Le concours Long-Thibaud-Crespin fête sa renaissance lors d'un gala présidé par Renaud Capuçon!

Lim, Margain, Païdassi, encadrés par le quatuor Hermès C) Dimitri Scapolan

C'était jeudi soir au théâtre des Champs-Elysées la soirée de gala du prestigieux concours Long-Thibaud-Crespin. Concours qui n'a pas eu lieu! Le programme était magnifique: Franck, Schubert et Schumann. Mais les interprètes, d'anciens lauréats du concours, pas toujours à la hauteur de l'enjeu: annoncer pour l'année prochaine la renaissance d'une compétition qui a failli périr.

 

Un concours menacé mais sauvé

On n'en saura d'ailleurs guère plus sur les raisons qui ont failli faire disparaître cette manifestation vieille de trois quarts de siècle. Sans doute des sponsors qui se sont défilés. Mais tardivement puisque dans le programme du théâtre des Champs-Elysées imprimé avant l'été il était toujours question jeudi 26 octobre de la "finale du concours de chant" L'été a dû être chaud au siège de la fondation qui gère le concours, à la recherche précipitée de nouveaux partenaires et peut-être aussi de têtes d'affiche comme Renaud Capuçon pour relancer la machine.

Au passage, mais c'est mon vieil esprit étatique qui me le murmure, il me paraît toujours un peu étrange qu'il se passe si rarement dans les domaines artistiques ce qui arrive assez souvent dans d'autres secteurs d'entreprises: des aides de l'état ou une remise à niveau des enjeux, un soutien en l'occurrence du ministère de la Culture dont on se demande vraiment désormais, quels que soient les ministres, à quoi il sert vraiment. Dont acte: le concours semble sauvé, pérennisé au moins pour les trois années à venir. On verra ensuite...

Ismaël Margain et Solenne Païdassi C) Dimitri Scapolan

Ismaël Margain et Solenne Païdassi C) Dimitri Scapolan

Prestigieux concours... à l'organisation compliquée

Car c'est le plus célèbre de nos concours, avec cette magnifique particularité d'avoir été créé sur deux jambes: le piano, le violon, soient les deux instruments les plus prestigieux. Marguerite Long eut cette idée, elle, l'amie de Fauré, Debussy, Ravel, la créatrice du "Concerto en sol", et c'est une oeuvre de Ravel, le "Scarbo" de "Gaspard de la nuit", qui distingua un jeune pianiste flamboyant de 19 ans, Samson François, lors de la première édition. C'était en des temps sombres, 1943, on avait besoin d'un peu d'espoir. Les interprètes étaient uniquement français (comment faire autrement?), c'est Michèle Auclair qui eut le prix de violon dont Jacques Thibaud, le partenaire de Cortot et de Casals, présidait le jury. Cela dura ainsi jusqu'en 1981, mais tous les deux ans: une année blanche (les paires), une année le double concours (les impaires), selon un principe qui  n'était déjà pas clair!

Le renouveau est en marche

Après, de manière très française, on rationalisa: une année violon une année piano. Mais comme c'était trop simple on rajouta l'année blanche, où d'anciens lauréats venaient donner un concert de gala (nous y voilà!) Cela dura jusqu'en 2011. Où l'on décida, à la place du concert des lauréats une épreuve de chant auquel on donna le nom de la plus célèbre des cantatrices françaises, Régine Crespin. Et si vous vous y retrouvez, vous avez de la chance.

Du coup les anciens lauréats ne jouaient plus leur concert de gala. Sauf cette année puisqu'il n'y a pas eu de concours!

Ismaël Margain et Dong-Hyek Lim combattant Schubert C) Dimitri Scapolan

Ismaël Margain et Dong-Hyek Lim combattant Schubert C) Dimitri Scapolan

Il n'empêche: le renouveau a fière allure. En 2018 ce sera le tour du violon: dans un jury présidé par Renaud Capuçon il y aura James Ehnes, Akiko Suwanai, Jean-Jacques Kantorow, Kolja Blacher, Maxim Vengerov, j'en passe. En 2019, le jury de piano aura à sa tête Martha Argerich. Et en 2020 le concours de chant sera dirigé par Dominique Meyer, ex-directeur du théâtre des Champs-Elysées, actuel directeur d'un des plus beaux opéras du monde, celui de Vienne, et par ailleurs membre d'une infinité de concours internationaux de chant, "parce que comment croyez-vous que je trouve des chanteurs pour mon opéra?" Superbes promesses...

Mais tout de même, j'ai regardé le nom des précédents directeurs: Yehudi Menuhin tout de même. Et Aldo Ciccolini, Menahem Pressler. Le dernier, pour le violon, était Salvatore Accardo, moins médiatique que Capuçon mais remarquable musicien.

Echapper aux candidats formatés

Le problème du concours étant un peu... celui du concert qui allait suivre!

Pas forcément (quoique cela existe encore) le style d'échanges des jurés-professeurs ("tu donnes un prix à mon élève, je donne un prix au tien dans le concours suivant": système qui a tué le patinage artistique) Mais plutôt l'invasion de jeunes formatés venus d'Asie pour la plupart (comme ils venaient des pays de l'Est dans les années 70) et qui conduit le jury à couronner celui qui ne déroute personne. Regardez les lauréats: depuis Cédric Tiberghien en 1998, aucun n'a fait de vraie carrière internationale.

Lim et Margain réconciliés! C) Dimitri Scapolan

Lim et Margain réconciliés! C) Dimitri Scapolan

 

Païdassi, beau son, pas assez expressive

Solenne Païdassi a été lauréate en 2010. Elle est niçoise. Elle joue la sonate de Franck avec Ismaël Margain, 3e grand prix de piano en 2012. Le son de Païdassi est beau, rond et plein, avec, ce que j'aime, des couleurs ardentes dans les graves. Mais elle aborde cette sonate, qui est d'un éclaboussant lyrisme, avec une placidité décourageante. Et Margain ne l'aide pas dans l' "Allegro", où le pianiste, mis vraiment à contribution, doit soulever son partenaire violoniste, le propulser. Mais Margain est bien trop timide. Les deux derniers mouvements sont mieux, avec les réminiscences de Bach du mouvement lent, et le canon du final. Il y a une belle construction des phrases, et surtout Païdassi et Margain se sont libérés.

La timidité d'Ismaël Margain

Dans la "Fantaisie à quatre mains" de Schubert, Margain tient le haut du piano. Il a la mélodie, cette mélodie modulée (passage rapide de majeur en mineur si typique de Schubert) qu'il expose avec poésie mais timidité là encore. Son partenaire, le coréen Dong-Hyek Lim, premier prix en 2001, a les graves, impose sa rythmique  jusqu'à repousser son partenaire vers l'aigu du piano, je veux dire physiquement, mais l'écriture de Schubert les confine souvent dans le médium à chevaucher leurs mains. On comprend vite que Lim prend le pouvoir, ce qui donne dans la partie plus affirmée, plus beethovénienne de l'oeuvre, non plus de la puissance mais de la brutalité.

Je suis allé écouter sur You Tube quelques mesures de Margain, justement dans une sonate de Schubert: c'est très joli, très poétique. Ce garçon est fait pour la confidence, pas pour taper du poing sur le piano.

Lim et le quatuor Hermès C) Dimitri Scapolan

Lim et le quatuor Hermès C) Dimitri Scapolan

Un quatuor qui chante, un pianiste brutal

Ce que fait Lim. Il gâche le premier mouvement du magnifique "Quintette" de Schumann où l'a rejoint le quatuor Hermès. Ce quintette est un chef-d'oeuvre pas assez joué. La brutalité du pianiste, telle mélodie si précipitée qu'elle ne chante absolument pas, font qu'on souffre un peu pour le quatuor, dont on découvre cependant l'osmose entre l'altiste, Lou Chang, et le beau violoncelle d'Anthony Kondo dans une phrase géniale où l'alto prend le relais du violoncelle au point qu'on a l'impression d'entendre le même instrument. L'admirable mouvement lent, "in modo di marcia", où Lim est obligé de se plier aux accents brisés du quatuor, à ces moments suspendus, interrompus, qui traduisent une intime souffrance, tient beaucoup mieux la route. Dans le scherzo, il faudrait être un pianiste papillon: ce n'est pas le cas. Lim tient le rythme du final, il y a enfin une vraie entente entre le quatuor et le pianiste: pour le reste, manque de répétitions ou d'empathie?

Je m'entends: on est évidemment à un beau niveau musical. Mais on devine la ligne directrice à suivre par Capuçon, Argerich, Meyer et leurs amis.

Qui ne concerne d'ailleurs pas que ce concours-là.

Concert de gala du concours Long-Thibaud-Crespin, présentation de Renaud Capuçon: Franck (Sonate pour violon et piano par Solenne Païdassi et Ismaël Margain) Schubert (Fantaisie pour piano à 4 mains en fa mineur par Ismaël Margain et Dong-Hyek Lim) Schumann (Quintette pour piano et quatuor à cordes par Dong-Hyek Lim et le Quatuor Hermès) Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 26 octobre