Le chef Sébastien Daucé et la chorégraphe et metteuse en scène Francesca Lattuada ont reconstitué ce Ballet royal de la Nuit aujourd’hui perdu.
Les représentations de 1653 avaient laissé un souvenir inoubliable… dont il ne reste que bien peu de documents. La reconstitution d’aujourd’hui, aussi habile soit-elle, et parfois spectaculaire ou passionnante, ne restitue que partiellement le choc ressenti à l’époque.
La transformation de Louis XIV en jeune roi-soleil
Les 7 représentations du Ballet royal de la Nuit furent un coup de tonnerre dans le ciel culturel et mondain quand elles furent données à l’hôtel du Petit-Bourbon, non loin du Louvre, autour d’un jeune homme de 15 ans qui était le roi de France. Y assistaient la cour, les ambassadeurs de l’Europe, la bourgeoisie de Paris. Et le roi dansait. En Apollon. Entouré de nobles rompus à l’art du ballet, déjà dieu du soleil, alors que le terme de Roi-Soleil n’existait pas encore.
Car celui qui avait eu cette idée n’était pas le jeune roi mais son premier ministre, Mazarin. On sortait de la Fronde, qui avait fait vaciller le pouvoir. Il fallait donc rappeler où était le pouvoir, et qui l’incarnait : ce garçon de 15 ans dont la passion était la danse, art majeur à l’époque, pratiqué par les plus grands -à la cour d’un autre roi, Henri III, soixante-dix ans plus tôt, on dansait tous les soirs.
Une nuit entière, partagée en quatre épisodes de trois heures, sous l’empire de Vénus, des Génies, de la Lune, pour voir (ré)apparaître enfin le Jour -le Soleil montant vers son zénith, Louis sortant d’une trappe, tout vêtu d’or. Les textes étaient de monsieur de Benserade, poète fameux -à la gloire du jeune astre, souvent. Les musiques des meilleurs du temps dont, sans doute, le jeune Lully.
Mais il ne reste rien (quelques dessins, et encore !) de cet incroyable divertissement qui mêlait danse, musique, théâtre, costumes somptueux, jongleries sans doute. Sinon le livret dont le compositeur Philidor, un siècle plus tard, a tiré, aidé par un livre des airs retrouvé (il manque les parties d’orchestre), une possible continuité.
C’est dire le travail minutieux auquel s’est livré Sébastien Daucé, grand spécialiste de la musique de ce temps-là et chef-fondateur de l’ensemble Correspondances. Il a respecté la structure -non pas quatre fois trois heures mais plutôt quatre fois trois quarts d’heure, ce qui, avec entracte (calculez vous-mêmes !), est déjà beaucoup -trop. Il a eu la bonne idée de changer la thématique, qui est moins à la gloire uniforme du roi. La Nuit est là, elle ouvre le spectacle, Vénus le continue ; mais ensuite ce seront Hercule amoureux et Orphée, avant l’inévitable lever du soleil : « Le Soleil qui me suit, c’est le Jeune Louis » écrit monsieur de Benserade.
De la musique, de la danse et des arts du cirque
Sauf qu’ensuite il s’agit de faire un spectacle aussi captivant que celui de l’époque, et c’est là que le bât blesse un peu. Ce que nous voyons repose sur trois piliers : la musique, la danse (c’est bien normal pour un ballet !) et ce que nous appelons aujourd’hui les arts du cirque -remplaçant baladins et jongleurs d’autrefois. Pour la musique Daucé s’est laissé prendre au piège de son amour de l’époque, les années 1650. Car Lully, Charpentier, Delalande -les grands- viendront plus tard, pendant le règne. Ceux qu’on entend -Cambefort, Boësset, Lambert- n’ont que du talent, et un talent de courtisan. Et Daucé les dirige soigneusement, joliment, mais sans vraiment de relief, de sorte que cette première partie finit par sombrer un peu dans un ennui distingué.
Heureusement la seconde partie nous réveille : l’idée de Daucé de confronter le grand style français à l’opéra italien nous fait passer enfin de la froideur à la passion : airs violents, engagés, de fougue et de brûlures, de l’ Hercule amoureux du génial Cavalli (et cette Junon implacable d’Ilektra Platiopoulou !) ; puis les bouleversantes déplorations d’Eurydice (Caroline Weynants) tirées de l’Orphée de Luigi Rossi, avec cette magnifique image de ses suivantes figées autour d’elles, comme par la mort elles aussi.
Le contraste est encore plus vrai concernant la danse. En fait cela ne danse guère, et souvent pas. Le début -ces hommes en costume contemporain qui traversent la scène en sautant l’un par-dessus l’autre- rappelle José Montalvo ; quant aux couples qui esquissent trois pas chaloupés, ils viennent de Pina Bausch. Et pour le reste, des tableaux alléchants, celui du petit peuple français, du sommeil d’un Endymion aimé par la Lune (Diane), des sorcières aux ailes repliées, mal éclairées, sont esquissés, sans chorégraphie, incertains. Un ballet qui ne danse pas est comme un riz au lait (disait Labiche) « sans lait et sans riz » ; le problème étant peut-être que la chorégraphe a dû jongler avec… des jongleurs et des acrobates qu’elle a mollement transformés en danseurs, ce qu’a priori ils ne sont pas.
L'homme-cerceau, les acrobates et les porteurs de feu
Or justement : si ce Ballet royal de la Nuit ménage tout de même de bien jolis moments, on le doit aux circassiens : à cette Parade d’Amphitrion qui relève, dans de charmants costumes jaune et rouge, de la commedia dell’arte. A ces loups-garous (trop furtifs) qui semblent venir de carnavals primitifs. A ces porteurs de feu, à cet homme-cerceau. Aux deux « précieuses », hommes déguisés et poudrés à la perruque mi-partie violette et barbe à papa qui font sauter avec virtuosité une toute petite femme acrobate sur leurs avant-bras -un des plus jolis moments du spectacle. A ces hommes-horloges qui se dandinent, entourant le roi, justaucorps noir, pantalon et bottes fuschia. Trouvailles, images-flashes, disséminées avec une énergie, une joie, toutes… circassiennes.
Un roi-danseur, Sean Patrick Mombruno. Roi d’ébène (c’est très « politiquement correct ») et qui fait très bien son métier de… roi figé, alors que Louis XIV dansait ! Il n’est pas en cause. Il a une élégance, une plastique, une prestance… royale. Mais on ne voit rien de son talent de danseur, sinon à un rare moment où nous séduisent alors la grâce du geste, la position et le porté des bras. C’est tout. Mais il tient sa place, toute sa place, dans le beau tableau final : chanteurs par-devant, entourant Mombruno, circassiens derrière, dans un éblouissant numéro de pyramide humaine et de voltige. Et nous de comprendre soudain ce qui manque à ce Ballet royal de la Nuit : Louis XIV. Celui d’hier ou celui d’aujourd’hui, dont on puisse dire : « Ah ! le roi danse. Et l’astre qu’il est entraîne le monde autour de lui »
Le ballet royal de la Nuit : sur des musiques de Cambefort, Boësset, Constantin, Lambert, Cavalli et Rossi, scénographie, mise en scène, chorégraphie, costumes de Francesca Lattuada, soli, chœur et Ensemble Correspondances, dirigés par Sébastien Daucé. Théâtre des Champs-Elysées, Paris, les 7, 8 et 9 octobre.