Femmes combattantes #5 : Boadicée, une reine contre Rome

Boadicea Haranguing The Britons. John Opie, R.A. (1761-1807). Oil On Canvas.

Largement absentes de l’histoire des guerres, les femmes y ont pourtant souvent joué un rôle essentiel, et pas seulement à l’arrière. Jusqu’à la fin du mois d’août, ce blog revient sur les trajectoires de combattantes oubliées : après Nancy Wake, Louise de Bettignies, Violette Morris et Virginia Hall, cet avant-dernier volet s’intéresse à Boadicée, la souveraine bretonne qui se dressa contre l’Empire romain.

Britannia, de César à Néron

Alors que l’actuelle Angleterre avait connu une relative tranquillité jusqu’aux premières incursions de Jules César, le 1er siècle de notre ère change la donne. Si Auguste, Tibère et Caligula se contentent d’abord d’installer une forme de protectorat fait d’accords commerciaux et diplomatiques avec les tribus bretonnes, l’Angleterre se retrouve de fait toujours plus soumise à l’influence romaine. A son arrivée au pouvoir, Claude décide de passer à la vitesse supérieure. En 43, il envoie quatre légions annexer le sud de l’Angleterre – épisode qui lui vaudra le titre honorifique de Britannicus (« conquérant de la Bretagne »), transmis à son fils. Claude puis Néron s’emploient dans les années suivantes à pacifier les régions conquises.

C’est dans ce contexte qu’émerge une révolte massive qui dut causer quelques migraines à ce pauvre Néron – une révolte menée par une femme, Boadicée (Boudicca, en latin).

Violences romaines

A en croire les sources antiques (Tacite et Dion Cassius), c’est par son mariage avec leur chef Prasutagus que Boadicée devient reine des Icènes (Iceni), une tribu du nord-est de l’Angleterre. Plutôt pacifiques, ceux-ci ont choisi de faire allégeance à Rome, adoptant le statut de royaume-client. Le couple donne naissance à deux petites filles, Isolda et Sorya, sans doute autour de 43 après J.-C.

17 ans plus tard, Prasutagus voit sa dernière heure approcher alors que la situation s’est à nouveau tendue dans la province. La pacification voulue par Rome se traduit par le désarmement forcé des tribus celtes, y compris celles qui ont prêté allégeance à Rome, et par une politique particulièrement brutale vis-à-vis des druides, accusés d’entretenir un sentiment de rébellion parmi les populations conquises. Dans une tentative relativement désespérée, Prasutagus laisse son royaume en héritage à la fois à Néron et à ses deux filles, espérant ainsi s’attirer les bonnes grâces de l’empereur tout en permettant à son peuple de conserver un semblant d’indépendance. Loupé : non seulement Rome décide d’annexer purement et simplement le petit royaume, mais elle réagit on ne peut plus brutalement aux protestations de Boadicée, désormais veuve et reine des Icènes.

En 60, la souveraine est fouettée en place publique ; la moitié de sa cour est réduite en esclavage. Pire enfin, ses deux filles sont violées et torturées sous ses yeux. Face à ces atrocités, Boadicée aurait pu s’effondrer et se soumettre. Elle fait le choix inverse : la révolte et la vengeance.

Raids meurtriers

Grande, dotée d’après Dion Cassius d’une longue chevelure rousse, d’une voix puissante et d’un regard perçant, Boadicée en impose avec son torque. Elle rassemble autour d’elle le peuple Icène et ses alliés – Tacite la décrit debout sur un char de guerre, une lance à la main, se décrivant non comme une reine « fière de ses aïeux, venue réclamer son royaume et ses richesses, mais comme une simple femme », bien décidée à « venger sa liberté ravie, son corps déchiré de verges et l’honneur de ses filles indignement flétri ».

Une version un poil romancée sans doute, mais qui illustre un indéniable succès. En quelques semaines, Boadicée se retrouve à la tête d’une armée considérable – 100 à 120 000 hommes à en croire les sources. La nouvelle tombe au pire moment pour les Romains dont les légions sont concentrées dans le nord de l’actuel Pays de Galle, occupés à mater la série de révoltes que leurs attaques contre les druides ont déclenchées. Autrement dit, bien trop loin pour intervenir rapidement.

L’armée de Boadicée se rue sur les colonies romaines, souvent mal défendues et peu ou pas fortifiées, en commençant par Camulodonum (aujourd’hui Colchester, dans l’Essex). Abandonnée ou presque par le gouverneur qui se contente d’envoyer 200 malheureux soldats au secours des habitants, la capitale de la province de Britannia est réduite en cendres et les Romains y sont massacrés jusqu’au dernier. Bien tard, Rome décide d’envoyer une partie de la Legio IX Hispania combattre les rebelles : mauvaise idée, le détachement tombe dans une embuscade qui l’annihile presque entièrement.

Après Colchester, direction Londres (Londinium). Bien que récente, la cité est un centre commercial et économique en pleine croissance. Abandonnée par les autorités, Londres subit le même sort que Colchester, assorti de scènes épouvantables. D’après Dion Cassius dont l’objectivité n’est ceci dit pas la meilleure qualité, les Icènes pendent nues les femmes de haute naissance et leur découpent les seins pour les forcer à les manger avant de les empaler, ce qui n’est vraiment pas très sympa. La ville est ensuite incendiée, quelques jours avant que la petite ville de St Albans (Verlulamium), à 35 kilomètres au nord, ne soit à son tour rayée de la carte.

Dans les trois cités, les fouilles ont toutes mis en évidence la même couche de cendres rougeâtres, confirmant la violence des attaques. De leur côté, Dion Cassius et Tacite s’accordent à dire que les raids de Boadicée font de 70 à 80 000 morts avant que Rome n’ait eu le temps de bouger le petit doigt. D’après le second, Néron fut si impressionné qu’il fut à deux doigts d’abandonner la province.

Réponse romaine

Tout change lorsqu’un général romain, Suetonius, reprend l’initiative en rassemblant une dizaine de milliers d’hommes, issus de plusieurs légions. Une paille face aux troupes de Boadicée, désormais fortes de 200 000 hommes – vingt fois plus…

Et pourtant : lors de l’affrontement final, le sens tactique, l’organisation rigoureuse et le meilleur équipement de l’armée romaine font des ravages. « On en vint aux mains », écrit Dion Cassisus ; « les barbares avec des grands cris et des chants de menace. Les Romains en silence et en bon ordre ». Positionnés dans une gorge étroite, les troupes romaines sont protégées sur leurs flancs ; leur discipline brise l’élan des troupes de Boadicée, équipées de bric et de broc – dans le meilleur des cas, de longues épées moins maniables que les courts glaives romains, particulièrement efficaces au corps à corps.

Au soir de la bataille, Tacite affirme que les légions auraient perdu 400 hommes et les Icènes 80 000… Au-delà des chiffres, la défaite est une évidence. Boadicée ne peut que constater le désastre ; deux versions diffèrent sur sa fin. Pour Tacite, elle s’est suicidée en absorbant du poison. Pour Dion Cassius, la reine se serait échappée in extremis avant de mourir un peu plus tard d’une maladie attrapée dans sa fuite. Cette fois, Britannia est à peu près matée – ou presque, la conquête romaine ne sera vraiment achevée en 83.

De l’histoire à la fiction

Si Boadicée est à peu près inconnue de ce côté-ci de la Manche, c’est différent en Angleterre et dans le monde anglo-saxon. Comme en France, le 19e siècle est celui où se forgent les grands mythes nationalistes, au travers de la redécouverte de grandes figures, élevées au rang de symboles nationaux par le courant romantique et/ou nationaliste.

Poèmes, peintures, statues… Comme Vercingétorix en France ou Arminius en Allemagne, Boadicée devient le héraut du courage anglais. Intégrée depuis dans la pop culture anglo-saxonne, elle n’a jamais vraiment disparu sous une forme fictionnelle : présente dans la série Xena la guerrière ou dans la licence de jeux vidéo Civilization (c’est elle qui y gouverne les Celtes), elle a largement inspiré le personnage de Red Sonja dans l’univers de Conan le Barbare.

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Publié par jcpiot / Catégories : Actu