"Bang Gang" qui est sorti il y a quinze jours, est un film que j'ai beaucoup aimé.. Oh! je n'ai pas l'intention de me substituer aux critiques cinéma de "Culturebox", Boris Courret et Pierre-Yves Grenu, qui a plutôt accroché à ce "Bang Gang", malgré quelques réserves que je partage en partie.
UNE ELEGANCE INFINIE DES CORPS ET DES ATTITUDES
C'est le premier film d'Eva Husson, sur un sujet sulfureux qui, en d'autres mains, aurait pu devenir obscène: un groupe d'adolescents, en fin d'année lycéenne (juin sur la côte basque, un juin orageux à Biarritz dont les belles villas sont encore désertes), se laisse peu à peu aller à des jeux de plus en plus osés, qui mêlent sexe et substances interdites, dans une sorte d'ivresse libre et inconsciente dont chacun ressortira plus ou moins indemne. Inconscience? Ou comportements d'aujourd'hui que les parents trop souvent ignorent? Eva Husson ne juge pas, montre avec une élégance infinie des corps et des attitudes, mais sans fausse pudeur; elle se concentre surtout sur deux filles et trois garçons dont les désirs et les sentiments vont être les déclencheurs de cette aventure collective à la fois gracieuse et crue. Alex, celui qui accueille ces jeux, vit seul, sa mère, divorcée, est en mission archéologique au Maroc, la villa de vacances familiale est devenue leur résidence principale après la séparation des parents.
La musique est de grande qualité, de l'excellente techno qui fait un tapis sonore à l'histoire, en adéquation exacte à ce groupe vraiment d'aujourd'hui où Gabriel, l'un des garçons, compose sur son petit ordinateur. On est pris par cette ambiance acoustique même quand on n'en est pas, comme moi, un grand fan, car elle se fond parfaitement dans les couleurs, les gestes et les dialogues. Jusqu'à...
UN ETAT DE SUSPENSION, DE LUMINEUSE BEAUTE
Jusqu'à ce moment radical, deux à trois minutes en rupture absolue où Eva Husson met son film en état de suspension, de lumineuse beauté; c'est je crois, quand Alex sort de sa chambre, torse nu, un lent travelling l'accompagne, il descend l'escalier, on devine autour de lui tous ses compagnons qui s'ébattent, il remonte l'allée dans la lumière incertaine, arrive près de la piscine, on distingue quelques silhouettes, il plonge. Fin de la musique qui a accompagné son chemin depuis le seuil de la chambre, un lied de Schubert, "Auf dem Wasser zu singen" (Pour chanter sur l'eau) du pur Schubert, entre tendresse, ensoleillement et mélancolie, avec ces harmoniques si schubertiennes (passage constant de majeur en mineur), qui disent tout, ici, de ces jeunes, de leur plaisir immédiat, de leurs sentiments profonds qui contredisent ce plaisir et Alex, au milieu, le maître d'oeuvre, soudain désespéré, qui voudrait chanter sur l'eau pour se noyer ensuite en revenant au silence.
LE DISQUE HISTORIQUE, LEGENDAIRE, DE SCHWARZKOPF
Je n'ai pas noté qui chantait, peut-être Barbara Bonney. C'est un lied sublime, que l'on croit bien connaître et qui n'est finalement pas si souvent donné. Il n'est pas dans la belle compilation de Gundula Janowitz (DG) Mais il est dans le disque historique, légendaire, d'Elizabeth Schwarzkopf dont la voix, limpide comme du cristal, dément sa réputation de froideur; au contraire on est dans une émotion contenue, épurée, une essence d'émotion que le piano sublime d'Edwin Fischer (aussi grand accompagnateur qu'il était grand soliste) pare d'un écrin d'ivoire (chez EMI)
Quand Alex ressort de l'eau, il lève la tête, contemple un énorme nuage bourgeonnant, en forme de chou-fleur, tout éclairé de rose, à la fois menaçant et doux.
Ne serait-ce que pour ce moment, je me souviendrai de "Bang gang", de cette musique qui irradie.dans ma mémoire les images du reste du film, de cette rencontre improbable de Schubert et des jeunes gens dans la touffeur dorée de la côte basque.