Esa-Pekka Salonen, magnifique "chef de danse" à l'Opéra-Garnier

"Grand miroir" de Teshigawara: Lydie Vareilhes et Juliette Hilaire C) Agathe Poupeney

Le nouveau spectacle de danse de l'Opéra-Garnier réunit trois chorégraphes (respectivement George Balanchine, Saburo Teshigawara et Pina Bausch) sur trois partitions jouées en direct, dont deux de Stravinsky. Les premières représentations se font sous la baguette du grand chef finlandais Esa-Pekka Salonen.

Un très grand chef dans la fosse

Et c'est à la fois inhabituel et très excitant. Evidemment, quand la musique est jouée en direct les "soirs de danse" (ce qui n'est pas toujours le cas), les artistes, chefs ou pianistes, ne sont pas mauvais du tout. Mais ce sont rarement de grands noms, puisqu'il s'agit d'abord, avant toute interprétation personnelle, de respecter les temps de la partition en fonction de la chorégraphie. Grande surprise donc de voir Esa-Pekka Salonen dans la fosse de Garnier. Salonen est un des dix chefs qui comptent aujourd'hui, avec sa silhouette (c'est un peu agaçant!) de quinze ans et demi alors qu'il a largement dépassé la cinquantaine!

 

Esa-Pekka Salonen C) Katja Tähjä

Esa-Pekka Salonen C) Katja Tähjä

Superbe concerto pour violon de Salonen lui-même

Il y a une raison à sa présence, commençons par celle-ci: la chorégraphie de Teshigawara se déroule sur une de ses propres partitions (car il est aussi un excellent compositeur), son "Concerto pour violon", d'une durée d'une demi-heure, magnifiquement défendu par Akiko Suwanai: Suwanai a la beauté de son et cependant l'âpre puissance requise  par une oeuvre où le violon, en longues phrases toutes de montées et de descentes chromatiques, est constamment sollicité. Ce qu'elle fait est superbe, il y a aussi un très bel accompagnement orchestral où sous les cordes et les vents très puissants, les percussions et les harpes distillent une poésie plus secrète. L'écriture de Salonen a pris ce qu'il y a de meilleur dans le contemporain, en n'oubliant jamais l'effet sur l'auditeur, dans une écriture qui, s'il fallait un modèle, serait les concertos pour violon de Prokofiev.

"Agon": Balanchine et Strawinsky main dans la main

Auparavant Salonen avait dirigé "Agon". Oeuvre sérielle de Strawinsky qui a mauvaise réputation musicale: en deux mots rébarbatif et ennuyeux. Strawinsky, comme Picasso en peinture, a parcouru beaucoup de styles, néo-classique, néo-baroque, sériel. En 1957 il s'essaie à une écriture minimaliste où des groupes d'instruments se répondent dans une écriture dodécaphonique.

Mais, et c'est une heureuse surprise, la partition d' "Agon" s'éclaire avec la chorégraphie de Balanchine. Le chorégraphe et le compositeur ont travaillé main dans la main. Cela s'entend autant que cela se voit, et "Agon" devient alors immédiatement lisible. La musique de ballet qui, traditionnellement, peut s'écouter... sans ballet, trouve avec "Agon" un contre-exemple, et il est probable aussi que l'attention de Salonen, sa précision rythmique et sonore y soient pour beaucoup. Et les musiciens de l'orchestre de l'Opéra, comme souvent nos phalanges françaises quand elles ont confiance dans leur conducteur, font, sous son autorité, un superbe travail.

Salonen dirige un exceptionnel "Sacre du printemps"

Mais le plus beau est pour ce chef-d'oeuvre immense qu'est "Le sacre du prirntemps" Le ballet de Strawinsky (1913) est peut-être la plus grande oeuvre du XXe siècle. Salonen aime infiniment cette partition qu'il dirige souvent. La beauté de ce qu'il fait en fosse (et qu'il fait faire aux musiciens) magnifie encore la géniale chorégraphie de Pina Bausch. Il ne cherche pas, comme Boulez, à mettre en lumière la modernité de l'oeuvre; ni, comme un Karel Ancerl, à en retrouver les racines slaves. Mais à faire ressortir l'inventivité incroyable des rythmes et des alliages d'instruments, avec une puissance et une beauté enthousiasmante. On sort sonné de cette expérience, aussi riche pour les oreilles que pour les yeux.

"Agon": les étoiles Myriam Ould-Braham et Hugo Marchand C) Agathe Poupeney, Opéra de Paris

"Agon": les étoiles Myriam Ould-Braham et Hugo Marchand C) Agathe Poupeney, Opéra de Paris

Un concert autant qu'un spectacle

Les publics de la danse et du répertoire symphonique (sans parler de l'opéra) ne sont pas les mêmes. Voilà une soirée magnifique qui réconciliera les deux: si elle est d'abord destinée aux amoureux des ballets, les amateurs de musique, sans pour autant fermer les yeux, auront droit à un concert magnifique, que Salonen aurait pu donner dans une grande salle, et d'une même durée.

Mais cela ne durera pas tous les soirs. Salonen dirige jusqu'à la fin du mois d'octobre, laissant place ensuite au jeune chef (brillant nous dit-on) Benjamin Shwartz. Akiko Suwanai, cependant, poursuivra jusqu'à la fin sa superbe performance;

Et Salonen, lui, restera à l'Opéra puisqu'il sera en pleine répétition de "De la maison de morts" de Janacek , qu'il dirige à Bastille à partir du 15 novembre.

Bien sûr, nous vous en parlerons.

Chorégraphies de Balanchine, Teshigawara, Bausch sur des musiques de Strawinsky (Agon), Salonen (Concerto pour violon, soliste Akiko Suwanai), Strawinsky (Le sacre du printemps) Orchestre de l'Opéra de Paris, direction Esa-Pekka Salonen (jusqu'au 31 octobre) et Benjamin Shwartz ensuite. Opéra-Garnier jusqu'au 16 novembre.