La maîtrise de Radio-France chante Debussy, le printemps en automne et des chansons de marins

Sofi Jeannin et sa jeune troupe C) Christophe Abramowitz

Ou du moins une partie de la maîtrise, une trentaine de jeunes filles de 12 à 16 ans, dont un garçon. C'était l'autre soir, au studio 104 de Radio-France, qui ressemble en plus petit au si bel auditorium voisin, orgues en moins. Sofi Jeannin dirigeait, avec l'autorité qu'on lui connait, la précision, la rigueur. Trop de rigueur?

Une Maîtrise métissée

Une maîtrise qui a déjà soixante-dix ans. On oublie que, quand Henry Barraud (on ne joue plus du tout sa jolie musique!) la créa en 1946, il inventa aussi, ou quasiment, le mi-temps pédagogique, enseignement général le matin, enseignement musical l'après-midi. Cela semble fonctionner, les jeunes recrues sont aujourd'hui près de deux cents, et l'intitulé des noms et des prénoms nous renvoie l'image d'une France métissée, multiple dans ses origines, mieux que dans bien des domaines, y compris certains sports...

Ce mardi soir les filles étaient à l'honneur...

Le beau répertoire français

Et d'abord dans des oeuvres françaises, pour la prosodie, si essentielle! Qui ne pose guère de problème dans l' "Ave verum corpus" de Poulenc. C'est ravissant. On croirait entendre les Carmélites du "Dialogue", dix ou quinze ans plus tôt, priant le Christ et la Vierge avant d'avoir prononcé  leurs voeux. Les voix a cappella se fondent, et c'est un travail (initié par Sofi Jeannin) d'autant plus remarquable que certaines de ces jeunes filles ont déjà leur tessiture d'adulte, qui en soprano qui en contralto, quand d'autres conservent pour quelque temps leur voix... d'ange. Ce sera un des très jolis moments du concert.

Puis entre l'accompagnatrice, la pianiste Corine Durous, par ailleurs répétitrice à l'Opéra ce qui prouve que les deux maisons cohabitent sans heurt! Un délicieux Pierné, "L'hiver s'envole (chanson d'avril)", qui ressemble à une chanson populaire: "Bonjour madame l'hirondelle / Salut, messire le bouvreuil / Bonjour mesdames les pervenches / Salut, messires les muguets!" Quand donc les danseurs de l'Opéra mettront-ils à leur répertoire le si charmant ballet de Pierné, "Cydalise et le chèvre-pied", Pierné, qui fut par ailleurs un excellent chef, créant "L'oiseau de feu' de Strawinsky ou "Ibéria" de Debussy?

Debussy avant la poésie américaine

Et Debussy justement: "Salut printemps", oeuvre de jeunesse mais où, dans la partie de piano, on reconnaît immédiatement le compositeur, et Durous différencie très bien les deux univers. Les jeunes filles ont toujours autant de goût, parfois la prosodie... mais on sera indulgent, c'est encore un travail en cours!

C) Christophe Abramowitz / Radio-France

C) Christophe Abramowitz / Radio-France

Elles se confrontent ensuite à l'anglais, avec les "Sept poèmes d'Emily Dickinson" de Philippe Hersant. On est dans le contemporain, la rythmique est plus complexe, le piano est comme une houle. Hersant trouve les notes pour l'étrangeté elliptique des poèmes de Dickinson, dont la vie fut tout entière consacrée à la poésie dans l'univers étriqué de la Nouvelle-Angleterre: "Heure de février / Blanche comme une pipe indienne / Rouge comme une cardinale / Fabuleuse comme une lune à midi"

Dutilleux  et ses chansons de marins

Saviez-vous qu'Henri Dutilleux avait composé des chansons de marins?

Il les a harmonisées plutôt. Au début des années cinquante, quand il s'occupait des illustrations musicales à la Radio qu'on n'appelait pas encore Radio-France. Certaines sont connues, "Les filles de La Rochelle", "Ya z'un petit bois ("Derrière chez nous y a z'un petit bois / J'cueillis deux fraises, j'en mangis trois") D'autres fort peu, comme l' "Adieu cher camarade" ou "Le grand coureur", qui décrit un bateau corsaire portant notre drapeau et poursuivant le perfide Anglais dans un combat inégal. C'était un genre à part entière qu'on appelait plutôt "Chants de bord" , divisés en "chansons du gaillard d'avant", "chansons à hisser", "chansons à virer", différant de rythme suivant les manoeuvres, et avec une écriture très "XVIIIe siècle", qui fut l'âge d'or de notre répertoire populaire.

Je reprocherai cette fois à ces jeunes filles d'être beaucoup trop sages, de ressembler à de jeunes nonnes qui rêvent d'une promenade en barque. Et Sofi Jeannin, pourtant d'un pays de marins, la Suède, préfère la qualité d'exécution à la vivacité de l'interprétation. C'est un peu dommage, "le grand coureur" étant le plus réussi.

Percussions, samba canadienne et loups sur la scène

Or, justement, ces jeunes filles savent se lâcher. Après un César Franck, "Soleil", qui ressemble à du Fauré, place à une seconde partie plus contemporaine, où l'on voit d'abord surgir quelques garçons un peu empruntés. On comprend pourquoi, ils ne sont pas là pour chanter(alors qu'ils font partie de la maîtrise!) mais pour accompagner leurs camarades... aux percussions. Qui à la cymbale, qui au tambourin. Pour le "Überlebensgross" du Canadien Stephen Hatfield.

C) Radio-France/ Christophe Abramowitz

C) Radio-France/ Christophe Abramowitz

"Überlebensgross", créé, ça ne s'invente pas, "à la conférence de l'Association des directeurs de chorale américains" en 1998 (les directeurs en question étaient-ils les choristes?), joue sur le rythme, les onomatopées, les "clap your hands" avec des détours entre flamenco et samba où nos jeunes filles montrent qu'elles savent swinguer. C'est très bien, comme est très bien le "Dreams" du Finlandais Erik Bergman qui installe peu à peu sur des "Ouahh... Ououhh!" une étrange atmosphère spatiale (les voix se répondent) qui finit par donner l'impression d'une meute de loups tenant conversation dans la steppe. C'est assez inquiétant et très réussi.

Une Anglaise au Caucase

On avait eu, avant cette section contemporaine, et pour laisser nos jeunes choristes souffler un peu, un "intermède" d'une compositrice anglaise, Mel Bonis: "Romance sans paroles", qui regardait vers Debussy avec un rythme de sicilienne, "Eglogue", qui ressemblait parfois à Satie, mais un Satie visitant le Caucase et en rapportant des harmonies déconcertantes d'orientalisme. Corine Durous y mettait toute la variété de climats nécessaire.

Je n'ai en revanche aucun souvenir de l' "Ave Maria" de la Canadienne Cecilia McDowall, à peine plus du "Salve Regina" du Basque Javier Busto. Le style de pièces davantage pour la technique de chant que pour le plaisir de l'auditeur.

Un Anglais écrit des berceuses

En revanche quelle belle réussite que les "Music for sleep" d'Harrison Birtwistle! Ce sont en fait des berceuses que l'Anglais a écrites quand il enseignait la musique dans des écoles du Dorset.  Et pour rappeler (Sofi Jeannin le fait à sa place) l'importance d'éduquer l'oreille des petits, de leur apporter la musique dès leur plus tendre âge. Ce qui, on le sait, est encore aléatoire. La création fut assurée en 1963 (Birtwhistle avait 29 ans) par ses élèves du collège de Bryanston. C'est d'une ravissante poésie, avec des percussions syncopées, un piano aux limites du silence (et Durous, là encore, y est impeccable) et quelques phrases des vents, une flûte, un piccolo, une clarinette, que jouent elles-mêmes certaines des choristes, montrant ainsi qu'elles ne sont pas seulement chanteuses mais musiciennes avant tout.

Et Verlaine en conclusion

Un "bis" enfin, du français Julien Joubert, qui a composé beaucoup d'oeuvres, en particulier des opéras (une soixantaine) pour enfants. C'est le fameux: "Il pleure dans mon coeur comme il pleut sur la ville" de Verlaine.Verlaine dont la poésie n'est que musique, pour conclure un concert où la musique était toute poésie.

Concert de la Maîtrise de Radio-France (section féminine), direction Sofi Jeannin, Corine Durous, piano.: oeuvres de Poulenc, Pierné, Debussy, Hersant, Dutilleux, Franck, Bonis, Hatfield, Bergman, McDowall, Birtwisle, Busto, Joubert. Studio 104 de la Maison de Radio-France le 17 octobre.