A la Folle Journée de Nantes, Adam Laloum, pianiste: "Schubert, c'est un compagnon, mon compagnon dès ma première année de piano"

Adam Laloum C) Harald Hoffmann

Dernier entretien, avec Adam Laloum, le jeune et brillant pianiste lauréat en 2009 du concours Clara-Haskil, qui nous a ému à Nantes avec l'antépénultième sonate de Schubert .

 

Adam Laloum était à Nantes. Le jeune pianiste français (35 ans dans moins d'un mois), depuis son prix Clara-Haskil en 2009, est lié à Schubert comme il est lié à Mozart, Schumann et Brahms (des compositeurs que Clara Haskil jouait souvent) même si, nous dit-il, j'ai encore tant de compositeurs que je veux creuser, un Debussy, un Bartok. Les deux Moments musicaux de Schubert qu'il nous a proposés à Nantes étaient d'une magnifique évidence, comme cette Sonate D. 958, une des fameuses trois dernières composées le dernier été de la vie de Schubert, et d'une ampleur inédite comme les deux qui vont encore suivre. Laloum réussit en particulier, à force de simplicité et de clarté triste, à rendre indispensable cette "chevauchée fantastique", cette course vers l'abîme incroyable (on est dans une gravure de Dürer, sur un coursier qui traverse la nuit) qui termine l'oeuvre.

Schubert, le compagnon

C'est un compagnon. Il se trouve que c'est lui qui m'a accompagné pendant ma première année de piano, j'avais 10-11 ans, c'était le 4e impromptu. Et depuis je crois que je n'ai jamais quitté cette musique.

Une musique de l'intime

Dans les conservatoires on attend des jeunes adultes du brillant, de la virtuosité. Schubert, c'est tout le contraire. C'est une musique tout sauf démonstrative, très intérieure, très intime. Où la virtuosité est présente mais épurée.

Un autre musicien C) Marc Roger / CREA

Une musique particulière, oui, et que j'ai donc eu la chance d'aborder jeune. Souvent, c'est quand on n'a plus besoin de montrer ses moyens, son niveau, qu'on se dit: maintenant je vais pouvoir me mesurer à une musique aussi profonde. Moi j'ai pu le faire plus tôt.

Impossible de ne pas se sentir ému par le personnage...

Mais c'est une musique qu'il faut s'approprier, plus on vit avec, plus on trouve du naturel à la jouer. Quant à moi, c'est une musique qui me bouleverse. C'est un compositeur bouleversant, c'est impossible de ne pas se sentir ému et par cette musique et par ce personnage. Par sa vie, il faut le redire. Tous ses opéras auxquels il tenait et qui n'ont jamais été représentés. Les lieder aussi, magnifiques, qu'il a envoyés à Goethe (c'était sur des textes de Goethe) et Goethe ne lui a jamais répondu. Il y aurait beaucoup d'autres exemples à donner, malgré l'amitié dont il était entouré.

Des orages qu'il faut faire vivre

Alfred Brendel parlait aussi de chaos à propos de Schubert. Il y a chez lui des orages qu'il faut faire vivre, les rendre les plus beaux possible, des émotions, une construction particulière qui, chez Schubert, est émouvante aussi.

Une explication enfin claire de la fameuse "forme sonate"!

La forme sonate c'est un peu thèse-antithèse-synthèse. On expose un thème dans une tonalité, un second thème dans une autre tonalité, puis ce qu'on appelle le développement, les thèmes se mélangent, il y a beaucoup d'agitation, les idées se confrontent; et puis il y a ce qu'on appelle la réexposition, le thème revient, le second thème arrive aussi mais dans la tonalité originale du premier comme si on parvenait entre eux à un accord. Tout ça c'est très théorique mais les compositeurs l'appliquent très souvent, parfois à leur manière. Et souvent, chez Schubert, il y a eu tellement de péripéties que le thème qui revient n'a plus la même signification parce qu'il s'est passé tellement de choses avant, inattendues...

Une autre musicienne C) Marc Roger / CREA

Laisser la musique se faire

Parfois, quand on travaille une partition, on est dans une sorte d'autoflagellation, on n'est pas content, on n'est vraiment pas content; mais au moment où on arrive devant le public, mine de rien, il y a des choses qui prennent forme et qu'on n'avait pas anticipé nous-mêmes; c'est utile parfois d'être dans cette forme de passivité, de laisser la musique se faire. On se sent alors,  par exemple dans ces grands mouvements schubertiens qui durent jusqu'à 20 minutes souvent, médiateurs plus qu'acteurs.

Désespoir et sérénité, le contraste schubertien

Et c'est particulier à Schubert, cela. C'est différent par exemple chez Beethoven. Plus... terrien. Chez Schubert il y a cet étrange contraste entre parfois des courses haletantes vers l'abîme et des plages longues, extrêmement sereines, je pense que c'est ça qui trouble beaucoup les musicologues: tout ça cohabite, désespoir, grande violence, sérénité. J'aime imaginer que c'était quelqu'un d'agité... mais d'intérieur. Ce n'était pas quelqu'un qui piquait des colères en public ou devant ses amis. C'était quelqu'un qui était très reconnaissant de ce que la vie lui offrait, et en même temps avec des moments de souffrance terrible. Certaines sonates, la dernière en particulier, j'ai l'impression qu'il l'écrit pour s'apaiser lui-même.

La perfection et le sublime

Il faut aussi ne pas se laisser avoir chez lui (chez d'autres aussi d'ailleurs) par des oeuvres qui ne nous semblent pas parfaites. Elles ne sont pas parfaites par la structure, inachevées, trop longues ici par rapport à tel autre mouvement. Mais d'abord qu'est-ce qui est parfait? Et chez Schubert cela peut-être imparfait mais sublime. C'est le sentiment qui l'emporte alors, c'est bien plus fort que la raison.

Adam Laloum en concert à Nantes: Schubert (2 moments musicaux. Sonate D. 958 en ut mineur) Le 29 janvier