ils doivent donc travailler plus, ce qui permettrait de supprimer des postes sans conséquence.

Par ailleurs, quand Sarkozy ou Woerth lancent ce genre de petites phrases, ils savent parfaitement que cela va être largement repris, et qu’ils vont ainsi toucher leur cœur de cible. Or, une partie non négligeable de cet électorat est traditionnellement anti-fonctionnaire et anti-prof, Sarkozy lui donne donc à entendre ce qu’il veut et ancre son positionnement idéologique et politique. Tout de même, venir à France Inter, radio largement écoutée par les enseignants, pour proférer de telles énormités ressemble fort à une déclaration de guerre. Cliver, opposer, outrer les positions : on connait la méthode.

Pourquoi mentir, puisque tout se sait ?

On l’a dit, les déclarations de l'ancien président ont été suivies de nombreux papiers rectificatifs : Europe 1, LCI, le Parisien, Libération, 20 minutes, France Soir… Aujourd’hui, avec Internet, il est facile de rétablir la vérité en quelques minutes, voire quelques secondes. Alors, pourquoi continuer à mentir ?

Outre les positionnements politiques évoqués ci-dessus, il y a cette vieille technique de com’ : une désinformation + une rectification, ça fait deux infos et donc plus de présence médiatique. D’autre part, pour peu que vous choisissiez correctement votre média, il y aura toujours plus d’audience pour écouter la séquence initiale que pour lire les papiers de désintox. 3,7 millions d’auditeurs chez Pat Cohen le matin, quelques centaines de milliers de lecteurs des papiers de désintox l’après-midi : il reste encore payant de balancer des chiffres énormes à des heures de forte audience.

Qu’on ne s’y trompe pas : l’éducation n’est qu’un exemple, il n’y a aucune raison que les mensonges des candidats se limitent à ce sujet. D’où l’importance accrue, dans la campagne présidentielle qui s’annonce, des sites de fact-checking et des rubriques de désintox, qui avaient explosé lors de la campagne de 2012. Mais pour que la balance ne soit plus positive pour un candidat tenté par la désinformation, il faudrait que l’audience de la désintox égale celle de l’intox. A cet égard, il est tout à fait souhaitable que les futurs grands débats télévisés et les grandes émissions où les politiques ont la parole, dans les mois à venir, comportent tous un volet désintox afin de rétablir les vérités en quelques minutes (si les sites web peuvent le faire, alors les TV aussi).

Par ailleurs, on peut aussi redire l’importance du jugement critique exercé par chacun, le devoir de tous de vérifier les informations et de varier ses sources.

 

Nota : si on veut se rafraichir les idées sur les chiffres de l'école française, on consultera les chiffres de l'OCDE dans ce papier. Et si on veut savoir ce que les profs font quand ils n'ont pas d'élèves, il y a ce post sur le travail invisible.

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