A Bastille, "Bastien et Bastienne", les premiers amoureux de Mozart

Bastien (Juan de Dios Mateos Segura) et Bastienne (Pauline Texier) se disputent ou se réconcilient ! C) Agathe Poupeney

UN SPECTACLE POUR TOUT PUBLIC

C'est un très joli spectacle pour le jeune public qu'on peut voir à l'amphithéâtre Bastille et qui a cette vertu pédagogique pour les parents de pouvoir dire aux enfants: "Tu vois, quand le compositeur a écrit ça, il avait à peu près ton âge". Bon, cela peut aussi les effrayer...

Ce n'est pas tout à fait la première oeuvre de scène de Mozart (il y avait déjà eu  "Apollon et Hyacinthe") et ce fut composé en même temps que son premier "vrai" opéra, "La finta semplice" Mozart avait 12 ans... "Bastien et Bastienne" est ce qu'on appelle un singspiel, une oeuvre écrite sur des thèmes populaires avec des dialogues parlés. Bref, plus ou moins notre opéra-comique. "Bastien et Bastienne" était une commande du fameux médecin hypnotiseur, Anton Mesmer, chez qui le singspiel fut créé le 1er octobre 1768. L'intrigue en est simplissime: la bergère Bastienne aime Bastien, jeune gars du voisinage qui le lui rend bien sauf... qu'il regarde ailleurs. Elle est désespérée. Elle demande de l'aide à Colas, le devin du village, un de ces personnages à qui l'on prêtait de savoir lire l'avenir et qui étaient d'abord des grandes gueules, mais psychologues avant l'heure. Grâce à l'aide farfelue de Colas, Bastien et Bastienne vont se réconcilier.

Bastienne et son stand de tir C) Agathe Poupeney, Opéra de Paris

Bastienne et son stand de tir C) Agathe Poupeney, Opéra de Paris

AMOURS ADOLESCENTES

Les adultes auront le droit de trouver l'histoire pauvrette. Qu'ils se souviennent donc du temps de leurs premières amours, quand ils disséquaient le moindre regard de l'aimé (e), son moindre geste, lui donnant une importance qui renvoyait les cyclones au rang d'aimables badineries! Il faut se reporter à la scène de dispute de Valère et Marianne dans le "Tartuffe" de Molière pour juger de la justesse psychologique de la (longue) scène de réconciliation finale, scène où, inlassablement, on se jette à la figure avec toute la mauvaise foi du monde les signes donnés par l'autre et les plus mal interprétés qui soient, en cherchant le mot qui blesse sans songer un seul instant à l'effet qu'il produira. Et cela dure et cela dure, comme dans toutes les disputes adolescentes (avec soupirs, bouderies, séduction coquette, sourire charmant, trépignement, petite larme, etc) depuis que le monde est monde. A ce jeu, Bastien et Bastienne sont parfaits, sous le regard de Colas qui en a vu d'autres.

LA FETE FORAINE DE MIRABELLE ORDINAIRE

La metteuse en scène, Mirabelle Ordinaire (quel nom étrange et beau!) utilise très joliment l'amphithéâtre de Bastille (donc un demi-cercle) pour nous proposer une amorce de fête foraine où les douze musiciens (les cordes, hautbois, cors et clavecin) sont placés sur un kiosque à musique. Devant nous, sont de jolis panneaux indicateurs rouges et bleus: "Pêche à la ligne", "Voyance" (c'est le stand de Colas), "Rivière sans retour" (serait-ce le film préféré de Mirabelle Ordinaire?), "Stand de tir" (celui de Bastienne où les agneaux ont des fusils pour se protéger des loups!), "Château enchanté" Il semble que ce soit vers ce château enchanté que Bastien, l'homme à tout faire de la foire, ait porté ses pas, pour rencontrer la belle Princesse. L'ouverture (brève) est une merveille de vivacité mozartienne, le tout-début sera repris par Beethoven dans une de ses symphonies, il y a déjà l'énergie et la mélancolie diffuse d'un maître.

Colas façon Harry Potter (Andry Gnatiuk) C) Agathe Poupeney

Colas façon Harry Potter (Andry Gnatiuk) C) Agathe Poupeney

BASTIENNE ET SON GROS CHAGRIN

Bastienne pleure: "Je n'en dors plus, je pleure la nuit. C'est ma première peine de coeur". Le texte original allemand est très justement adapté en français par Ordinaire et toutes les pré-adolescentes peuvent se reconnaître dans la gentille Bastienne que Pauline Texier défend bien joliment: la voix est charmante avec de beaux graves, elle pourra gagner en moelleux, en rondeur, dans les aigus. Texier sait être à la fois une tendre bergère (pardon, une tendre foraine!) et faire assaut de coquetterie quand, sur les conseils de Colas, elle se montre aguicheuse pour reconquérir son chéri (comme le dit Colas, sur les hommes, il n'y a que ça qui marche...)

COLAS EN HARRY POTTER DE VILLAGE

Le Colas d'Andry Gnatiuk est très bien. Beau timbre sonore, et la désinvolture qu'il faut à ce personnage qui, après quelques notes étonnantes d'une sorte de mélodie irlandaise grinçante et râpeuse, va chanter son grand air d'abracadabra en sortant son poussiéreux grimoire, entre Sarastro et Harry Potter: "Digui, Dagui, Chouri, Mori, Horum, Harem, Garo Guru". "C'est en quelle langue?" me souffle mon voisin (adulte) qui n'a visiblement pas lu la saga du jeune sorcier de Poudlard. Au moins, sous toutes ces guirlandes de lumières colorées, vertes, rouges et bleues, que Colas fait clignoter en grand magicien, cela fait revenir Bastien.

Bastien tout mélancolique (Juan de Dios Mateos Segura) C) Agathe Poupeney, Opéra de Paris

Bastien tout mélancolique (Juan de Dios Mateos Segura) C) Agathe Poupeney, Opéra de Paris

BASTIEN BENET ET CHARMANT

Bastien, sans doute ébloui par la richesse et les beaux habits de la princesse mais qui nous informe d'emblée: "Je préfère le sourire de Bastienne à tout l'or de la planète" Juan de Dios Mateos Segura a le ravissant timbre clair de ténorino d'un autre Juan, Juan Diego Florez, et on lui souhaite la même carrière. Bravo à cet Espagnol, d'ailleurs, comme à l'Ukrainien Gnatiuk, pour la perfection de leur français! Le Bastien de Segura est charmant, un peu benêt comme il se doit, et, comme tous les hommes, si maladroit dans ses excuses: "On m'a jeté un sort, dont Colas m'a délivré"  Belle idée, avant qu'il ne retrouve Bastienne, que cette rose qu'il offre dans le vide à quelqu'un qui n'est pas encore là!

AMUSANTE UTILISATION DES MUSICIENS

Bastienne, d'ailleurs, lui fera gentiment comprendre combien il s'est fourvoyé en jouant avec un éventail en billets de banque. Mais après la dispute chacun chantera en aparté: "Rends-moi pour mon bonheur ton joli coeur" avant que les cartes de l'amour ne leur soient distribuées par Colas, qui les réunit enfin et triomphe avec une modeste fierté. Mirabelle Ordinaire, entre-temps, a d'une manière très vivante utilisé l'espace de l'amphithéâtre et donné d'amusants rôles de comédie aux musiciens: quand Bastienne soupire au début, c'est le séduisant premier violon, Aymeric Gracia, qui vient lui tendre un mouchoir et, pour la consoler, lui caresse... le jupe, avant que le chef ne le rappelle car il est là... pour jouer du violon. De même les deux jeunes cornistes, Manaure Marin et Antoine Morisot, que Colas pressent pour être les nouveaux fiancés de Bastienne, ce qui rend Bastien furieux. Inaki Encina Oyon dirige très bien sa petite troupe, malgré parfois quelques décalages avec les chanteurs (qui, il est vrai, ne peuvent jamais avoir un oeil sur lui)

Enfin ils s'aiment et se marient, Colas et sa barbe à papa sont bien contents C) Agathe Poupeney

Enfin ils s'aiment et se marient, Colas et sa barbe à papa sont bien contents C) Agathe Poupeney

BARBE A PAPA ET POP-CORN

A la fin, fête foraine oblige, Bastien et Bastienne auront un baiser de... barbe à papa. Barbapapa qui est aussi un nom de magicien. Et pour les jeunes spectateurs, distribution de pop-corn: "C'était super mais on comprenait pas toujours ce qu'ils disaient" dira Agathe, déjà critique. "Tu iras voir un autre opéra?" demande sa grand-mère à Chloé. "Oui" répond Chloé avec un sourire rêveur. Et, on vous le jure, on l'a vérifié, ce n'était pas pour le pop-corn.

"Bastien et Bastienne" de Mozart, mise en scène de Mirabelle Ordinaire, musiciens et chanteurs en résidence à l'Académie de l'Opéra de Paris. Paris, Amphithéâtre de l'Opéra Bastille, durée 55 minutes.

Prochaines représentations: pour tout public (à partir de 6 ans), 12, 13, 19, 20 mai à 20 heures, 17 mai à 15 heures. Pour les scolaires, 15, 18 et 22 mai à 14 heures.