A la "Folle Journée 2017", les incroyables tambours japonais d'Eitetsu Hayashi

Eitetsu Hayashi, son grand taïko et ses disciples C) Marc Roger

Il avait fait sensation quand il était venu l'an dernier. Il est revenu cette année et le bouche à oreille a encore grandi. Hayashi est un homme qui doit bien approcher de la soixantaine et qui forme désormais des disciples pour leur transmettre son art. Il est le spécialiste du taïko. Le taïko est un énorme tambour suspendu dans les temples bouddhistes du Japon et qui fait office, c'est en tout cas le sentiment qu'on a, de passage entre le monde vivant et le monde des dieux. Cela procède de la musique, du rituel religieux, de la condition physique et sportive, du spectacle et du spectaculaire, de la démonstration de gymnastique comme offrande aux divinités, telle qu'on l'observait déjà au temps des anciens Grecs.

UNE APPROCHE RELIGIEUSE DES TAMBOURS

Dans la démonstration de cet art, qui dure trois bons quarts d'heure, il y a, au centre, en fond de scène, le fameux taïko. Et quatre petits tambours creux, posés devant, formant un quadrilatère. Hayashi est seul. On ne voit que son dos nu, entravé par des lanières. Et quand il se retourne (il porte les traditionnels socquettes blanches), il a un plastron blanc et argent qui laisse apparents les muscles des bras et des épaules.

C'est la lutte d'un homme avec son tambour: c'est en tout cas ce que l'on ressent. On comprendra peu à peu qu'il y a dans tout cela un espace sacré, qu'Hayashi est une sorte de grand-prêtre qui demande, dans sa frappe de l'énorme tambour, la permission d'entrer dans la sphère mystique, en son nom ou en celui des hommes. La frappe devient plus intense, avec une infinité de variations de rythme et d'intensité, de sorte que le son change, trouvant parfois une infinie délicatesse, dans des lumières qui deviennent jaunes, serpentines. Les quatre disciples entrent alors, s'installent devant les petits tambours, cela devient un rituel chanté, avec les officiants du grand-prêtre qui sont comme devant des dieux secondaires; l'oeuvre s'appelle "Umi sachi", composé par Hayashi lui-même et elle fait référence à l'immensité de la mer. On peut très bien ne pas le savoir et être tout de même fasciné.

MAILLETS A PLUMETS ROSE ET BLANC

Fasciné , on l'est d'ailleurs déjà depuis de longues minutes puisque c'est le dernier morceau, le moment où Hayashi affronte enfin le fameux tambour, l'acmé si l'on veut. Revenons au début: ces cloches, ces gongs, le gros tambour comme la divinité principale, neuf tambours noirs striés de blanc devant lui. Hayashi commence le rituel sur le taïko. Seul. Cela s'appelle "Yama-Sachi" et cette fois c'est la montagne qui est honorée. Même travail sur les rythmes puis entrent les quatre disciples. Il faut citer leur nom: Shuichiro Ueda, Mikita Hase, Makoto Tashiro, Tasuku Tsuji. Le plus âgé approche de la quarantaine, le plus jeune a vingt ans. Chacun devant son tambour, commence alors une démonstration auditive et visuelle où les mélanges de rythme se font à une vitesse folle, à l'aide de petits bâtons à plumets rose et blanc. Nos jeunes disciples ont, eux, l'air de guerriers athlétiques, poignets de force et muscles apparents comme leur maître, dos nus aussi mais plastron noir. Les lumières changent (ce n'est pas ce qu'il y a de plus joli, c'est très "néons à Tokyo" mais c'est graphique...)

D'autres tambours de l'ensemble Fu Un no Kai C) Marc Roger

D'autres tambours de l'ensemble Fu Un no Kai C) Marc Roger

LE SOLEIL ET LA LUNE EN TAMBOURS

Le deuxième morceau, "Ten-shin Hoku-To" (Innocence), invoque la naissance de la vie. Les taïkos que les disciples ont apportés (et qui sont rouge porphyre) et le taïko principal symbolisent ici le soleil, la lune, les étoiles et les planètes. Ce sont des variations (pour nous) sur la première pièce avec, entre les disciples, des échanges de place spectaculaires où ils montrent leurs qualités sportives, tour sur eux-mêmes jambes écartées pour traverser la scène et inverser leurs places, avec des cris de samouraïs et des mouvements qui rappellent vraiment la capoeira. Hayashi prend la peine ensuite de lire, certes dans un français probablement phonétique, une explication complète de ce que nous avons besoin de savoir sur une pratique musicale, religieuse et spirituelle (au sens où le sport relève de l'esprit) si différente de la nôtre et qui nous permettra ainsi de mieux l'appréhender. Le troisième morceau, où nos cinq percussionnistes sont devant de tout petits tambours à trous, tout blancs, qu'ils frappent avec de mini-baguettes, est absolument éblouissant dans les contrastes dynamiques et les effets qui évoquent la pluie qui tombe ("Tension" de Mikita Hase)

UN CONCERTO POUR DOUZE TIMBALES

Autant, dans nos fauteuils confortables et dans le noir, on se sent chacun face à nos Japonais dans une expérience plus ou moins partagée, autant le contraste est encore plus violent quand on rejoint le lendemain l'immense auditorium et qu'on se trouve devant la scène encombrée par un orchestre occidental, celui du Sinfonia Varsovia dirigé par l'enthousiaste Robert Trevino. Cela commence par un "concerto-fantaisie pour deux timbaliers et orchestre" de Philip Glass. J'ai bien dit deux timbaliers,non deux timbales: en réalité il y en a douze, six chacun. A son différent, comme il se doit, mais je n'ai pas été capable de définir s'il y avait douze sons (ce ne sont pas des notes!) ou deux fois six ou... un autre chiffre. L'oeuvre de Glass est spectaculaire, avec un orchestre fourni, vraiment accessible, beaucoup de dynamisme dans un style élégamment répétitif plus proche de John Adams que de l'austère Steve Reich. Du dynamisme, du charme, une vraie force, parfois musique d'Hitchcock et de toute façon très musique de film: le deuxième mouvement pourrait accompagner un western tourné à Monument Valley. Il y a une cadence où nos deux timbaliers français, Emmanuel Curt et Daniel Ciampolini, font assaut d'éloquence et le final est tout de même un poil trop long.

Les cinq musiciens et les petits tambours de pluie C) Marc Roger

Les cinq musiciens et les petits tambours de pluie C) Marc Roger

LA RENCONTRE DE L'ORIENT ET DE L'OCCIDENT, COTE JAPONAIS

L'autre demi-heure, on retrouve Hayashi et ses quatre disciples. C'est un concerto pour taïko du japonais Maki Ishii avec des effets sonores très Takemitsu, très "compositeur japonais écrivant de la musique à destination de l'Occident"  Dans un souffle, percussions, trombones et contrebassons, cloches, harpes, xylophones, cordes en glissandos: une introduction orchestrale jouée par un immense orchestre précède d'abord Hayashi, puis le groupe des quatre. C'est vraiment une rencontre entre l'Orient et l'Occident mais vu du côté japonais et, par rapport au spectacle purement "Fu-Un no Kai" de la veille (c'est le nom de leur formation), comme une extension un peu profane du rituel. L'énorme tambour est placé en fond de scène, il ressemble de plus en plus à une porte magique cachant un dieu; il y a aussi à cour les trois tambours couleur pourpre qui ont la forme des bombardes de guerre du Moyen âge.

EFFETS DE PLUIE ET SOLO RITUEL

Au début il y aura un travail éblouissant sur les petits tambours à trous,  par nos cinq acolytes assis à jardin en avant-scène dans leur tenue traditionnelle (léger contraste avec les musiciens cravatés ou en robe longue!)  Eitetsu Hayashi est le premier bien sûr mais chacun joue vraiment une partition différente des quatre autres, comme dans une symphonie concertante sauf qu'ici l'instrument est le même. Les effets de tempête sont magiques, on a l'impression parfois que la pluie s'éloigne ou se rapproche à la vitesse du cheval au galop. On aura enfin un passage devant le grand taïko (que seul Hayashi a l'autorisation de frapper dans un merveilleux solo), le plus jeune disciple disparaissant derrière l'instrument probablement pour le stabiliser; et les trois disciples restants viendront jouer les bombardes en s'asseyant devant elles, jambes écartées, pendant que l'orchestre se déchaîne.

Eitetsu Hayashi n'est pas encore dans son pays (à ma connaissance) "Trésor national vivant". Mais il est déjà "Trésor nantais", si l'on en croit la rumeur. C'est un début...

 

  • Concert d'Eitetsu Hayashi et son ensemble Fu-Un no Kai, vendredi 3 février, Cité des Congrès de Nantes
  • Concert d'Eitetsu Hayashi, taïko, Emmanuel Curt et Daniel Ciampolini, timbales, Fu-Un no Kai, le Sinfonia Varsovia, direction Robert Trevino, oeuvres de Glass et Ishii, samedi 4 février, Grand auditorium de Nantes

Les deux concerts dans le cadre de la "Folle journée 2017"