Bryan Hymel, certains l'ont découvert il y a quelques semaines à l'Opéra Bastille, où il assurait les dernières représentations de "La damnation de Faust", celles que Jonas Kaufmann n'avait pas défendues! Le genre de situation où l'on a l'air d'assumer plus ou moins une position de "doublure". Il sera l'an prochain, heureusement pour lui, beaucoup plus: l'alter ego de Roberto Alagna dans "Carmen", Alagna prenant en charge les représentations de mars, Hymel celles d'avril et de juin, en Don José, évidemment.
UN RECITAL MI-ITALIEN MI-FRANCAIS
Un récital pour montrer ce qu'on sait faire, rien de mieux pour fixer les esprits et les... oreilles des amateurs. Et déjà, à la lecture du programme, on lui décerne un bon point: une partie italienne une partie française mais avec un savant mélange d'airs fameux et d'autres plus inattendus, les seconds l'emportant sur les premiers. Au passage cela semble exclure de son répertoire les allemands-autrichiens, Wagner bien sûr mais aussi Richard Strauss ou Mozart, les grands rôles russes, si particuliers, étant hors-concours.
Dans un théâtre des Champs-Elysées fort bien rempli, Hymel commence par "Rigoletto". Vous allez me dire: "La donna e mobile", c'est ça que vous appelez un programme inattendu? Eh! bien, justement, ce n'est pas "La donna e mobile" mais "Questa o quella", moins convenu et moins porteur. Et même s'il est dur d'émettre un jugement sur un premier air, quelques évidences se font jour: bien entendu on n'est ni en présence d'un nouveau Jonas Kaufmann ni d'un Pavarotti ni même d'un Alagna. Mais d'un ténor de très honnête facture, qui va prendre toute sa place dans le circuit des opéras du monde entier, place encore plus justifiée s'il choisit bien ses rôles; et il n'est pas sûr que la virtuosité verdienne et l'insouciance du duc de Mantoue soient là où il est le plus à l'aise: il manque légèrement de puissance, les aigus sont serrés, la voix reste un peu sur l'arrière de la gorge. Confirmation, mais sous forme de belle évolution avec le compositeur suivant, Puccini. Puccini dont les héros tragiques ou souffreteux lui vont beaucoup mieux: Hymel les chante avec une vraie sensibilité, sans jamais tomber dans le mélo, d'un chant soigné, évitant les effets, sauf, bien sûr, lors des aigus finaux qu'il tient le temps qu'il faut pour que les amateurs se pâment. Le "Recondita armonia" de "Tosca" (il évite la encore le si fameux "E lucevan le stelle") , le "Che gelida manina" de "La Bohème" et le duo "O soave fanciulla" le montrent vraiment à l'aise dans cet univers.
LA SENSIBILITE DU CHANTEUR
L'air de Turiddu confirme ses qualités et ses défauts: tendance à chanter "dans le masque", puissance parfois un peu faible (mais cela vaut mieux que d'être un chanteur qui braille). Turiddu, c'est dans "Cavalleria rusticana" de Mascagni et c'est l'air "Mamma, quel vino e generoso" où il pressent qu'il va trouver la mort en duel et où il invoque sa mère avec ce cri déchirant: "Un baccio, mama...Addio!". Un baiser, maman... Adieu! Hymel y met l'exacte sensibilité qu'il faut et l'on note, à l'intérieur de l'air, comme il bascule avec beaucoup de naturel du registre de ténor à celui de baryton.
On attend avec d'autant plus de curiosité la partie "française" qu'Hymel, et ce n'est pas rien, s'est montré, dans la langue italienne, fort compréhensible. Et là, miracle! Sans surtitres, on comprend quasiment tout. La prononciation française d'Hymel est même largement supérieure à celle de bien des chanteurs français. Alors on se laisse d'autant plus aller qu'après un "tube", le "Ah! lève-toi soleil" du "Roméo et Juliette" de Gounod (là encore, un Roméo élégant et nuancé, sans effets de manche, mais dont l'ardeur amoureuse a toujours cette pointe de mélancolie qui semble sa marque de fabrique, c'est un peu "Ah! lève-toi, soleil voilé"), on a un air du si rare "Sigurd" d'Ernest Reyer: l'opéra de Reyer, qui reprend des personnages (Sigurd et Brunehild) de "La tétralogie" de Wagner et qui fut un triomphe à sa création bruxelloise en 1884, fait partie de ces "fantômes" de l'opéra français qu'on aimerait revoir, juste pour se faire une opinion. C'est dans l'air "Esprits, gardiens de ces lieux vénérés" qu'il y a des notes très graves qu'Hymel "sort" de manière trop sourde mais qu'il réussit un double "si bémol" au-dessus de la portée (le "la" est déjà extrêmement haut pour un ténor)
BRYAN HIMEL ET MADAME
Si cependant son "Sigurd" manque un peu de mâle héroïsme, il nous donne un magnifique Jean-Baptiste dans le plus inattendu encore "Hérodiade" de Massenet. Hérodiade, c'est la mère de Salomé, et dans son air "Ne pouvant réprimer les élans de la foi", Jean-Baptiste attend la mort. C'est un air magnifique, du grand Massenet et Hymel, vous l'avez compris, est très bien quand il sait qu'il va mourir! L'homme, pourtant, a plutôt un physique jovial, pas très grand et souriant barbu. Il finira par l'air de Don José, "La fleur que tu m'avais jetée", "tube" là encore s'il en est, qu'il chante sans sanglot, presque dans la lassitude, comme s'il avait conscience qu'il n'était pas fait pour Carmen mais qu'il peinât à s'y résoudre. On y attend avec intérêt sa prestation l'an prochain.
Il y avait deux duos dans ce concert et ce fut l'occasion de connaître Irini Kyriakidou. On était d'autant plus intéressé que c'est en allant ainsi écouter Rolando Villazon qu'on avait découvert Pumeza Matshikiza. Irini Kyriakidou n'en a pas encore l'envergure; elle est accessoirement la compagne de Bryan Hymel, ce que doit ignorer une partie du public qui s'étonne quand les deux tourtereaux achèvent leur duo de Micaëla et Don José par un chaste bisou sur la bouche. On avait déjà eu droit au duo de "La Bohème" ("O soave fanciulla") précédé du fameux air de Mimi ("Mi chiamano Mimi"). Kyriadikou est encore en début de carrière: la voix est jolie, quelques incertitudes dans les prises de notes n'altèrent pas la souplesse de la ligne de chant mais si sa Mimi est sensible, sa Micaëla est indifférente, or elle devrait êtrel'émotion même. Son français, surtout, est incompréhensible.
UN CHEF D'UN BEAU LYRISME
Un mot du chef, Paolo Bressan, et du Prague Philarmonia qui fait bien ce qu'on lui demande (avec des couleurs, en particulier dans l'ouverture des "Vêpres siciliennes" de Verdi, que l'on trouvait chez l'Orchestre Philarmonique Tchèque de la grande époque!). Bressan connaît son sujet, tente (et réussit souvent) de porter haut le lyrisme des Italiens qu'il connait par coeur: son Verdi a de la violence, son Intermezzo de "Manon Lescaut" de Puccini chante avec un lyrisme éperdu et il soigne toujours le fameux équilibre chanteur-orchestre qui est un peu, je vous l'accorde, une de mes obsessions. Dans le répertoire français il est sans doute moins à l'aise, mais il est tout de même un bel accompagnateur, trébuchant seulement sur la Bacchanale du "Samson et Dalila" de Saint-Saëns qui devrait avoir le côté kitsch des tableaux orientalisants du musée d'Orsay et qu'il dirige avec un sérieux de pape (ou de grand-prêtre)
C'est le propre de ce genre de concerts de ménager les chanteurs en rappelant à l'occasion que le répertoire d'opéra est aussi composé de très belles pages orchestrales. Les bis seront surprenants: aucun duo! Un air pour madame, l' "Hymne à la lune" de la "Russalka" de Dvorak, très joliment distillée mais dans un tchèque... pour le moins étrange, et qui peut souffrir (c'est un risque qu'elle prend) du fait que c'est un des morceaux de bravoure de la grande Renee Fleming. Un air pour monsieur, le "Nessun dorma" de "Turandot" de Puccini qui nous confirme combien il est bon en victime... et c'est un peu ennuyeux car cet air est un air triomphant et vainqueur ("Turandot" est un des rares opéras où le ténor sauve sa peau!), ce qu'Hymel ne nous fait pas du tout ressentir.
Il doublera le bis... en doublant l'air de Turiddu qu'il chante cette fois avec un peu trop de véhémence, et donc moins d'élégance, porté par les "Vivats!" et les "Bravos". Madame, donc,un air, et monsieur deux! Mais après tout, c'est lui la vedette.