Renaud Capuçon: "Il était hors de question d'annuler le festival de Pâques d'Aix-en-Provence pour la deuxième année d'affilée"

Renaud Capuçon C) Caroline Doutre

C'est, parmi toutes les propositions qu'essaient de trouver les institutions musicales et les artistes pour se tenir la tête hors de l'eau, une des plus étonnantes: le festival de Pâques d'Aix-en-Provence, dont Renaud Capuçon est l'un des créateurs et le directeur artistique depuis 2013. Etonnante car sous forme d'un concert gratuit "en vrai", c'est-à-dire à l'heure dite (tous les soirs à 20 heures 30 jusqu'au 11 avril), sans public... mais avec tout le public qui veut. Explications avec celui qui est désormais bien plus qu'un violoniste: un acteur essentiel de la vie musicale.

Q: Non seulement ce festival est sauvé des eaux mais il prend une forme étonnante...

R.: Oui. Et inédite. L'an dernier on avait évidemment été obligés d'annuler, le confinement avait commencé juste avant... Il n'en était pas question une deuxième année. D'abord parce que nos sponsors, nos mécènes, ne l'auraient pas admis. Donc il a été trouvé cette forme particulière: j'avoue que, sur l'interaction, quand on m'en a parlé, j'étais réticent, je croyais à un gadget, et en fait pas du tout, et c'est d'un maniement très simple, même amusant.

Barbara Hannigan le 5 avril C) Musacchio et Ianniello

Où le public, devant son écran, participe...

Oui. Il peut, en tout cas s'il le souhaite. Mais résumons: chaque soir un concert à 20 heures 30, en direct et sans replay, sans streaming, ce qui signifie que vous devez être à l'heure dite devant l'écran comme si vous alliez au théâtre. C'est filmé au théâtre d'Aix, réaménagé, plateau plus grand, captation, lumières, selon des schémas de studio, une sorte de rail devant. Mais nous n'offrons pas seulement un concert lambda, aussi bien filmé, bien sonorisé, soit-il, mais aussi une sorte de, en jargon anglo-saxon, "in life stream": on met à la disposition du spectateur quatre choix de caméras et il peut en choisir une qui lui montre les mains du pianiste, l'expression d'un musicien, tel plan plus général et c'est super-facile. C'est comme dans une salle où vous décidez de votre propre regard.

Il faut inventer constamment par les temps qui courent?

Il faut surtout se transformer. On n'a pas le droit à l'échec, il faut se retrousser les manches, et ce sont aussi des réflexions sur l'avenir qu'on doit impérativement mener. Mais regardez, le premier soir (lui-même, Edgar Moreau, François-Frédéric Guy, deux trios de Beethoven), 6.000 connexions, le théâtre fait 1.300 places... et sur Radio-Classique 200.000 auditeurs, l'équivalent de 15 salles. En même temps, c'est le principe: c'est gratuit, on regarde et ça disparaît. Sauf des mémoires, on espère. Comme un "vrai" concert. D'ailleurs c'est un vrai concert.

Avec des noms prestigieux, un plateau royal

C'est aussi dans l'A.D.N. du festival. Mais évidemment on a dû parfois revoir la programmation. Des orchestres, des artistes qui ne peuvent voyager. D'autres qui sont venus à la place, une Barbara Hannigan (le 5 avril) Des cas de COVID (comme le concert inaugural où Alexandre Kantorow devait jouer avec l'orchestre du Luxembourg. Musiciens de l'orchestre atteints. Souhaitons que ce ne soit pas le cas avec l'orchestre national de France le 9 avril) L'impossibilité de réunir trop de monde, des choeurs, par exemple, c'est un vrai problème...

Martha Argerich et Daniel Barenboim le 6 avril C) Caroline Doutre

Détaillons: Sol Gabetta, Bertrand Chamayou, William Christie et les Arts Florissants...

Oui. Et Raphaël Pichon (avec, le Vendredi-Saint 2 avril, la Passion selon St-Mathieu), Momo Kodama, Gérard Caussé, Viktoria Postnikova, le Sirba Octet, Lea Desandre, Argerich et Barenboim ensemble, Lucienne Renaudin-Vary, Nikolaï Znajder, Maria Joao Pires...

Qui rejoue? Elle avait dit qu'elle s'arrêtait.

Oui, oui, elle a repris. Pas très souvent mais elle a repris. C'est vrai, elle n'est pas encore revenue à Paris. Elle joue ici le 7

 Et des master-classe le matin. De Renaudin-Vary, Kodama, William Christie...

Avec les élèves du Conservatoire. En temps "normal", à 11 heures du matin, on attire 500 personnes.

Et vous même pour une Carte blanche... à vous même (le dernier soir) Faisons du mauvais esprit, dans ces temps difficiles même les plus grands, ceux qui avaient leur agenda plein des mois à l'avance, ont eux aussi une furieuse envie de jouer... ou de chanter. C'est peut-être plus facile de les avoir...

Ce n'est pas faux. C'est vrai que tout est aléatoire et que les situations sont différentes d'un pays à l'autre, et cela concerne tout le monde à tous les niveaux. Bon. Mais dans des temps plus compliqués on fait aussi appel aux amis...

Vous-mêmes, vous avez joué de temps en temps pendant cette période?

C'est l'expression: de temps en temps. En Allemagne, en Espagne. Avec des jauges revues évidemment. On m'a même demandé (au Luxembourg) de transformer un unique concert en quatre concerts avec, à chaque fois, un quart du public.

Violoniste, directeur musical, vous allez ajouter une nouvelle corde à votre... violon. Chef d'orchestre?

Ah! je suis ravi. Je prends la direction de l'orchestre de chambre de Lausanne à l'automne prochain. On a commencé à travailler...

Mais déjà France Info Culture a parlé d'un concert donné avec l'orchestre de Nouvelle-Aquitaine

Ex-Poitou-Charentes... Il y avait les Métamorphoses de Richard Strauss, le 3e concerto de Mozart, que les violonistes solistes peuvent traditionnellement diriger. Mais la Symphonie Inachevée de Schubert aussi. En fait, depuis 1999 (Renaud Capuçon avait 23 ans), c'est mon rêve. Je m'y prépare depuis toutes ces années. Après, il faut franchir le pas, ne pas faire ça au débotté. C'est une question de timing. Car, même, entre jouer ET diriger (on confirme l'avoir vu faire dans ces fameuses Métamorphoses pour 23 instruments à cordes de tous les pupitres. Une oeuvre qu'il affectionne particulièrement) et puis diriger seul, il y a une vraie étape à franchir.

Et le retour de Maria Joao Pires le 7 avril C) Felix Bröde

Avec un orchestre de chambre, il est vrai...

Pour commencer cela me va très bien. 45 musiciens, c'est parfait, et cela permet tout de même un vaste répertoire. Et puis c'est l'orchestre de Christian Zacharias, d'Armin Jordan (le père de Philippe) Tout de même... En plus c'est une forme de continuité de ma vie de musicien. D'une certaine manière mon expérience de violoniste apportera aussi, je l'espère, de l'eau au moulin de mon travail de chef. Avec un double objectif, de dynamique et de catalyseur.

Et le grand orchestre symphonique? 80 musiciens, plus?

On verra en temps et en heures. Il y a déjà 20 concerts à construire avec Lausanne (car c'est le rôle du chef principal de définir le répertoire de l'année et de choisir les chefs quand il dirige ailleurs... ce qui, pour Capuçon, comprend aussi ses activités de violoniste qu'évidemment il ne lâche pas)... D'ailleurs je vous donne un scoop. Enfin un demi-scoop: dans 4 ans, avec eux, je dirigerai un opéra. Je sais déjà lequel. Mais je ne vous le dirai pas... aujourd'hui. Peut-être plus tard.

On le relancera, promis. En attendant, dans 10 ans, la Symphonie des Milles de Mahler à Bercy ou à Orange?

Festival de Pâques d'Aix-en-Provence, tous les soirs et certains matins du 27 mars au 11 avril, programme et connexions sur le site du festival https://festivalpaques.com ou festivalpaques.inlive-stream.com

Ce soir 1er avril Momo Kodama joue les 20 regards sur l'enfant Jésus pour piano d'Olivier Messiaen