Gautier Capuçon et les six violoncellistes: un concert-partage

De gauche à droite: Laura Szabo, Samuel Parent (pianiste), Cameron Crozman, Gautier Capuçon, Sophia Bacelar, Cornelius Zirbo, Margarita Balanas, Sol Daniel Kim C) Fondation Louis-Vuitton/Martin Argyroglo

C'est la tradition: chaque série mensuelle de "master class" se conclut par un concert où les plus fidèles d'entre nous peuvent juger de la progression des élèves. Mais c'est d'abord un concert-partage qui réunit six violoncellistes et un septième, Gautier Capuçon, pas du tout en invité d'honneur mais en compagnon de route.

CHACUN DES SIX A SON  HEURE DE GLOIRE

Chacun des élèves aura son heure de gloire, dans un programme souvent de transcriptions et qui pourrait être plus excitant. Ainsi de Sol Daniel Kim dans une sonate de Boccherini où Capuçon tient la basse continue. Le jeune Kim s'ébroue avec joie dans cette oeuvre encore baroque qu'il précipite dans le XIXe siècle en quelques mesures rageuses et presque dissonantes. Et l'on comprend alors que, dans Rachmaninov, il fallait le pousser hors de lui-même, ce qu'a fait Gautier sans relâche.

L'ECOUTE DE L'UN, LE LYRISME D'UN AUTRE

Le jeune Canadien Cameron Crozman, 21 ans, physique d'étudiant sage, dialogue d'égal à égal avec Gautier dans la rare "Sonate à deux violoncelles et piano" de Menotti, plus connu pour ses opéras. Le son est riche et plein, et Crozman est constamment à l'écoute de son partenaire. Il tiendra tête de nouveau à Gautier dans une belle transcription de l'Andante du "2e concerto pour piano" de Brahms par Samuel Parent, le pianiste. Le somptueux solo de violoncelle est tenu par Gautier, le solo de violon est tenu par... Crozman au violoncelle.

On verra briller aussi le plus jeune de tous, le Roumain Cornelius Zirbo, 18 ans, qui a transcrit lui-même les très belles "Danses populaires roumaines" de Bartok, hongrois dont le village natal est aujourd'hui... roumain. Zirbo y montre un beau lyrisme, jetant de temps en temps un coup d'oeil à sa voisine, la Hongroise Laura Szabo (qui réside... à Madrid), comme s'il quêtait aussi son approbation. Szabo sera la soliste d'une pièce en forme de valse d'un certain Fitzenhagen (à quatre violoncelles), il eût été plus judicieux de nous adapter n'importe quel Johann Strauss. Crozman, Szabo, Zirbo et Capuçon continueront avec un "Doloroso" inconnu de Dvorak, où le but est d'apparaître, malgré la même tessiture de son, comme un vrai quatuor à cordes, se partageant, les uns les notes aiguës, les autres les graves ou le médium.

UNE JEUNE FEMME TRANSFORMEE

Sophia Bacelar, 20 ans, est Américaine, d'ascendance sino-cubaine, et elle vit à Berlin, tout en parlant un français parfait! Elle joue ce célèbre "bis" des violoncellistes qu'est le court "Silence de la forêt" de Dvorak. Sans être assez soliste, justement, malgré la beauté sonore. Et puis stupeur: mademoiselle Balanas revient avec le "Kol Nidrei". On ne jurerait pas qu'elle a suivi à la lettre les recommandations de Capuçon mais son jeu en est tout de même transformé: un lyrisme transfiguré, une intensité qui surprend l'excellent Samuel Parent lui-même.

Bruno Mantovani et sa "Victoire de la musique" en 2009 C) JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

Bruno Mantovani et sa "Victoire de la musique" en 2009 C) JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

LA CREATION DE MANTOVANI

Après un "Fuga y Misterio" déchaîné des sept musiciens, dû à Astor Piazzolla (Kim et Zirbo en "frappeurs", Gautier en solo, les autres en glissandos et traits d'archets violents), place à la création de Bruno Mantovani que celui-ci présente avant de la diriger. Présente avec humour mais presque en la dévalorisant! Cet "O salutaris hostia", il l'a écrit sur un thème de Pierre de La Rue, compositeur de la Renaissance, parce qu'il n'avait pas forcément le temps de l'écrire d'après... lui-même: "En gros quand j'ai demandé: "C'est pour quand?", on m'a répondu "Pour hier matin" Et donc il a étiré, coupé en morceau, rabouté l'oeuvre de La Rue, en y injectant des glissandos, des stridences, des notes répétées.

Comme s'il avait pris "la Joconde", l'avait divisée en petits morceaux et réorganisée, en la faisant vivre ensuite sous différents éclairages.

On entend ainsi plusieurs pistes sonores, cela dure assez peu de temps (même pas huit minutes) pour qu'on suive sans lassitude, cela dure aussi assez peu de temps pour qu'on ait envie de réentendre afin d'analyser.                             Les sept en tout cas sont impeccables, les jeunes et le plus âgé dans l'écoute mutuelle que ces rencontres d'une année ont évidemment développée.

Pas un concert mais un partage.

L'an prochain, des sept, il n'en restera qu'un.

Un, mais ils seront toujours sept.

Gautier Capuçon et ses six violoncellistes, Margarita Balanas, Sophia Bacelar, Laura Szabo, Cameron Crozman, Sol Daniel Kim, Cornelius Zirbo, avec Samuel Parent au piano: oeuvres de Bartok, Dvorak, Chostakovitch, Menotti, Fitzenhagen, Boccherini, Brahms, Bruch, Piazzolla et une création mondiale de Bruno Mantovani dirigée par le compositeur. Fondation Louis-Vuitton, Paris, le mercredi 7 juin