C'est un petit festival, oh! comme il en existe tant d'autres assurément pendant l'été, oui, mais c'est le mien! Je veux dire que je le fréquente tous les ans, par après-midi chauds ou soirées douces, avec des bonheurs constants de découvertes, une convivialité qui me plait, une simplicité de l'écoute qui vient aussi du cadre.
C'EST MON FESTIVAL A MOI
Je sais, pourquoi celui-là? Vous en avez vous-mêmes près de votre lieu de vacances, et ce sont toujours des moments de partage, avec la disponibilité que nous autorise le temps du repos, et l'admiration sincère pour tous ces bénévoles, nombreux ou pas, qui nous rendent, à nous et surtout aux musiciens invités, aisé le quotidien et paisibles ces rencontres. Il y a souvent peu de moyens, glanés ici et là auprès de quelques sponsors et de collectivités de plus en plus comptables (d'autant que le monde du classique ne fait guère de tapage) Alors, en remerciant ceux qui s'occupent de mon festival, que j'appellerai Christine et Jean-Claude, un grand bravo à tous ceux qui font le même travail partout en France!
Mon festival à moi se nomme "Les musicales du Jaur" Le Jaur est une modeste rivière de résurgence, qui serpente entre les cailloux sur les contreforts des Cévennes. On est encore dans le département de l'Hérault, mais loin de la côte, les routes sinueuses ont commencé qui mènent au Tarn plus bucolique et à l'Aveyron plus sauvage. Au bout d'une trentaine de kilomètres, le Jaur se jette dans l'Orb, petit fleuve qui aurait pu donner son nom au département puisqu'il est cousin germain de l'Hérault, né comme lui aux frontières lozériennes et se jetant dans la mer près de Béziers quand l'autre, à quelques lieues, finit sa course près d'Agde. La vallée où est mon festival s'appelle la "vallée du Jaur et de l'Orb" car l'un vient à la rencontre de l'autre, creusant doucement son lit dans une lumière toscane, du côté sud où est une ligne de croupes boisées.
UNE LUMIERE TOSCANE ENTRE VIGNES ET MONTAGNE
Car de l'autre côté c'est la montagne. Une vraie montagne même si elle n'est pas très haute. Prenez une carte, vous la verrez serpenter, cette montagne-là, de Carcassonne à Nîmes, en prenant des noms différents, Montagne Noire, Espinouse, Pic Saint-Loup. Au-dessus du prieuré de Saint-Julien se dresse le mont Caroux, avec ses aiguilles dentelées sous le ciel bleu cru du Languedoc. On y fait au printemps des balades au milieu des genets et des bruyères, parmi les froids torrents qui serpentent sur le plateau.
EGLISE COMBLE POUR PEIRANI
Ce sont des conglomérats de roches d'un côté, la vigne de l'autre qui descend en pente douce, et le prieuré avec son clocher-porche, son abside miniature, son vieux cimetière, ses cyprès qui l'ombragent, une cour où dînent les musiciens -il fait trop chaud à midi. Ce jour-là, pour Vincent Peirani, la modeste église était comble, on rajoutait des chaises, des coussins, on s'asseyait par terre. Car Peirani est désormais une star, demandé partout, jouant avec tant de compagnons qui le réclament, avec la même musicalité, la même virtuosité, le même plaisir transmis. Il était déjà venu ici. Poussé par son ami François Salque, qui a pris depuis son envol en solo après avoir été le violoncelliste du quatuor Ysaÿe. Salque et Peirani: cela prouve le flair de nos Christine et Jean-Claude.
C'est Salque qui devait revenir cette année. Il a eu un empêchement. Peirani a accepté de le remplacer. "Ce sont des stars qu'on peut difficilement s'offrir" me souffle un habitué. Mais l'amitié y pourvoie. Et le bonheur d'un lieu magique. Peirani, grand et beau gosse, plus de deux mètres de haut, jouant pieds nus ("c'est mon petit confort" sourit-il. Voilà pourquoi il n'est pas devenu pianiste!), sentant son instrument avec lequel il fait corps, sans jamais le regarder (c'est étrange, les accordéonistes jouent souvent ainsi) Peirani, mêlant tous les styles, le jazz d'Abbey Lincoln, le Brésil d'Egberto Gismondi, l'incontournable Astor Piazzolla, bien sûr et puis "Les choses de la vie", oui, le film de Sautet, la musique de Philippe Sarde, à sa sauce, à sa manière. Et Schumann aussi.
UN ACCORDEONISTE QUI JOUE DE LA CLARINETTE
Robert Schumann. Avec François Salque. Qui n'aurait pas pu assurer tout le concert (il jouait dans le coin) mais qui est venu faire un "boeuf" classique avec son ami. Devant les caméras d'Arte, qui tournaient un portrait de Peirani. Peirani dans la cour des grands, vous dis-je.
Et l'homme, gentil comme tout avec ses plus de deux mètres, et qui est aussi clarinettiste. L'accordéon, c'était le rêve du papa niçois. Maintenant le fils lui fait honneur. Mais on rêve maintenant de l'entendre dans le concerto pour clarinette de Mozart ou les sonates de Brahms. Sauf que... pour lui, le clarinettiste, c'est Michel Portal, avec lequel il joue aussi. On sent que Portal, c'est un dieu pour le petit Peirani... pardon, le grand, qui reste à l'accordéon tant que Portal est à sa clarinette.
Quel duo!
HARPE ET HARMONICA DE VERRE
Un autre duo, la semaine précédente, profondément original. C'était un peu plus loins, dans une autre église perchée, entre d'autres cyprès et une mairie à flanc de colline: Saint-Martin-de-l'Arçon. Les deux musiciens, Thomas Bloch et Pauline Haas, jouent deux étranges instruments, et étranges surtout à entendre ensemble. Ils sont en couple, ceci explique cela. Elle est harpiste, elle attend un heureux événement. Lui joue de l'harmonica de verre: ils sont cinq dans le monde!
Imaginez une série d'anneaux de verre, encastrés les uns dans les autres du plus petit au plus grand, et qui, maintenus par des cercles dorés, forment un gros ver produisant des sons cousins des verres de champagne quand on les remplit d'eau. Cela s'appelle glass harmonica en allemand.
MOZART ECRIVANT POUR UN BOUDIN DE CRISTAL...
Car l'inventeur en serait le fameux magnétiseur Franz Anton Mesmer, ami de la famille Mozart. Wolfgang a donc composé pour ce bizarre boudin de cristal, des œuvres de maturité qui sont avant tout pittoresques. Mesmer espérait de son instrument guérison mais ce pouvait être davantage de folie encore, les ondes aiguës pouvant agresser certaines oreilles. Pendant le concert deux personnes sont même sorties pendant l' "Adagio et Rondo" de Weber, ignorant l' "Adagio K.14/18" de Thomas Bloch lui-même, hommage à Mozart autant qu'aux soldats de la Grande Guerre!
La seconde partie était encore plus excitante: une étrange "Fantaisie sur Lucia de Lamermoor" où la harpe remplaçait le piano, en rajoutant dans la douceur hagarde de la pauvre héroïne. Un très beau Chick Corea, "Crystal silence", au carrefour du jazz et... du silence, et une étrange merveille, "O Venezia, Venaga, Venusia" que Nino Rota composa pour le "Casanova" de Fellini.
LES TALENTS CACHES D'UN JOLI DUO
Enfin cet "Iguales al nacer" que Pauline Haas, à demi uruguayenne, nous chante d'une voix sûre et ravissante en s'accompagnant: "Las agujas implacables tejiendo letras de pelos mezelando sueno y verda" De qui? Falla? Mompou? La zarzuela? Perdu! D'Haas elle-même, auteure et compositrice, et qui a bien des talents.
Quant à Thomas Bloch, il joue aussi des ondes Martenot, du waterphone et du cristal Baschet, instrument des années 60 perdu de vue, là aussi ils sont cinq dans le monde...
UN PETIT VERRE AVANT LES QUATUORS
Après ce sera le verre de l'amitié, un de ces vins de la région qui ont tant progressé ces dernières années. Avec modération, évidemment, de toute façon la route qui redescend dans la vallée est pleine de tournants et les derniers feux ont déjà disparu derrière la montagne...
La semaine prochaine, pour la 12e année, place aux quatuors. Je n'ai plus en tête les précédents, ils sont souvent devenus célèbres. Si vous passez par-là, entre Saint-Pons et Bédarieux, allez donc les entendre. Quand ils courront le monde entier, vous pourrez dire alors: "J'ai assisté à leurs débuts" Sous les étoiles qui font là-bas, comme le disait Racine, "des nuits plus belles que nos jours"
Festival "Les musicales du Jaur", concerts de Pauline Haas (harpe) et Thomas Bloch (harmonica de verre) le 16 juillet, concert de Vincent Peirani, accordéon, avec François Salque, violoncelle, le 23 juillet.
12e festival "Autour du quatuor" du 19 au 27 août avec les Quatuors Hanson et Akilone et le Quintette Odyssée. Renseignements en mairie d'Olargues (34390)