Belle programmation, 350e anniversaire oblige, à l'Opéra de Paris pour la saison à venir : du grand opéra français, un hommage à Berlioz, la poursuite du cycle russe, une création et l'hommage incontournable à l'opéra italien.
Soirée originale et intéressante il y a quelques semaines à l'Opéra-Garnier où des extraits chantés et dansés étaient donnés entre les interviews de certains metteurs en scène ou chorégraphes. Interviews menés par les artistes eux-mêmes, certains s'en sortant mieux que d'autres ! Toutes les photos illustrant cet article ont été d'ailleurs prises lors de cette fameuse soirée.
Il s'agissait de nous annoncer que, le 28 juin 1669, un Louis XIV âgé de 30 ans signait une lettre patente autorisant le conseiller Pierre Perrin à créer une "Académie royale d'opéra" qui deviendra ensuite l'"Académie royale de Musique". Cela fera d'ailleurs l'objet d'une exposition sur cette "Académie Royale" du 28 mai au 1er septembre 2019 au Palais Garnier (en collaboration avec la BnF)
Des "Huguenots" pleins d'étoiles
Pour fêter l'événement, et puisqu'il faut commencer par les nouveautés, c'est le grand opéra français qui sera à l'honneur. Pas celui de Louis XIV, celui de Louis-Philippe: "Les Huguenots" de Meyerbeer, pas vus depuis 1936, avec les débuts en France à la mise en scène d'Andreas Kriegenburg, allemand et peut-être huguenot. Distribution de prestige: Diana Damrau, Bryan Hymel, Ermonela Jaho, rejoints pas de brillants Français, Karine Deshayes, Florian Sempey, Nicolas Testé ou Cyrille Dubois.
Des "Troyens" pleins d'étoiles aussi
Autre sommet, pour le 150e anniversaire de la mort du compositeur, "Les Troyens" de Berlioz, qui inaugurèrent Bastille il y a trente ans. Dimitri Tcherniakov revisitera la double histoire de Cassandre et Didon, dirigeant Elena Garança, Hymel et Dubois, Stéphanie d'Oustrac, Véronique Gens, Stéphane Degout ou la Canadienne Michèle Losier, découverte cette année dans un autre Berlioz, "Benvenuto Cellini"
La douloureuse "Bérénice", la sulfureuse "Lady Macbeth de Mzensk"
Il n'y avait pas eu de création l'an dernier, Michael Jarrell ayant pris du retard dans son travail sur la "Bérénice" de Racine. Il a fini. Bérénice sera Barbara Hannigan, Titus Bo Skovhus, mis en scène par Claus Guth et dirigé par Philippe Jordan (qui dirigera aussi "Les Troyens")
La suite du cycle russe avec un des grands chefs-d'oeuvre du XXe siècle, "Lady Macbeth de Mzensk" de Chostakovitch. Et à la mise en scène Krzystof Warlikowski-le-sulfureux. On attendait comme annoncé "Le prince Igor" de Borodine, pour découvrir qu'il y a trois heures de très belle musique autour des fameuses "Danses Polovtsiennes" mais ce sera pour décembre 2019...
Un nouveau Don Giovanni, Ludovic Tézier héros tragique verdien et Caïn tuant Abel
Exit en revanche le "Don Giovanni" de Michael Haneke, ce sera Ivo Van Hove qui dirigera Etienne Dupuis dans le rôle-titre, Philippe Sly, habitué du rôle-titre, en... Leporello (un indice pour la mise en scène ?), Nicole Car ou Elsa Dreisig. Philippe Jordan dirigera.
Il y aura aussi une nouveauté italienne, "Simon Boccanegra" de Verdi par Simon Stone, avec Ludovic Tézier en Simon, sous la baguette de Fabio Luisi.
Enfin, pour plaire aux amateurs de baroque (mais, comme les autres années, ce n'est pas beaucoup), une rareté d'Alessandro Scarlatti (le papa) "Primo omicidio" ou... (évidemment) le meurtre d'Abel par Caïn. Opéra ? Oratorio à six vois mis en espace par Romeo Castellucci et dirigé par René Jacobs.
Des annonces pour la saison d'après...
Est-ce pour se faire pardonner qu'on nous annonce déjà (c'est très inhabituel) deux nouveautés de la saison 19-20? "Les Indes galantes" de Rameau (ah ! du baroque !) mis en scène par Clément Cogitore, connu de nous comme (très intéressant) cinéaste mais qui s'est signalé l'an dernier sur "3e scène" par un grand extrait desdites "Indes" avec des danseurs de krump. Dans ces "Indes" la brillante jeune garde française, Devieilhe, Fuchs, Barbeyrac, Sempey, Devos ou Crossley-Mercer, sous la direction de Leonardo Garcia Alarcon.
Et, toujours en septembre 2019, une nouvelle "Traviata" dévolue à Pretty Yende et mise en scène par Simon Stone, ce qui permet de se débarrasser diplomatiquement de celle de Benoît Jacquot, qu'on reprendra pourtant en octobre prochain, avec Kurzak, Jaho, Alagna, Borras ou Castronovo (en alternance).
Carmen, Pamina, Rusalka, Iolanta, Isolde
Reprise de la "Carmen" de Bieito (Alagna, Borras, Rachvelishvili, Nicole Car), de "La flûte enchantée" de Carsen (Sempey, Testé, Vannina Santoni, Jodie Devos), de "Rusalka" de Carsen aussi (la nymphe de Dvorak sera Karita Mattila). On retrouvera avec bonheur la belle soirée Tchaïkovsky, "Iolanta/Casse-Noisette" avec en Iolanta la jeune Moldave Valentina Nafornita. Le Wagner de l'année sera "Tristan et Isolde" dans la fameuse mise en scène de Peter Sellars avec les vidéos de Bill Viola.
Et Verdi, Puccini, Donizetti, Rossini
Enfin une batterie de reprises italiennes dans des mises en scène plus ou moins récentes: Verdi ("Otello" avec Alagna et Kurzak, "La force du destin" avec Anja Harteros) Puccini ("Tosca": plusieurs Tosca dont Harteros et Yoncheva et Kaufmann quelques soirs en Mario !), Donizetti ("Don Pasquale" et de nouveau Pretty Yende, "L'élixir d'amour" dans la version, qui, elle, ne lasse pas, de Laurent Pelly avec certains soirs Nafornita et Grigolo), Rossini enfin ("La Cenerentola" avec Crebassa et Sempey).
Et l'opéra germanique?
On fera cependant une ou deux remarques personnelles sur ce programme flamboyant pour noter que l'opéra italien est très bien servi par rapport à son homologue germanique (on ne parle même pas du reste de la planète qui, à part les Français, existe fort peu) On veut bien que "Le barbier de Séville" soit plus attirant que "Fidelio" mais on se demande ce qui resterait si Philippe Jordan n'avait pas ce goût affiché pour Wagner. Le troisième "germain", Richard Strauss, par exemple, est assez cruellement absent: depuis quand un nouveau "Chevalier à la rose" ? Une nouvelle "Salomé" ? Est-ce là le reflet des goûts de Stéphane Lissner ou de considérations plus... pragmatiques?
D'autant que Philippe Jordan, qui s'attache à montrer (et il a bien raison) que l'orchestre de l'Opéra, avant d'être un orchestre d'opéra, est un orchestre à part entière, s'attaquera en concert à des monuments germaniques, Bruckner (la "8e symphonie") et Mahler, ("3e symphonie", la plus longue...).
D'autres manifestations, des partenariats
Mais revenons aux manifestations annexes de cet anniversaire, qui sont parfois intrigantes parfois innovantes :
- des expositions d'abord, qui seront plutôt sur la saison 19-20. Commencera cependant le 22 juin 2019: "Opéra Monde, opéra et arts visuels aux XXe et XXIe siècles" au Centre Pompidou de Metz (jusqu'au 6 janvier 2020)
- des cycles de rencontre, master classes ou performances en partenariat avec le Centre Pompidou. Et des conférences données au Collège de France par cinq acteurs ou invités de la maison Opéra: Philippe Jordan, Stéphane Lissner, Anne Teresa de Keersmaeker, Hiroshi Sugimoto ou Dimitri Tcherniakov
- Philippe Jordan sera au Collège de France avec les artistes de l'Académie de l'Opéra. Ceux-ci seront "délocalisés" à la MC 93 de Bobigny pour une "Chauve-Souris" de Johann Strauss (mars 2019) qui partira ensuite en tournée dans d'autres villes de France.
- Enfin toute une battle de hip-hop dont la finale sera sur la scène de Garnier le 26 décembre 2019 mais dont les éliminatoires courront sur toute l'année. On en dira plus évidemment.
On allait oublier les deux grosses cerises-anniversaires sur le beau gâteau: un gala exceptionnel le 8 mai 2019 pour les 350 ans, à Garnier, autour d'Anna Netrebko et Yusif Eyvazov. Et deux belles soirées les 30 et 31 décembre mêlant, à Garnier toujours, ballets et chant, les chanteurs étant Sonya Yoncheva, Bryan Hymel et Ludovic Tézier.