C'est la nouvelle star africaine du chant, plus précisément d'Afrique du sud, le reste du continent demeurant terre de mission pour la musique classique. Après Pumeza Matshikiza voici Pretty Yende. La jeune femme, qui a déjà chanté en France, clôturait la saison du Théâtre des Champs-Elysées.
YENDE ET LE BEL CANTO
Elle apparaît dans une imposante robe framboise avec des incrustations gris-vert, assez XVIIIe siècle moderne, elle est plus grande que le chef, Quentin Hindley. On cherche évidemment les différences avec Matshikiza: celle-ci est peut-être davantage dans le grand répertoire des sopranos mais aussi dans l'exploration de ses racines, Yende montrant un goût pour le bel canto, malgré une incursion dans "Carmen" (en Micaëla) ou Pamina ("La flûte enchantée"): pas si éloignées finalement l'une de l'autre. Son récital insistait d'abord sur le bel canto, mais plutôt côté vocalises: Rossini, Bellini, Donizetti. Pas Verdi, qu'elle ne chante guère pour l'instant. Puccini n'est pas encore très présent, sinon Musetta dans "La Bohème", tessiture très haute, mais Yende a de sacrés aigus, même si parfois ils lui échappent.
Elle commence d'ailleurs par un air du "Comte Ory" de Rossini, l'air d'Adèle, "En proie à la tristesse" C'est assez gonflé d'inaugurer un récital comme cela car c'est un air redoutable, et, comme souvent dans le bel canto, partagé en deux, début lent, de méditation ou de douleur (marqué ici "agitato" car la pauvre Adèle, veuve inconsolée, lutte contre un amour inavouable), puis cabalette, où elle accepte enfin lesdits sentiments, ce qui se caractérise par des vocalises... funambulesques.
VOIX LEGERE ET AGILE
Le matériau est très beau. La voix, légère et agile, est très souple, ce qu'il faut dans cette musique-là. Mais il y a peut-être une erreur de placement dans le déroulement du concert, l'air devrait venir un peu plus tard: les vocalises, très difficiles, ne sont pas toujours parfaites, les aigus sont parfois criés, la projection perfectible. Quelques hésitations, des notes un poil trop hautes ou trop basses: on ne sait trop quoi penser. Dans la cabalette, qui est vraiment le moment virtuose, avec des aigus redoutables, Yende s'est un peu chauffée, elle est de plus en plus à l'aise, même si on a peur pour elle, surtout le passage aux vocalises dans le médium sur un ambitus (largeur de la tessiture) serré, accumulant les demi-tons. On respire enfin. Elle aussi sans doute.
UNE ROSINE QUI S'AMUSE
L'air suivant, toujours de Rossini, est le fameux "Una voce poco fa", du "Barbier de Séville". Après une introduction rythmiquement bizarre, le chant se déploie, un chant qui a des graves puisque le personnage de Rosine est souvent dévolue à une mezzo. Cela prouve aussi l'étendue de la tessiture de Pretty Yende et comme, en Rosine, elle s'amuse beaucoup, comme ses vocalises, cette fois, sont aussi faciles que délicieuses, on passe un moment absolument charmant.
Elle poursuivra avec un air peu connu de Bellini, tiré de cette "Béatrice de Tende" qui, au vu de l'histoire, est un effroyable mélo. La douce et pure Béatrice, qui ne soupçonne pas encore son déplorable destin, se contente dans ce "Respiro io qui...Oh! mie fedeli!" de se plaindre de l'indifférence de son mari et de la triste existence où il la confine. Après un prélude qui sonne entre "jeune Verdi" et musique militaire, voici une introduction pleine de sentiment, chantée d'une voix claire, là aussi pas toujours à la note mais où les quelques imperfections techniques n'empêchent pas l'émotion de nous gagner, avant une cavatine exemplaire. Mais ce n'est pas le morceau le plus inoubliable qu'on ait entendu.
INTERLUDES A MIEUX CHOISIR
Il faudrait parler aussi de cette habitude désormais ancrée dans ce genre de récital, où l'interprète s'éclipse pour laisser place à des interludes orchestraux qui ressemblent trop souvent à du remplissage. Ce n'est pas la faute de l'orchestre de Picardie qui se débrouille plutôt bien ni du chef, Quentin Hindley, aussi attentif à sa chanteuse qu'à l'énergie de sa battue, histoire de ne pas nous alanguir entre les visites de Yende. Son ouverture du "Barbier de Séville"est bien enlevée, dirigée avec goût, mais les percussions sonnent un peu bastringue. Le prélude de "Béatrice de Tende" n'est pas très passionnant mais il est en situation. "Le dernier sommeil de la Vierge", prélude symphonique d'un oratorio de Massenet, avec son morceau de violoncelle solo, sonne très musique française mais je l'ai déjà oublié. Quant à l'ouverture de "Nabucco", avec des trompettes pas très justes, elle étonne d'autant qu'il n'y a pas de Verdi dans le programme chanté...
MASSENET, DONIZETTI...
Mais du Massenet. Rien à voir avec la Vierge (vraiment rien, ou alors, c'est ironique) puisque c'est un air de "Manon", non "Adieu ma petite table" mais "Je marche sur tous les chemins" (dans l'acte, si ma mémoire est bonne, du Cours-la-Reine): Manon au sommet de sa vie de poule de luxe. Là aussi c'est charmant, les couleurs sont justes, la fraîcheur du timbre adorable, le français... particulier.
J'oubliais: il y avait eu (on était après l'entracte) un air de "Linda di Chamounix". Pretty Yende avait changé de robe, soie blanche désormais avec un haut incrusté de brillants. "Linda di Chamounix", c'est de Donizetti. Encore un mélo et un air, "O luce di quest'anima", qui est une ode à l'amour même si, plus tard, l'amour rendra folle la malheureuse Linda. Les vocalises sont parfaites, désormais, la voix est chaude, la cavatine est impeccable, on dirait d'ailleurs du Bellini, comme l'air de "Béatrice de Tende" ressemblait à du Donizetti. "Linda di Chamounix" est l'introduction (mais il y aura Massenet au milieu, bizarre!) au plus célèbre "Air de la Folie" du répertoire, celui de "Lucia di Lamermoor" (que Yende a chantée cette saison à l'Opéra-Bastille) Donizetti encore: il y faut du souffle, un sens de la construction, un art de jouer, que Yende installe très habilement, au prix là aussi, dans le feu de l'histoire, de quelques notes inégales.
LA DOUCEUR DE LA FOLIE
Mais elle joue sur son tempérament. Rien des héroïnes hagardes et terrifiées à la Natalie Dessay. Sa Lucia sombre dans la folie avec une douceur, un moelleux dans le chant, à la Desdémone. Le long passage en notes séparées sur des accords de flûtes voit l'émotion monter, la chanteuse est à nu, sentimentalement et vocalement. C'est très beau, presque insaisissable, et ce sera un triomphe.
Elle nous en récompensera. Toute heureuse de cet accueil, avec trois airs d'un bel cantisme échevelé dont un, très rare et... très connu: je veux dire de ceux que l'on croit connaître, dans un français mieux prononcé, et dont on se dit: "C'est du Berlioz, du Bizet, du Saint-Saëns?" Pas du tout: "Ombre légère" est dans "Le pardon de Ploërmel" de Meyerbeer. On est dans la pyrotechnie mais dans une pyrotechnie tout de même très musicale, Yende semble passer les obstacles les uns après les autres (et ils sont nombreux) avec une grâce folle et un amusement certain, elle est ovationnée, finit par s'effacer dans un bruissement de soie.
Ombre légère? Forte présence, plutôt.
Récital de Pretty Yende, soprano, orchestre de Picardie, direction Quentin Hindley: airs et morceaux orchestraux de Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi et Massenet. Théâtre des Champs-Elysées le 28 juin.