UN CD DE CHOPIN PAR LE COREEN SEONG-JIN CHO
Le vainqueur en question s'appelle Seong-Jin Cho, il est coréen (du Sud, évidemment), il n'a pas 23 ans et il en avait donc 21 à peine quand il a remporté en 2015 le premier prix du concours Chopin de Varsovie. Concours prestigieux s'il en est, organisé depuis 1927 tous les cinq ans, et dont les lauréats ont fait pour la plupart une belle carrière. Pour les 3e, 4e prix, c'est moins sûr: se souvient-on de Tatiana Chebanova ou Artyan Papasian (2e et 3e prix en 1980), de Corrado Rollero (4e prix en 1990), de Shohei Sehimoto (4e prix en 2005)? On attendra donc encore un peu pour ceux qui ont suivi Cho au palmarès de 2015, tout en notant dans celui de 2010, derrière la vainqueure Yuliana Adveeva, les noms de Lukas Geniusas, Daniil Trifonov ou François Dumont.
L'ARRIVEE DES MUSICIENS SUD-COREENS
C'est dire que, malgré quelques coups d'éclat ponctuels (la démission fracassante du jury de Martha Argerich en 1980 face à la non-attribution du Grand Prix à son favori, Ivo Pogorelich), le Chopin tient plutôt bien son rang, surtout depuis que les membres dudit jury ont été renforcés en grands solistes (souvent d'anciens lauréats) au détriment des professeurs ou pédagogues. Il n'empêche: on regarde toujours sous nos latitudes avec un peu de suspicion ces batteries de jeunes musiciens venus de l'Est, et désormais de l'Est extrême: plus seulement russes mais japonais, chinois et maintenant coréens. La Corée dont Myung-whun Chung a longtemps été l'arbre qui cachait... la clairière, et qui, dans les prochaines années, va rejoindre la Chine par le nombre de musiciens à suivre, jouant Chopin ou Beethoven comme s'ils avaient grandi dans les plaines de Mazurie ou les forêts de Souabe. Il paraît qu'un Coréen lauréat d'un concours international est dispensé de service militaire, celui-ci étant là-bas nettement moins folklorique qu'il l'était par chez nous en ses dernières années.
UN PREMIER PRIX JUSTIFIE
Long préambule (mais vous me connaissez, j'en suis coutumier) pour dire que j'accueillais avec une grande tranquillité d'esprit et pas mal d'indifférence cette, au moins, centième version du "Concerto numéro 1" par un jeune homme au visage de poupon, d'autant que je préfère le "Concerto numéro 2" (qui a d'ailleurs été composé en premier, allez comprendre...) Eh! bien, bonne surprise! Confirmant qu'en lui décernant son prix, les jurés du Chopin ont distingué un garçon qui, dans le toucher, le sens de la nuance, la construction de la phrase, l'immense phrase chopinienne, a un vrai sens musical. Le premier mouvement, qui dure plus de vingt minutes, impose un piano élégant, avec le sens des contrastes, de la relance, de belles trouvailles poétiques, et surtout cette assurance sans faille dans le discours qui donne le sentiment que Cho respire Chopin d'une manière incroyablement naturelle. La puissance n'est jamais brutalité, la douceur n'est jamais mièvrerie.
Cho est en outre aidé par un chef, Gianandrea Noseda, qui réussit à faire de la partie d'orchestre quelque chose d'écoutable. Cela s'entend dès l'introduction qui, en bien des mains, est l'introduction de concerto pour piano la plus pesante qui soit, confirmant que ce brave Frédéric n'était vraiment pas un orchestrateur. Avec Noseda, cela tourne au chant d'opéra (ce n'est pas pour rien qu'on rapprochait Chopin de Bellini) avec une élégance de touche dû aussi à l'excellence de l'orchestre symphonique de Londres (ah! les cordes du LSO!). Tout le reste de l'oeuvre, on dirait que Noseda dirige ses musiciens comme il dirigerait un choeur.
UN MOUVEMENT SANS FIORITURES
Bon! Cela se gâte un peu dans le deuxième mouvement, pris trop lentement et qui se traîne, mais là aussi (dans les ralentis vers la fin) il y a une vraie élégance, une légèreté de touches dans les passages à fleur de doigts; et encore de ces beaux détails dans le troisième mouvement, pris carré, sans fioriture, sans beaucoup d'originalité mais avec une clarté et une fougue bienvenues et, bien sûr, une virtuosité impeccable.
En complément les quatre "Ballades". Chacune avec son univers, séparée des autres, chacune portant un numéro d'opus différent. Ces "Ballades", c'est Chopin se mettant au piano et improvisant ses rêves de la nuit ou sa mélancolie du soir. La 1e, avec ses brusques accès de virtuosité au milieu de passages méditatifs, est un peu jouée "le nez sur la partition": Cho se régale à montrer qu'il a des doigts mais les parties lentes sont platounettes. La 2e est plus réussie. Le climat est celui d'une marche paisible à travers la campagne, sous un ciel triste et à petit trot: dans ses micro-hésitations rythmiques, la douceur triste de son jeu, Cho est très juste et, là, il articule bien la transition avec le passage central plus rapide, plus fougueux -comme si le cheval partait brusquement au galop ou que l'orage éclatait avant un rapide retour au calme. La 3e est, au début, presque trop timide dans sa volonté intimiste mais les rythmes inégaux qui font l'étrangeté de cette oeuvre sont très bien intégrés les uns aux autres et Cho réussit à construire une belle arche d'une ballade dont beaucoup se contentent de juxtaposer les séquences, avant une fin à la fois élégante et puissante, comme il se doit.
DE BEAUX MOMENTS, UN MANQUE DE FOLIE
La 4e ballade est la plus longue, la plus ample. Son fameux thème est exposé le plus simplement possible, mais justement: le toucher n'a pas assez de poids, pas de relief. L'approche est trop sage. Cette ballade est construite sur des variations mais ces variations, c'est son originalité, ne concernent pas le thème en lui-même, toujours reconnaissable à quelques notes près, mais sa dynamique, sa rapidité: Seong-Jin Cho ne parvient pas, malgré quelques beaux moments (dans la puissance), à relancer l'attention. Cela vient évidemment, et c'est le reproche qu'on lui fera, de ce manque de folie, d'inventivité, qui est un peu le problème de son disque. Mais il a 22 ans à peine, des moyens, une sensibilité, des intuitions. Et souvent, dans Chopin, beaucoup de justesse, même si elle ne flamboie pas. Attendons la suite...
Chopin: Concerto pour piano n°1, 4 Ballades. Seong-Jin Cho, Orchestre symphonique de Londres, dir. Gianandrea Noseda, 1 CD DG
Seong-Jin Cho, ce sont les Lyonnais qui l'entendront, les 23, 24, 25 mars: les 23 et 25 dans le... 1er concerto de Chopin, avec l'orchestre national de Lyon. Le 24 dans un récital Chopin-Debussy: de Chopin... les Ballades (vivent les maisons de disques qui balisent si bien les récitals de leur poulain!) De Debussy, "L'isle joyeuse"et "La plus que lente", deux courtes pièces qui ne donneront pas grande idée de ce qu'il y vaut. A moins qu'il n'ajoute d'autres oeuvres...