A Gaveau d'excellentes nouvelles de Pumeza Matshikiza

ROBE ROUGE ET VOIX CHAUDE

Elle entre en scène dans une superbe robe rouge, un rouge framboisé nuancé de moires chocolatées, elle commence avec un air des "Noces de Figaro", le "Deh vieni, non tardar" de Suzanne. Et l'on retrouve ces chaudes harmoniques, ce son plein, rond, égal, aux belles couleurs sombres, cette égalité du souffle (à aucun moment du récital Matshikiza ne sera prise en flagrant délit d'une note un peu tirée, d'un aigu mal amené, d'une imprécision dynamique) et aussi la caractérisation du personnage, même si sa Suzanne, prononcée d'un italien élégant, est encore un peu timide, ouverture d'un récital oblige. Et déjà, avant l'air suivant (celui d'Eurydice, "Che fiero momento!", d' "Orphée et Eurydice" de Gluck), le visage change, la mine s'assombrit, se pare des couleurs de la fureur, après la nostalgie amoureuse de Suzanne. "Quel instant effroyable! Quelle fortune barbare!" entonne-t-elle avec la véhémence d'une Bartoli ou, plus, d'une Norman

BEAUTE DU CHANT, PROFONDEUR DU SENTIMENT EMIS 

Je l'avais découverte, comme beaucoup d'entre nous, il y a un an et demi, dans un récital de Rolando Villazon qui l'adoubait. Je vous avais dit alors tout mon intérêt pour celle que, désormais, on surnomme la "diva des townships", ce qui est un peu désobligeant et très réducteur tant elle est bien autre chose, tant, surtout, quoique née dans un township du Cap et ayant découvert très tard ses capacités vocales, Matshikiza peut désormais être considérée (ce récital l'a prouvé une nouvelle fois) comme, simplement, une des stars de demain ou de... la nuit prochaine. Un troisième air, en forme de cavatine, d'un italien inconnu du XVIIIe siècle, Giuseppe Sarti, air joliment enlevé, et puis le premier moment de grâce absolue, après cette triple mise en condition d'une voix rare. Matshikiza ressemble  à ce moment-là à une cavalière qui a montré l'élégance de sa monte, sa sûreté technique, et qui aborde le premier vrai obstacle du parcours: l' "hymne à la lune" (en tchèque, donc) de la "Russalka" de Dvorak. Et là, devant la beauté du chant, la souplesse de la ligne vocale, la profondeur du sentiment émis (et, plus technique, la puissance désespérée des notes hautes et cette fin si limpide dans le grave de la voix), une sorte de silence admiratif s'établit, palpable, parmi les spectateurs déjà conquis: les grandes interprètes du rôle, Fleming ou la regrettée Lucia Popp, ont désormais une consoeur, bien plus qu'une rivale. Mais, comme si le défi l'amusait, Matshikiza enchaîne dans un français fort honnête avec "L'heure espagnole" de Ravel et le "Oh! la pitoyable aventure" où elle joue avec art (et d'un gosier virtuose) l'agacement et la sensualité de cette Concepcion mangeuse d'hommes et qui trouve que ceux-ci ne sont pas à la hauteur de son appétit. C'est drôle, insolent, bien sûr ravissamment chanté...

4786316_Pumeza_Y9A1981_P_RT

DES PUCCINI IMPECCABLES

En seconde partie Matshikiza retrouve, si l'on peut dire, ses fondamentaux: les grands Puccini. Elle y est comme un poisson dans l'eau. Le "O mio babbino caro" de "Gianni Schicchi" (son "tube": elle l'avait chanté lors du concert diffusé sur Arte (elle en était une des invitées) aux "Folles journées de Nantes" en 2015 et elle nous le redonnera tout à l'heure en bis!), ensuite le fameux air de Mimi dans "La Bohème": "Mi chiamano Mimi" (jamais timide, jamais mièvre, toujours digne et même un peu mutin); et deux airs de Liu dans "Turandot", d'abord le "Signore, ascolta!" aux redoutables aigus finaux (qu'elle a) alors que, jusque là, on était plutôt conquis par le beau registre grave de cette pourtant vraie soprano (et qui évoluera, comme Norman à qui l'on pense, en soprano dramatique), ensuite le "Tu che di gel sei cinta" où Liu, qui a accepté sa mort, s'adresse à la glaciale princesse Turandot et là Matshikiza fait une Liu bien plus de colère que de résignation. On comprend alors où va le tempérament de la dame, même si elle termine par le magnifique "Je dis que rien ne m'épouvante" chanté par Micaëla dans "Carmen", une Micaëla frémissante et qui, là aussi, se tient droit.

UN BIS DE SA CHERE MYRIAM MAKEBA

Un mot de l'accompagnateur, James Baillieu, qui fait très très bien son travail... d'accompagnateur! Juste, sensible, toujours en soutien de sa chanteuse. Je suis moins convaincu par ses intermèdes (cela semble une mode, pour reposer la voix des chanteurs, en ont-ils vraiment besoin?), à l'exception du "Casta Diva" de Bellini transcrit par Thalberg et qui est en vrai lien avec un récital d'opéra. Le "Galop" de Gottschalk est hors sujet et pas très intéressant. Le "Widmung" de Schumann transcrit par Liszt bien plus mais Baillieu n'est pas un excellent schumannien et quelle drôle d'idée de proposer un air du "Roi et moi", la comédie musicale de Rodgers et Hammerstein, uniquement au piano, sans la voix de Pumeza qui aurait pu en faire un bis.

En fait de bis, outre le "O mio babbino caro", une chanson de sa chère Myriam Makeba, avec de curieux effets de glotte qui viennent ponctuer le chant, un peu (toutes proportions gardées) comme ces chanteurs d'Asie centrale au double registre. Seul reproche à un récital magnétique: ces "bis" sans grande imagination. Non, un autre reproche, plus grave: la brièveté de cette soirée, pas seulement parce qu'on écouterait bien Pumeza Matshikiza pendant des heures mais parce que, selon des critères objectifs de durée, tout cela, oui, était bien trop court. Mais on dira que la densité du propos était à l'inverse du temps qu'on y consacrait.

Récital de Pumeza Matshikiza (soprano) et James Baillieu (piano), le 6 avril, salle Gaveau, Paris.

Un disque, "Arias", sortira chez Decca le 6 mai.

4786316_pumeza_y9a1112_p_rt-592x1024[1]