La "Folle Journée 2016" : deuxième jour dans la nature

Jeudi 4 février: une promenade sur le Rhin avec Schumann, deux soeurs japonaises, divers aspects du Danube et divers aspects de la nuit.

SCHUMANN SUR LE RHIN

Ce matin, c'était l'heure des enfants. C'est habituel à Nantes le jeudi et le vendredi mais là, nouveauté: il y avait un concert dans chaque salle à dix heures et demie... et la queue, sous un crachin très breton, pour passer les portiques de sécurité. Ouf! Nous voilà assis... au milieu de beaucoup d'enfants qui écouteront très sagement (il est vrai qu'on est dans le Grand Auditorium, que les fauteuils sont confortables et qu'on peut toujours y somnoler si on trouve le temps un peu long) Et le temps était un peu long car le programme n'était pas vraiment pour eux, pas de  "Pierre et le Loup" ni de "Carnaval des animaux". Mais "La steppe", poème symphonique très tchaïkowskien (sans son génie) de l'inconnu polonais Zygmunt Noskowski, une steppe avec de jolis effets et une mazurka mélancolique mais lente à parcourir. Puis la 3e symphonie de Schumann, la "Rhénane": Robert Trevino dirige avec fougue et flamme les Polonais du Sinfonia Varsovia, un peu pauvres en couleurs, qui rendent pourtant assez bien les intentions de cette oeuvre heureuse. Un grand bravo en tout cas aux enfants, impeccables de discipline. Revenez quand vous voulez.

LE SACRE DU PRINTEMPS DES SOEURS KODAMA

Les Japonaises de Paris dont je vous parlais hier. Les soeurs Kodama, Momo et Mari. Momo, plus connue ici que Mari, grande spécialiste de Messiaen, comme d'autres extrême-orientaux, Myung-wung Chung, le Coréen ou le vétéran japonais, Seiji Ozawa. Je n'avais pas imaginé le départ de Benjamin Millepied en choisissant "Le lac des cygnes", ce "Black Swan" interprêté par madame Millepied, Natalie Portman. Ce n'est d'ailleurs pas dans les magnifiques mélodies de Tchaïkowsky que les deux soeurs sont le plus à l'aise (une petite bout d'chou à couettes blondes, devant moi, saute sur les genoux de sa mère en s'imaginant déjà vêtue d'un tutu de plumes blanches), mais, à deux pianos, dans "Le sacre du printemps" de Stravinsky dont elles font une tellurique étude de rythmes et de sonorités qui soulève la salle. Leur connaissance imparable du XXe siècle les y aide aussi, même si je me dis qu'il faut sans doute connaître la version orchestre pour mieux ressentir la précision du travail des deux soeurs: la première fois qu'on entend "Le sacre du printemps", on reçoit un coup sur la tête (sauf la petite bout d'chou qui se blottit contre maman car elle a compris que le tutu ne lui servirait à rien avec cette musique)

DES TAMBOURS DU BURUNDI ARTISTES AUTANT QU'ATHLETES

Ils entrent en file indienne, chantant et levant haut la jambe, menés par un porte-enseigne avec un serre-tête de cauris et un collier de corne, qui  tient un petit bouclier de bois aux couleurs nationales. Les neuf autres portent leurs tambours coniques sur la tête, posés sur un rond tressé rouge, vert et jaune, et ils les frappent en tournant; ce sont des tambours au ventre hérissé de bois, noir, blanc et rouge.

Ils s'installent en  cercle, continuent à chanter et danser, mais chacun, devant le demi-cercle de ses camarades tambourinaires, deviendra danseur à son tour. Pendant trois quarts d'heures ils multiplient frappes implacables et acrobaties. en un rythme inlassable. Ce sont les tambours du Burndi, ce petit état d'Afrique centrale voisin du Rwanda et qui a partagé en partie son terrible destin. Ces Burundais sont des bergers royaux dont les chants et les figures incantatoires sont des invocations aux récoltes abondantes, aux semailles réussies, à la prospérité des troupeaux. Il se dégage de leurs mouvements, de leus chants et de leurs danses une énergie folle mais en même temps ils sont d'une virtuosité, d'une coordination, impressionnantes, artistes autant qu'athlètes, à la beauté de geste et de saut imparable: voir comment certains font tourner leurs bâtons autour de leurs cous et de leurs bras sans rompre un instant leur danse hypnotique. Ce genre de prestation, entre démonstration et spectacle, est évidemment d'une exigence physique qu'on a du mal à imaginer. C'est un rapport à la nature très étonnant, si différent du nôtre (quoique, chez nous, aux temps pas si anciens...), qui se conclut d'une manière tout aussi belle, devant un public en partie très jeune et en totalité très enthousiaste.

LES TAMBOURS DU BURUNDI C) EPA/ Salvatore Di Nolfi/ Maxppp

LES TAMBOURS DU BURUNDI C) EPA/ Salvatore Di Nolfi/ Maxppp

UNE MOLDAU ESCAMOTEE

Après l'Afrique centrale un retour en trois étapes à l'Europe centrale. La jeune Polonaise Anna Maria Staskiewicz joue le 1er concerto pour violon de son compatriote Karol Szymanowski avec élégance et un peu de timidité parfois et le Sinfonia Varsovia l'accompagne somptueusement. Musique très étrange, qui ne ressemble à aucune autre, orchestre luxuriant, traité à la Debussy, deux harpes, piano, cuivres en abondance pour une partition de violon d'une poésie fuyante, que j'avais découverte il y a trente ans dans un magnifique film d'Andrzej Wajda, "Les demoiselles de Wilko", avec la regrettée française Christine Pascal. Atmosphère tchékhovienne que la musique de Szymanowski baignait d'une automnale mélancolie.

En 6e, notre professeur de musique nous avait expliqué la musique à programme grâce à "La Moldau". Cela m'est resté: les deux petites flûtes qui représentent les deux sources de la rivière; puis celle-ci s'épanouit, c'est le thème principal, magnifique, et puis la Moldau (nom allemand de la tchèque Vltava) s'élance, elle longe des châteaux du Moyen Age (musique héroïque), assiste à des noces de village; des paysans, pendant les moissons, font la sieste sur ses rives puis elle arrive à Prague, la ville aux cent clochers avant, dans un dernier élan, de se jeter dans le Danube. Robert Trevino, chef  tempétueux, réussit l'entrée à Prague et même le sommeil des paysans, mais ses noces villageoises sont escamotées, sa Moldau est plus un torrent furieux qu'une rivière majestueuse qui, à l'approche du Danube, n'a aucune ampleur. Pire, "Par les prés et les forêts de Bohème" où l'on doit entendre les différentes mélodies qui sous-tendent le magnifique thème initial, se perd dans la confusion et vire au champ de bataille.

VALSES DE VIENNE COTE PEUPLE

Retour au Danube: "Le beau Danube bleu"!  L'ensemble Johann Strauss est un ensemble de Linz (en amont de Vienne) dirigé par Werner Steinmetz, qui retrouve avec un peu trop de nonchalance parfois l'esprit des faubourgs viennois où la valse a l'esprit gouailleur, un peu canaille, rien à voir avec la version grand luxe du concert du Nouvel An. On fait des découvertes dans son joli programme, "Des rives du Danube", un galop de Johann Strauss joliment excité, des oeuvres de son frère, Josef, une poignante composition évoquant la Bucovine roumaine, une "Vodka Polka" assez alcoolisée de ce fou furieux d'Alexeï Igudesman et une création de Steinmetz, un peu trop musique de film, "Le glacier", avec un cor des Alpes en beau bois blond. La valse et la musique viennoise vues du côté du peuple. Cela fait du bien.

PIAZZOLLA ET LES DANUBIENS

J'ai continué ma descente du Danube avec le trio Goldberg. Je n'ai pas très bien compris ce programme roumano-hongrois ponctué d'Astor Piazzolla et c'est en fait.... Piazzolla qui m'a enchanté. Le trio Goldberg est un jeune trio à cordes (genre ingrat s'il en est) composé des trois super-solistes du Philarmonique de Monte-Carlo: la violoniste Liza Kerob, l'altiste Federico Hood, le violoncelliste Thierry Amadi. Ils ont eu l'idée de reconstituer une journée et une saison mais ce n'est pas très clair. La journée, si. Une "Aubade" de jeunesse du grand compositeur et violoniste roumain Enesco, sans grand intérêt. Un "Intermezzo" de Kodaly où l'on reconnait un de ces thèmes populaires hongrois déniché par Kodaly dans les campagnes, avec son ami Bartok. Une magnifique "Sérénade" de Dohnanyi, contemporain de nos deux larrons, d'une vieille famille d'aristocrates qui a donné aussi le grand chef d'orchestre Christoph von Dohnanyi. Mais surtout, parce que la consigne sembl être de jouer dès qu'on peut Vivaldi et Piazzolla, nos amis ont revisité une transcription (de leur point de vue ratée) des "Saisons" portègnes que j'avais entendues hier ("Printemps" et "Automne") par le sextet de Galliano. Galliano, c'est la version haute couture. Nos trois amis, eux, rendent Piazzolla au Buenos Aires populaire, au tango danse de voyous, avec un engagement, un refus du beau son, très surprenants, jouant à fond sur la mauvaise réputation des trios à cordes, genre toujours à la limite de la justesse, pour transformer leurs coups d'archet en coups de scalpel et mettre du mauvais esprit et un désespoir rageur dans cette musique bien lissée par Galliano. C'est de la pluie noire qui tombe sur le tango et le public applaudit à tout rompre.

La nuit enfin...

LA NUIT DE MOZART

La "Petite musique de nuit" de Mozart dont on connait les premières notes mais guère la suite en forme de sérénade et que le jeune espagnol Roberto Fores Veses dirige à mains nues. Les cordes de l'orchestre d'Auvergne sont gracieuses mais sans mystère. Il n'empêche. Belle conclusion à un concert du dernier Mozart, Mozart de nuit, Mozart de la nuit définitive. Anne Queffelec a joué le dernier concerto, le 27e, avec une simplicité magique. Chaque note a la limpidité de l'eau mais les nuances sont là, les phrasés, le chant, la dynamique. Anne Queffelec ne cherche pas à être simple à tout prix, c'est une évidence pour elle: le chant mozartien, le chant ultime est d'une évidence touchée par Dieu, un peu comme chez Bach. Une chose supplémentaire: ces bijoux que sont les derniers concertos pour piano souffrent parfois, comme le 23e, d'un rondo final en style galant qui n'est pas à la hauteur d'un mouvement lent génial. Dans le 27e, les trois mouvements sont de même qualités, les thèmes ont un air de cousinage, la beauté fragile du final semble découler de la poésie délicate du larghetto. C'est un concerto parfait, qu'il faut jouer en lançant les notes comme des perles.

Francesco Tristano C) EFE/ Albert Olivé/ Maxppp

Francesco Tristano C) EFE/ Albert Olivé/ Maxppp

... ET L'ETRANGE NUIT DE FRANCESCO TRISTANO

La nuit. Un étrange projet de l'étrange Francesco Tristano. Cette fois accompagné de l'Américain Bruce Brubaker. Cela s'appelle; "Simulcast/ Seasons". Les deux pianistes regardent à cour, l'un tournant le dos à l'autre. Doucement, ils jouent. Les saisons. Tristano se réserve Vivaldi et John Cage, qu'il défend si bien. Brubaker Tchaïkowsky et Philip Glass, le grand minimaliste américain. Et quelques pièces de Tristano lui-même. Ils jouent, s'écoutent parfois, Tristano écoute davantage son partenaire. Vous avez compris: c'est un projet fou; dans des rythmes différents des fragments de Vivaldi s'entremêlent aux longues phrases paisibles de Glass, imperturbablement une autre musique inédite nait de ce magmas sonore. Ce n'est pas pour tout le monde, certains pourraient crier au scandale. Ce n'est pas non plus pour toutes les heures. A celle-ci on se laisse envahir, doucement convaincre, on ne sait plus ce qu'on entend. Simplement de la musique. Cela pourrait être du jazz. Cela pourrait être du sable. Cela pourrait être un rêve éveillé ou un rêve ensommeillé.

Ce vendredi 5:

POUR LES DEBUTANTS

La symphonie "Pastorale" de Beethoven, auditorium Le Nôtre, 12.45

Le beau 1er trio de Brahms et le "Notturno" de Schubert par le Trio "Les esprits", Salla Boyceau, 22 heures

POUR LES CONFIRMES

"La Création" de Haydn, auditorium Le Nôtre, 21 heures 15

Suites de Rebel par Stradivaria, salle Boyceau, 11 heures

Pierre Hantaï, clavecin, joue Couperin et Rameau, salle Girardin, 22 heures 15

Bertrand Cuiller, clavecin: "Le temps des petits pois", musique anglaise... Salle Borja, 17 heures

POUR LES FAMILLES

Motion Trio, trio d'accordéons, jouent des standards, Vol du Bourdon, Danse macabre, etc, salle Boyceau, 9 heures 30

Etsuko Hirose, piano: "Les animaux en musique", salle de Nantes Métropole, 16 heures

POUR LES CURIEUX

Carte blanche à Boris Berezovsky, salle La Quintinie, 17 heures 45

Henri Demarquette joue Tan Dun, salle La Quintinie, 21 heures 15

"Catalogiues d'oiseaux" de Messiaen par Momo Kodama, salle Girardin, 19 heures

Bruce Brubaker: Glass, Cage, Satie. Salla Clément, 14 heures 15

Le Trio Goldberg: Ton-That Thiet, et Ysaÿe, salle Clément, 16 heures