Les choses reprennent leur cours normal. Et le travail de l'Académie de l'Opéra aussi, qui présentait son concert annuel à l'Opéra-Garnier. C'était il y a deux semaines, on faisait connaissance de nouveaux chanteurs qui auront bientôt l'occasion d'incarner des personnages avec une vraie mise en scène. Nous y reviendrons. Là ils devaient être dans la caractérisation... de grands airs de Mozart.
Les buts de l'Académie
3 filles, 7 garçons. Parité non respectée pour cette nouvelle fournée de jeunes chanteurs, 10 donc au total, qui ne constituent pas l'ensemble de l'Académie de l'Opéra de Paris mais qui en sont évidemment les porte-enseignes les plus emblématiques. On rappellera que cette Académie qui forme aux métiers de l'Opéra (donc au chant en priorité) accueille aussi des instrumentistes (le claveciniste Carlos Sanchis Aguirre qui accompagnait ce concert Mozart est en résidence cette année à l'Académie) mais encore des metteurs en scène, des scénographes, des perruquiers, des costumiers, etc. Tout ce qui fait (et tous ceux qui font) de l'opéra un art total.
Un de chute
3 filles, 7 garçons. On n'accusera personne puisque, déjà, le directeur de l'Académie est... une directrice. Mais c'est ainsi, les mérites musicaux l'emportant sur les questions de sexe et peut-être l'année prochaine (ou l'année dernière) sera-ce l'inverse. De toute façon, en cette soirée Mozart, un de chute -on a bien dit un: le baryton-basse ukrainien Andri Gnatiuk, déclaré souffrant. On pense évidemment au Covid, c'était peut-être un rhume des foins...
Ukrainien. Oui car cette Académie n'est pas forcément française. Mais du monde entier, comme tous ces chanteurs se nourriront du fait qu'une scène d'opéra, aujourd'hui, encore plus qu'hier, c'est une rencontre de langues, de caractères, de formations, un frottement de sensibilité où le monde est désormais le monde puisqu'au-delà de l'Europe et de l'Amérique latine, ce sont l'Asie et même l'Océanie qui sont désormais des terres de culture; quant à l'Afrique, elle pointe le bout du nez, comme le monde arabe, plus timide. Et tous, ce soir-là, pour chanter Mozart, donc en italien et en allemand, les deux langues mozartiennes.
Chanter Mozart...
Et chanter Mozart, ce n'est pas si simple et ce n'est pas pour toutes les voix. C'est aussi un des charmes de ces concerts. A ces chanteurs on ne demande pas l'avis. Ou plutôt si, peut-être: cet air ira-t-il à ton type de voix? A ton ressenti? Tenez, par exemple, l'Ecossais Niall Anderson, qui doit endosser le rôle abandonné par Gnatiuk (ils ont exactement la même tessiture), celui de Figaro. Un Figaro où il n'est pas très à l'aise, dont il ne trouve guère la flamboyance un peu machiste, dans un Se vuol ballare (l'air où Figaro se révolte contre son Comte de maître) Il sera bien meilleur ensuite dans le personnage lâche et courbé de Leporello, le valet de Don Giovanni. Mais voilà: quand on apprend encore, on doit tout essayer. Chercher non seulement sa voix mais son caractère. Et puis chanter masqué n'aide pas. C'était le seul des neuf (même quand il était seul en scène) et cela, évidemment, étouffe le timbre.
Des héroïnes autres qu'on sent poindre
Voyez aussi la basse américaine Aaron Pendleton: à l'aise dans un des rares "tubes" pour ce type de voix, le O Isis und Osiris de La flûte enchantée (où il n'y a guère qu'à montrer qu'on a des graves profonds), moins en Commandeur de Don Giovanni. Mais demandez donc à un chanteur costaud de Caroline du Nord d'incarner comme ça un fantôme de pierre dans l'histoire d'un libre-penseur européen. Bon, c'est à apprendre cela aussi que sert l'Académie.
Quand l'Italienne Martina Russomanno apparaît et chante (très bien) le Padre, Germani, addio! de l'Idomeneo, on se dit tout de suite qu'elle fera plus tard une très belle Traviata. Et peut-être toutes les héroïnes du bel canto au destin souvent tragique. Moins, sans doute, la Donna Elvira, toujours dans Don Giovanni, dont la juste et terrible fureur n'est pas encore dans son caractère...
Quelques splendeurs
De cette soirée qui avait l'avantage de couvrir aussi les opéras de Mozart bien moins connus (il ne manquait guère que L'enlèvement au sérail et La clémence de Titus!), on retiendra quelques très beaux moments: l'entrée des trois hommes dans Cosi fan tutte. D'une belle homogénéité, d'une belle complémentarité, le ténor sud-coréen Kiup Lee (Ferrando), le baryton russe Alexander Ivanov (Guglielmo) et Niall Anderson en Don Alfonso. Magnifique aussi, de ce même Cosi, le trio Soave il vento (Niall Anderson, Martina Russomanno en Fiordiligi et la mezzo française Lise Nougier en Dorabella) mais la splendeur de cet air, un des plus beaux de tous les opéras de Mozart, y avait peut-être aussi sa part.
Zaide, Susanna, Zerlina
On a été très impressionné par la beauté vocale, la finesse de la ligne de chant, l'élégance de l'intonation, de la soprano russe Xenia Prochina dans le méconnu Zaïde (Ruhe sanft, donc opéra en allemand) Prochina, qui était déjà là... avant le Covid, est évidemment d'un hiératisme froid qui va l'obliger à mettre plus de sentiments dans ses personnages. Elle le fait d'ailleurs avec une Susanna (des Noces de Figaro) qui pourrait être plus mutine encore. Même remarque pour Lise Nougier qui pourrait être plus coquette en Zerlina (avec Alexander Ivanov en Masetto, un peu en retrait) comme dans le La ci darem la mano où, face à Don Giovanni, elle peine à rendre tous les sentiments qui se bousculent en Zerline; il est vrai que l'air est bien difficile à cause de cela.
Le premier contre-ténor
On a beaucoup aimé -et il nous semble que c'est une première- l'ouverture de l'Académie à un contre-ténor, le Vénézuélien Fernando Escalona qui chante un air de Mitridate, Va, l'error mio palesa. La voix est là, le baroquisme tardif de la musique (très "dans le style des castrats") lui permet une virtuosité aux belles couleurs, on le sent évidemment un peu tendu, cherchant surtout à diversifier sa colère sans y réussir: il vaut mieux sans doute garder un visage sombre tout du long et se concentrer sur le chant, dans ce type d'air "obligé" où, d'ailleurs, le génie mozartien renvoie à leurs chères études tous les auteurs de ce type d'opéras.
Autour d'un "mort"
La conclusion nous montre aussi un groupe de jeunes chanteurs, comme on l'a dit, venus de tous les horizons, et qui vont pratiquer (et peut-être découvrir) le "tous ensemble" sur scène. C'est la dernière scène de Don Giovanni autour de la "mort" du "héros", et chacun, même pour quelques courtes répliques, y trouve sa place, Nougier et Ivanov en Zerlina et Masetto, Pendleton, donc, en Commandeur; Russomanno est Elvira et Prochina Anna avec Lee en Ottavio, Anderson enfin en Leporello, autour de l'excellent Don Giovanni du baryton chypriote Yorgo Ioannou, juvénile, arrogant juste ce qu'il faut, joueur et insouciant, garçon qui n'aime pas qu'on l'entrave. La voix correspond, dans sa jeunesse sans trop de couleurs sombres, à l'humeur de ce personnage presque sympathique.
Cet esprit de troupe rebondira début mars dans Le couronnement de Poppée de Monteverdi dans une mise en scène d'Alain Françon au théâtre de l'Athénée. Nous en rendrons compte. On aimerait aussi entendre ces jeunes chanteurs dans l'opéra du XIXe siècle ou du XXe. Pour un autre gala?
Concert de gala des artistes de l'Académie de l'Opéra: Xenia Prochina et Martina Russomanno (sopranos), Lise Nougier (mezzo), Fernando Escalona (contre-ténor), Kiup Lee (ténor), Yorgo Ioannou et Alexander Ivanov (barytons), Niall Anderson (baryton-basse), Austin Pendleton (basse). Orchestre de l'Opéra de Paris, direction Vello Pähn, mise en espace de Victoria Sitja. Oeuvres de Mozart. Opéra-Garnier, Paris, le 20 janvier.