Un "Barbier" de Rossini à la barbe fleurie pour les petits et pour les grands

Almaviva (Mathieu Justine) et Rosine (Inès Berlet) C) Marion Kerno

Après les "Barbier de Séville" pour les adultes du mois de décembre, voici, en ce même Théâtre des Champs-Elysées, un "Barbier" pour les enfants. Ce joli spectacle tourne et tournera dans plusieurs villes de France, coproduction de différents lieux d'opéra. Deux distributions de tout jeunes chanteurs, l'une entendue à Rouen et l'autre à Paris. Et à chaque fois un public nombreux et enthousiaste de jeunes têtes, qui a la particularité de participer...

 

Les enfants participent

Ils s'appellent Damien Robert, le metteur en scène, Adrien Perruchon, le chef d'orchestre, Thibault Perrine, l'adaptateur. Ils ont réussi à tirer l'essence d'une oeuvre qui dure deux heures trente pour en faire un spectacle d'une heure et quart -le temps, déjà parfois long, qu'acceptent sans trop se forcer des jeunes de sept à treize ans- sans rien sacrifier des airs fameux, quitte à ne faire chanter qu'un seul couplet aux chanteurs. Ils ont aussi  réussi une adaptation en français compréhensible (surtout dans les récitatifs) qui ne recule pas devant un langage d'aujourd'hui ("pour pouvoir me pigeonner") tout en respectant ladite oeuvre (pas sûr que le petit public sache très bien ce qu'est une "pupille"). Ils ont surtout concentré l'histoire sur cinq personnages (Rosine, Almaviva, Figaro, Bartolo, Basilio) mais, en éliminant les personnages secondaires et les choeurs, ils les ont réutilisés en les faisant chanter par les enfants, et ça, c'est une très bonne idée!

Figaro (Anas Séguin) entraîne Bartolo (Thibaut Desplantes) C) Marion Kerno

Figaro (Anas Séguin) entraîne Bartolo (Thibaut Desplantes) C) Marion Kerno

Discipline à Rouen...

A Rouen, quand j'ai assisté à la générale à la mi-décembre, il y avait une remarquable répétitrice, Jeanne Dambreville, qui avait fait travailler les scolaires de la Haute-Normandie. De plus, les enfants qui étaient là ce jour-là étaient des enfants aux circonstances familiales difficiles, voire en foyers d'accueil. Certaines mères, émues, les accompagnaient, tout heureuses d'assister aussi à un opéra dont leurs fistons ou leurs filles étaient en partie les protagonistes.

Parfois la lumière s'allumait dans la salle. Jeanne faisait des signes "de chef d'orchestre" et les nombreux enfants chantaient impeccablement leur partie de choeur, avec beaucoup de justesse et bien ensemble: "On a beaucoup répété, m'avait dit Marion, 10 ans, avec nos éducateurs". Et il ne s'agissait pas d'une phrase ou deux, mais d'au moins cinq ou six interventions avec du texte, dont certaines en soutien des solistes.

... un peu moins à Paris

Les petits Normands et Jeanne m'ont fait une belle impression. Les petits Parisiens de ce mardi étaient un peu plus... anarchiques. Mais avec la même fougue et le même enthousiasme, et le texte, aussi, était parfaitement su, sans, comme à Rouen, le support d'un surtitrage. Il est vrai qu'à Paris il n'y avait pas Jeanne et que les départs étaient donnés directement par le chef, Joël Soichez, qui devait à la fois se tourner vers son jeune public et diriger ses musiciens de l'orchestre de chambre de Paris. Soichez avait fort à faire, il s'en est bien sorti, avec un peu plus de poésie qu'Adrien Perruchon à Rouen qui, lui, devant l'orchestre de l'opéra de Rouen, y mettait plus de rigueur.

L'autre Figaro (Mathieu Gardon) avec l'autre Bartolo (Thibault de Damas) C) Marion Kerno

L'autre Figaro (Mathieu Gardon) avec l'autre Bartolo (Thibault de Damas) C) Marion Kerno

"C'est de l'amour"

En fait, et c'est cela qui plaît aux enfants, pour la plupart très attentifs jusqu'au bout,  ce "Barbier", c'est l'histoire d'une jeune fille et d'un jeune homme qui s'aiment, et qui réussiront à vivre ensemble alors qu'il y a un vieux qui convoitait la jeune fille. Le jeune se déguise d'abord en soldat ivrogne, puis en professeur de musique, et ce n'est que... quand il est déguisé en lui-même qu'il arrive à ses fins. D'ailleurs Perruchon et Damien Robert, le metteur en scène, n'ont pas cherché midi à quatorze heures et à rendre claire la conclusion tortueuse du livret. Pif, paf, vlan, la jeunesse s'en va avec la jeunesse, et le vieux Bartolo n'a que ses yeux pour pleurer.

("C'est de l'amour" me souffle Diane, 8 ans, tout en rose et en couettes)

Plein de jolies idées visuelles

Justement, choisi avec son comparse Perruchon selon un appel d'offre, le jeune Damien Robert se confronte  à son premier opéra; et il le traite comme du théâtre, avec des chanteurs qu'il n'oublie jamais de faire jouer. Joli décor de petit village  français- pas du tout Séville! Almaviva arrive dans une vraie auto décapotable avec son pianiste. Figaro, la barbe fleurie, en costume rouge, circule en triporteur où il met tous ses accessoires et qui lui sert de boutique ambulante. Rosine est habillée comme une poupée-ballerine, en bleu et rose, par son tuteur fétichiste. Et Basilio, malgré son écharpe blanche, ressemble à un croque-mort. C'est très visuel, Chacun se déplace comme dans la commedia dell'arte, forme un  joli ballet (la fin du premier acte, très "comédie musicale"), avec de la poésie (les étoiles de couleur lancées par Almaviva vers sa belle, les moustaches peintes sur les roues du triporteur, les ballons rouges en forme de coeur qui marquent l'union des amoureux, et le petit camion qui traverse la scène)

Rêveuse Rosine (Inès Berlet) C) Marion Kerno

Rêveuse Rosine (Inès Berlet) C) Marion Kerno

Jeunes chanteurs ET comédiens

Et Damien Robert, nous disait Mathieu Justine, "nous a vraiment dirigés en comédiens". Justine est un des deux Almaviva -car il y a, vu le nombre de représentations, deux distributions bien distinctes. Il a une voix dorée, souple et facile, et le charme immédiat du personnage. Tout le monde est ravi quand il déchire sa chemise pour montrer un coeur tatoué "A toi, Rosine". Pierre-Emmanuel Roubet a plus de mal dans les vocalises rossiniennes, qui sont, il est vrai, redoutables et, de toute façon, que l'on sache, aucun d'entre eux n'est encore un rossinien accompli. En revanche les aigus de Roubet sont superbes.

Marion Lebègue a tout d'une Rosine, le beau registre de mezzo, des aigus triomphants, un jeu plein de fraîcheur. Je suis plus réservé sur Inès Berlet, qui a moins la fantaisie du rôle, et ses aigus sont plus difficiles. Les deux Figaro sont très bien, Anas Séguin plus comédien, Mathieu Gardon plus chanteur. Guilhem Worms manque toujours d'un peu de noirceur en Basilio, où excelle Olivier Déjean. Enfin Bartolo très réussis des deux Thibau(l)t, Thibaut Desplantes et Thibault de Damas, lui excellent vocaliste dans son grand air et qui, quand il  est assommé par Almaviva-Roubet, tombe par terre avec un tel naturel que Rachel, huit ans, s'écrit: "Il est mort! Il est parti au pays des fantômes" Mais non, Rachel, il n'y a fait qu'un petit tour et il s'est relevé.

Figaro (Anas Séguin) et Rosine (Inès Berlet)

Figaro (Anas Séguin) et Rosine (Inès Berlet)

Le baiser des amoureux...enfin

Il s'est relevé pour assister au baiser des amoureux qui a provoqué moins de "berk! " que le baiser de Figaro sur la main de Rosine. Eh! oui, parents, il faut s'y faire: pour cette génération des sept-dix ans, un baiser, c'est sur la bouche et quand on s'aime, et le baise-main, ça sert à rien. Ils sont romantiques et fleur bleue mais ils  comprennent déjà la vie, chantant à pleins poumons et en ouvrant les bras comme Jeanne: "Amour et joie immense!".

Il sera bien temps de leur raconter l'histoire de "La Traviata" quand ils seront plus grands...

 

"Un barbier", d'après Rossini, mise en scène de Damien Robert, direction musicale Adrien Perruchon et Joël Soichez, au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, en représentations pour les scolaires jusqu'au 12 janvier. Représentations ouvertes à tous les publics le 13 janvier à 17 heures et à 20 heures.

Après Rouen et Paris le spectacle "Un barbier" va tourner dans différentes villes: Marseille (Opéra) du 27 janvier au 2 février. Vichy (au si beau Grand Théâtre) le 11 février. Avignon (Grand Opéra) du 12 au 19 mai. Et la saison prochaine (18-19), avec dates à confirmer encore, à Toulon, Reims, Nice et Montpellier.