La "Folle Journée 2016" : premier jour dans la nature

Mercredi 3 février : un printemps à Buenos AIres, le cri de la caille, une mélodie auvergnate et les sables d'Agadir    

Etrange sentiment que de revenir dans la même ville, à la même saison, pour la même raison. Ne voir de Nantes que la douceur pluvieuse de ses hivers. Ne rien connaître de ses printemps ventés ou des feuilles rousses de ses parcs. Et se dire tout de même: "Qu'est-ce qui n'est plus là? Telle boutique? Tel restaurant?" Sûrement pas le château, la cathédrale, le passage Pommeraye cher à Jacques Demy, le théâtre Graslin et son étrange fronton à la gloire de Louis XVI.

Mais voilà que le cours qui, depuis la gare, rejoint le centre ville, a été transformé en une belle promenade piétonne où roulent quelques cyclistes au milieu des fontaines quand, à la nuit, s'y éclairent les hôtels Louis XV de l'île Feydeau. Et, près de la Cité des Congrès, les murs lumineux dont une grande banque est le mécène tranchent l'avenue qui mène à l'ancienne usine de petits beurres. Entre mes deux saisons d'hiver Nantes a donc changé. Déjà, l'an dernier, la place Graslin, au coeur de la ville, avait été rendue aux piétons et au silence.

CES JAPONAIS DE FRANCE QUI PARLENT SI BIEN FRANCAIS

Mardi soir, dans un excellent restaurant terre et mer, dînait une table franco-japonaise, avec quelques-uns de ces japonais en France qui parlent si bien français. Celle qui parlait le mieux, j'ai cru la reconnaître, surtout quand, se levant, elle a harnaché son violon comme sac à dos, un violon couvert de stickers telles les malles-cabines aux étiquettes de grands hôtels des voyageuses riches des années 30: Sayaka Shoji, qui va jouer ici une dizaine de fois "Les quatre saisons" de Vivaldi, tube absolu. Mais malgré son talent je n'irai pas l'écouter.

RICHARD GALLIANO

J'ai choisi une autre option: Richard Galliano et son quintette à cordes. Il faut les citer, ces cordes: Bertrand Cervera, Saskia Lethiec, les violonistes, Jean-Paul Minali-Bella à l'alto, le contrebassiste Sylvain Le Provost et Eric Levionnois au violoncelle, dont le fils a le même talent. Ils jouaient de Vivaldi "L'hiver" et "L'été" et d'Astor Piazzolla "L'automne" et "Le printemps". Car Piazzolla, le maître du bandonéon, a écrit "Les quatre saisons de Buenos Aires". Moins tranchées, les saisons portègnes, et bien plus mélancoliques, comme un état d'urgence. Galliano, avec son accordéon de 13 kilos ("l'équivalent de trente violons", sourit-il) y est comme chez lui. Dans Vivaldi, il prend la partie du violon solo.

L'HIVER ET L'ETE VIVALDIENS VIOLENTS, APRES

Et soudain l'hiver et l'été vivaldiens se ressemblent. Violents, âpres, pas du tout sentimentaux, comme ne le sont guère les Véntiens. A ces couleurs si vives, si nouvelles et si exactes, je me demande soudain: où se passent les saisons de Vivaldi? A Venise? Ailleurs? Dans un paysage intérieur que le prêtre roux dissimule en virtuose? Galliano, malgré tout son talent, penche du côté de Piazzolla, nous régale d'un tango "piazzollien" composé pour l'ami Claude Nougaro, "Vie violente" qui réunit Toulouse et Buenos Aires aussi bien que Carlos Gardel.

Astor Piazzolla à la Grande Parade de Nice en 1986/ AFP

Astor Piazzolla à la Grande Parade de Nice en 1986/ AFP

 

UNE CAILLE DESOPILANTE

J'avais commencé par un drôle de groupe baroque, "Les esprits animaux", un ensemble tchéco-hollando-franco-espagnol (l'Europe d'aujourd'hui!) qui nous joue un drôle de concerto de Telemann, "Les grenouilles": au début on se dit que ces grenouilles-là prennent le thé et parlent chiffon. Et puis il suffit que les cordes (violon-alto-violoncelle) dérapent, que les musiciens jouent très joliment faux pour que les grenouilles soient là, sautant sur le clavecin. Elodie Virot, à la flûte à bec, est  ensuite un "Chardonneret" de Vivaldi charmant mais un peu timide. Il y a un autre concerto anonyme "Clamore Gallinarum" (le cri du coq), au début il crie bien et puis à la fin on a un peu envie de lui tordre le cou. "Les esprits animaux" finissent par une "sonate représentative" de Biber, austère luthérien qui nous fait son bestiaire avec beaucoup d'humour, rossignol, coucou, grenouille encore, une caille désopilante (avec violon jouant, là, complètement faux) et un chat dont les coups de griffe sont de superbes coups d'archets. Le dernier animal est "la marche des mousquetaires": Biber est né à la fin de la guerre de Trente Ans où les armées françaises avaient ravagé l'Allemagne...

 VIVALDI CREDIT "RMN-Grand Palais/Château de Versailles/château de Versailles"

VIVALDI CREDIT "RMN-Grand Palais/Château de Versailles/château de Versailles"

LES MELODIES DES MONTAGNARDS D'AUVERGNE ET LE QUATUOR VELASQUEZ   

On peut remercier le Quatuor Velasquez pour ses programmes originaux. Il lui manque encore un peu de cohérence et certains traits d'archets sont acides ou un peu ternes.L'altiste, Loïc Massot, est le meilleur des quatre. Ils jouent un quatuor d'Onslow, cet Anglais né à... Clermont-Ferrand qui allait recueillir les mélodies des montagnards d'Auvergne comme Bartok, plus tard, en Transylvanie. Il y a, dans son quatuor n°2, des moments très beaux et étranges (l'andantino à variations) mais avec, tout à coup, des formules ennuyeuses; c'est un talent à éclipses, qui fait qu'on se dit "Jolie découverte!" avant de retourner à Beethoven. Même chose pour le catalan Eduard Toldra dont les "Vues sur la mer" ne font pas oublier Debussy. Mais Nantes, c'est aussi se faire découvreur, à quoi nous oblige René Martin pour notre plaisir (souvent)

LE KAMANCHE

Et plus que découvreur quand il s'agit de l'orchestre Andalou de Jérusalem qui joue dans une salle de 800 places remplie... d'auditeurs qui ne sont sûrement pas familiers de  ces musiques-là. Orchestre oecuménique, composé de musiciens des trois religions monothéistes, qui, au début sonne étrangement si l'on n'est pas familier... disons d'une culture séfarade ou pied-noir. On se dit: c'est un immense et excellent orchestre de variété, sous la houlette enthousiaste et musicienne de Tom Cohen. Mais voilà: il y a un jeune musicien, Mark Eliyahu, qui a un peu la longue silhouette de Nemanja Radulovic, les mêmes vêtements noirs, la crinière, une manière de jouer déhanché, accroché à son kamanche. Le kamanche, instrument des juifs du Caucase, entre l'alto et le violoncelle, un violoncelle aux claires résonances dont Eliyahu, dans une oeuvre de son père, "Les sables" ou dans "Agadir" d'Haim Ohana, tire des sons bouleversants dont certains nous envoient même en Extrême-Orient. C'est magnifique, cela ferait presque de l'ombre à la chanteuse Neta Elkayam (qui chante en arabe) car, même si c'est très différent d'Oum Kalsoum, on est plus habitué à entendre les voix arabes ou séfarades. Le chant traditionnel marocain "Hak A Mama", qui réunit Elkatyam, Eliyahu et l'orchestre dans une frénésie heureuse est un très beau moment de conclusion.

LE "FRIANFRIANFRIAN" DU ROSSIGNOL

On a toujours fait place à Nantes aux musiciens locaux. Voici donc l'Ensemble vocal de Nantes, qui, pendant quarante ans, sous la houlette de Paul Colléaux, fut composé de brillants amateurs. Gille Ragon l'a repris il y a deux ans. Ragon, qui a débuté comme choriste de Colléaux, a été un de nos meilleurs chanteurs baroques, chez Marc Minkowski ou William Christie. Il a d'ailleurs gardé sa magnifique voix de ténor comme le prouve un éblouissant "Chant des oiseaux" de Janequin (quatre chanteurs, soprano, mezzo, ténor et basse, qui, dans ce "tube" de la Renaissance, rivalise de "ty ty pyty chouty" (le merle) ou de "frianfrianfrian" (le rossignol) avec une virtuosité qui augure bien du reste de ce concert en forme de carte de visite) Donc: Janequin et la brise, Monteverdi et les étoiles, Brahms et les roses (dont le jus lave le visage d'une jeune fille qui sera ainsi parfumée quand son fiancé l'embrassera), Saint-Saëns et les soirs fraichis, Poulenc, le soleil et les oies, Debussy et l'hiver, Janacek et les canetons, l'Américain Barber qui reprend en anglais le poème de Schubert dont je vous ai parlé il y a deux jours! En anglais, donc, en tchèque, français, italien ou allemand, harmonie des voix, équilibre des pupitres, diction de haut niveau, direction acérée de Ragon qui veut faire de son ensemble plus qu'un ensemble local. Pari en passe d'être tenu. Et conclusion, avec accompagnement de certains choristes qui font tourner des verres et les font résonner comme du cristal, sur une oeuvre du jeune Letton (39 ans) Eriks Esenvalds: les étoiles d'une nuit d'hiver glacé dans les sables et les sapins de la côte balte, "le dôme des cieux comme une grande colline", "sur ma tête des cieux emplis d'étoiles". Quand je suis sorti, j'ai levé la tête: sur ma tête, c'était ça.

 

Quelques concerts pour ce jeudi :

POUR LES DEBUTANTS  

"Les quatre saisons" de Vivaldi par Sayaka Shoji, auditorium Le Nôtre, 14.30 et 20.30

"Le carnaval des animaux" de St-Saëns et "L'apprenti sorcier" de Dukas par Claire Désert et Emmanuel Strosser, salle Antoine-Richard, 10.30

POUR LES CONFIRMES

Le brillant Rémi Geniet joue Beethoven (Sonate "au Clair de Lune") et Schumann ("Kreisleriana"), salle La Quintinie, 20.45

L'orchestre de l'Oural (dir. Dimitri Liss) dans d'autres "Saisons", celles de Glazounov, avec "Une nuit sur le Mont Chauve" de Moussorgsky

POUR LES DECOUVREURS

Le brillant trio Chausson joue Schubert à 10.30 (salle Boyceau) et Piazzolla et Lili Boulanger à 15. (salle Girardin)

Le nom moins brillant trio Karénine: un programme "Printemps" (Saariaho, Beethoven, Piazzolla) à 10.30, salle Girardin et à 22.15 (salle Boyceau) "La nuit" (Jolivet, Hahn, Schönberg)

Dernier trio (à cordes) le Goldberg, très Europe centrale (Enesco, Kodaly, Dohnanyi), salle Clément, 19.45

Enfin le fameux choeur Vox Clamantis chante les inconnus (baltes?) Kreek et Tormis, salle Boyceau, 17.30