Ces périodes de fêtes sont aussi propices à des musiques de recueillement. Peut-être plus profondément que le reste de l'année, je veux dire par-là que la dimension spirituelle nous importe alors autant que la dimension musicale.
J'y pensais l'autre jour dans le somptueux vaisseau de Notre-Dame de Paris, le choeur éclairé devant nous d'une douce lumière mauve, les fenêtres hautes dans la demi-pénombre qui est naturelle, on l'oublie souvent, à cette édifice sacré d'un gothique encore ancien. La piété ne vient pas forcément de cette atmosphère à moitié enténébrée mais celle-ci contribue en tout cas à la méditation
LA MAITRISE DE RADIO-FRANCE RENCONTRE CELLE DE NOTRE-DAME
Je venais là avant tout pour poursuivre ma recension des ensembles musicaux de Radio-France: c'était la Maîtrise cette fois qui était à l'honneur. Sauf que... je m'étais trompé! Enfin pas complètement mais un peu quand même. La Maîtrise de Radio-France était annoncée, avec la Maîtrise de Notre-Dame; mais elle n'était pas au complet, elle y avait seulement délégué ses éléments les plus âgés et aussi sa chef, Sofi Jeannin. Bon! Pour tout dire, le programme était aussi bien alléchant, répertoire sacré de compositions très originales, pour ne pas dire jamais entendues.
Il était à deux voix, ce concert, mais aussi à deux baguettes: Sofi Jeannin, enthousiaste, le geste large; Henri Cholet, le chef de la Maîtrise de Notre-Dame, bien plus laconique, plus mesuré. L'un et l'autre se succédant. Et d'abord avec Jeannin dirigeant le maître des maîtres: Bach, le "Komm Jesu komm" (Motet BWV 229) cependant précédé du "Komm süsser Tod" (Viens, douce mort) du Norvégien Knut Nystedt, mort quasi centenaire il y a deux ans. Oeuvre très intelligente, aussi intitulée "Immortal Bach", où les chanteurs déclinent les trois phrases du choral avant que Nystedt n'en fasse des variations qui réussissent à mêler une écriture d'aujourd'hui à l'absolu respect de l'écriture du Cantor. Il y a des effets de résonances dus à ce que les chanteurs sont installés à quelque distance de la chef, en un immense arc de cercle qui occupe tout l'espace central du transept. Les jeunes de la Maîtrise de Radio-France sont mêlés aux adultes de la Maîtrise de Notre-Dame, Jeannin donne les impulsions d'une main droite nerveuse et précise, les notes tenues, vibrées, profitent de cette spatialisation particulière des pupitres. La pierre mauve est comme une chasuble découpée qui forme décor.
BACH ET DU CONTEMPORAIN
Les deux choeurs reprennent leur place dans le motet de Bach, ils n'en bougeront plus; mais on sent que l'exercice initial les a fondus, a renforcé leur écoute mutuelle. Jeannin donne au Bach une sacrée énergie, des couleurs quasi... catholiques, elle chante en même temps, balançant sur un pied comme si elle dirigeait une valse. Ou plutôt comme si elle dansait Bach, si elle dansait la joie de celui qui s'en remet à Jésus. Les ténors, me dis-je, manquent tout de même un peu de présence.
Alors Henri Chalet prend le relais pour le "Nunc dimittis" de l'excellente Edith Canat de Chizy. On dirait que du purgatoire montent des appels en forme de questions-réponses. Syllabes psalmodiées, prononcées, défendues par des groupes de deux ou trois, voire par un soliste, en montée ou descente chromatique. Les basses chantent soudain en anglais ("Lost"), les notes sont en forme de cris. Je ne suis pas fou de cette écriture que j'ai l'impression d'avoir souvent entendu et qui, heureusement, s'applique à une oeuvre assez brève, qui sera applaudie très poliment quand Canat de Chizy viendra saluer.
UN DISQUE DE PIANO DE LA MERE DE CARLA BRUNI-SARKOZY!
Le "Requiem" de Pizzetti est autrement ambitieux, qui dure presque une demi-heure. Il reprend, en plus concentré et a cappella, toutes les parties du "Requiem" de Verdi mais on ne peut imaginer traitement plus différent: l'opéra tragique chez l'un, le dépouillement franciscain chez l'autre. A vrai dire, c'est pour Pizzetti que je me suis déplacé. Ildebrando Pizzetti (1880-1968) fait partie de cette génération de compositeurs italiens (avec Casella, Wolf-Ferrari, Malipiero) qu'on ne joue jamais. Et que même les Italiens (pas plus attentifs que nous à leur patrimoine) négligent. Comme si la musique italienne s'arrêtait à Puccini et à l'opéra et ne reprenait (vaguement) qu'à Nino Rota, et encore: le Nino Rota des films de Fellini. Les compositeurs que je viens de citer ont connu leur maturité au moment du fascisme, ceci explique peut-être cela; mais ils n'en ont pas pour autant collaboré. Pizzetti, homme, semble-t-il, de caractère difficile, était un fervent chrétien et, parmi les opéras qu'il a (tout de même) composés (comment un Italien pourrait-il y échapper?), le plus connu est "Meurtre dans la cathédrale" inspiré à T.S. Eliot par l'assassinat de Thomas Beckett: encore une histoire de foi. Mais ce qui m'a fait connaître Pizzetti (si vous trouvez des CD de lui, faites-le moi savoir!), c'est une oeuvre concertante pour piano et orchestre, "Canti della stagione alta" ("Chants de la haute saison"), ambitieuse (quarante minutes), intensément poétique, qui ressemblerait à un tableau de Chirico mis en musique, avec des silences, des suspensions énigmatiques et un vrai climat, façon plage ou campagne désertée par la touffeur de l'après-midi. Et j'ai eu la surprise, en ressortant ce disque acheté je ne sais où je ne sais quand (il y a au moins trente ans, c'est sûr) de découvrir que la pianiste (accompagnée, excusez du peu, par l'orchestre de la Radio Bavaroise, un des tout meilleurs d'Allemagne) est devenue depuis très célèbre, non pas en tant que pianiste, puisqu'elle se nomme Marisa Borini et qu'elle est la mère... de Carla Bruni-Sarkozy! Comment un éditeur n'a-t-il pas eu l'idée, après ça, d'une réédition?
LE REQUIEM DE PIZZETTI, BELLE DECOUVERTE
Pour revenir au "Requiem", Pizzetti mélange de belles influences dans un style discrètement archaïsant, pétri de la connaissance de maîtres de la Renaissance tel un Palestrina mais aussi de la douceur d'un Gabriel Fauré. Dans ce "Requiem" les femmes ont le rôle noble, les homme sont souvent en soutien. Le "Kyrie Eleison", construit en fugue, mène vers l'élévation divine, la lumière sur les ténors et les sopranos. Pizzetti reprend le "Dies Irae" du Moyen Age (et de Berlioz dans la "Symphonie Fantastique"), confiant pourtant aux basses quelques harmonies aux couleurs...byzantines. Le "Quid sum miser" est une déploration qui va crescendo. Chaque pupitre du "Rex tremendae" fait preuve de véhémence, et surtout les ténors, pendant que les basses reviennent au recueillement. Le "Sanctus" est un chant qui monte par degrés vers Dieu. Quant au "Libera me", il confie aux sopranos le soin d'aller vers la lumière, vers la rédemption. On voit combien Pizzetti a réfléchi au sens mystique de chaque partie, dans une oeuvre que bien des choeurs d'église pourraient inscrire à leur répertoire. Chalet dirige le plus clairement du monde sa troupe où les jeunes chanteurs de la Maîtrise, aux voix un peu plus tendres, avec de très beaux aigus, font preuve d'un plaisir de chanter qui... fait plaisir.
Jeannin reprend la main dans le "Lux Aeterna" d'Elgar: grande écoute mutuelle dans une oeuvre courte et qui manque de fluidité. Je n'ai jamais compris la vogue d'Elgar, qu'on met désormais au niveau des génies alors que la musique anglaise, à ma connaissance, continue de n'en comporter que deux, Purcell et Britten. Mais on s'est précipité ces dernières années (avec la complicité habile des autochtones) sur tous ces compositeurs de l'ère victorienne qui demeurent, quoi qu'on en dise, de petits maîtres. Les "concertos" d'Elgar (pour violon, pour violoncelle) très à la mode chez les jeunes interprètes, m'ont toujours semblé interminables. Et ce "Lux aeterna", malgré sa brièveté, aussi.
LES CONTRASTES DE LA MUSIQUE ANGLAISE
Comme quoi, cependant, il y a d'heureuses surprises avec cette musique anglaise, un "Magnificat" suivi d'un "Nunc Dimittis", mais les deux s'enchaînent, d'Herbert Howells, qui a beaucoup écrit, des années 30 aux années 60, pour les grandes chorales anglicanes, avec cette particularité qu'il pensait à le faire en fonction des lieux, donc différemment pour une petite église de campagne et pour l'abbaye de Westminster. Ce "Magnificat" (accompagné par l'orgue) est éclatant, inspiré, s'appuyant sur les pupitres féminins (les hommes ont des interventions ponctuelles... mais vibrantes) tout en ajoutant, par l'intermédiaire des sopranos, et surtout dans le "Nunc dimittis", un halo de pureté et de vrai tendresse qui nous renvoie à la présence des anges. Cela sans jamais être mièvre, ce qui est bien le risque avec ces intentions-là. Mais on pouvait aussi compter sur l'énergie tranchante et le raffinement musicien de Sofi Jeannin pour ne pas sombrer dans ce travers.
Sur le parvis glacé un immense arbre de Noël tendait de lutter contre les tours.
Maîtrise de Notre-Dame, éléments de la Maîtrise de Radio-France, directions Sofi Jeannin et Henri Chalet, Yves Castagnet à l'orgue: "Lux Aeterna", oeuvres de Nystedt, Bach, Canat de Chizy, Pizzetti, Elgar et Howells
(La Maîtrise de Radio-France sera au grand complet le 7 janvier à la Maison des Arts (Théâtre) de Créteil (94000) pour la deuxième de l'oeuvre d'Olivier Calmel "Ecce Paris, Ecce homo" créée avant les fêtes avec le Paris Jazz Band. D'autres choeurs modernes ou contemporains compléteront le concert. Je vous le signale car je ne suis pas sûr de pouvoir y assister pour vous en rendre compte!)