La "Folle Journée" de Nantes 2016 se passera en pleine nature

La nature. Sous toutes ses formes. C'est la thématique de cette "Folle journée" de Nantes, 22e du nom (du 3 au 7 février). Thématique puisqu'après avoir décliné les époques musicales ou les grands noms du patrimoine (Bach, Mozart ou Brahms), René Martin, le directeur artistique, a imaginé des lectures transversales qui permettent aussi de voir ( c'est-à-dire d'entendre!) comment, par exemple, le sentiment de nature a pu évoluer au fil des siècles, d'une évocation ("Les quatre saisons" de Vivaldi) à une illustration "à programme" (la symphonie "Pastorale" de Beethoven) puis à une illustration sonore ("La mer" de Debussy, les "Catalogues d'oiseaux" de Messiaen)

Ce thème, abordé par René Martin dans tous ses aspects, paraîtra encore plus profus que celui de l'an dernier ("Passion"), presque trop diront les grincheux: les saisons, les éléments, le cosmos, la nuit et le jour, les paysages, la campagne (et le sentiment pastoral), la création du monde, les jardins, les animaux. Ajoutons qu'à l'intérieur de ces chapitres se déclinent un certain nombre d'états: l'eau, c'est aussi la tempête; l'hiver, c'est aussi la glace. Et chaque compositeur (cette confrontation-là sera passionnante) décline selon sa sensibilité mais surtout son vécu sa relation avec la nature qui ne peut être objective au risque de sombrer dans le tiède: ainsi, les grands chefs-d'oeuvre qu'on entendra à Nantes sont tous des combinaisons du portrait de la nature et de l'intime du compositeur confronté aux émotions qu'elle lui inspire.

LA NATURE EST AU DEBUT UNE MEFIANCE ET UNE MENACE

¨Bien sûr, l'écriture des compositeurs va évoluer aussi en fonction de l'époque: la nature est, au début, observée uniquement à travers les jardins et les parcs ou dans l'enclos d'une ville, car elle est  encore une méfiance ou une menace (les routes et les forêts sont infestées de bêtes hostiles ou de détrousseurs) Puis elle va s'apprivoiser et sa connaissance grandir avec le développement des voyages. Un Vivaldi ne décrit, dans "Les quatre saisons", que la chaleur de l'été, la fougue du prirntemps, la mélancolie de l'automne, le silence de l'hiver. Un Haendel met en scène les "Water Music" données sur la Tamise en pleine ville de Londres. Couperin nous raconte des animaux immédiats, les moutons, l'anguille (on mange les poissons de rivière!) ou les abeilles, les papillons, la mouche, facilement observables au jardin. Cent ans plus tard, Beethoven est sorti de Vienne pour nous décrire le sentiment pastoral avant et après l'orage (6e symphonie, 15e sonate pour piano); quant à ses successeurs, ils se font voyageurs, décrivant leurs émotions comme sur des carnets d'apprentissage: on entendra ainsi la "3e symphonie" de Schumann (la "Rhénane" reflet d'un voyage sur le Rhin) ou, plus tardive encore, la "Symphonie alpestre" de Richard Strauss, et on aurait pu y joindre (pourquoi René Martin ne l'a-t-il fait?) les deux symphonies de Mendelssohn (l' "Ecossaise" et l' "Italienne") ou la "Rêves d'hiver" de TchaÏkowsky (l'hiver sur la steppe russe et les télègues glissant sur la neige!). A l'aube du XXe siècle le "Vol du bourdon" de Rimsky-Korsakov se fait au-dessus des mers. ¨Puis Messiaen parcourt le monde pour recueillir ses chants d'oiseaux.

Le Sinfonia Varsovia attendant d'entrer en scène, Folles Journées 2015 C) Georges Gobet, AFP

Le Sinfonia Varsovia attendant d'entrer en scène, Folles Journées 2015 C) Georges Gobet, AFP

RARETES, TUBES ET CHEFS D'OEUVRE

Musiques sacrées ("La création" de Haydn), raretés ("Les quatre saisons" de 1842 du français Félicien David, écrites pour quintette à cordes), "tubes" (à côté de Vivaldi ou Beethoven, "La Moldau" de Smetana, avec "Par les prés et les forêts de Bohème", ce petit bijou du même compositeur qui sera sûrement, pour beaucoup, une découverte) hauts chefs-d'oeuvre où le sentiment de nature n'est que prétexte ou fondation ("Le voyage d'hiver" de Schubert ou "Le sacre du printemps" de Stravinsky), confrontations passionnantes ("La tempête" déclinée par Tchaïkowsky (ouverture pas si jouée), Sibelius (encore moins jouée) ou Fibich (oeuvre pas du tout jouée de cet émule de Smetana!) et traversant les siècles ("Les quatre saisons" d'Astor Piazzolla et celles de Vivaldi par Richard Galliano) , évocations parallèles (la "Petite musique de nuit" de Mozart avec le 27e concerto pour piano, le dernier et le plus intime et nocturne de tous). Un bestiaire multiple ("Le carnaval des animaux", "Pierre et le loup", les "Histoires naturelles" de Ravel, "La truite" de Schubert et... un concerto pour oiseaux et orchestre du finlandais contemporain Rautavaara), et toutes les formes d'eaux ("Jardins sous la pluie" de Debussy, les "Jeux d'eau à la villa d'Este" de Liszt, "Le beau Danube bleu")

Presque trop riche, on vous dit. Et parfois prétexte... les "Chants d'Ophélie" de Chostakovitch parce qu'Ophélie est traditionnellement représentée en noyée dérivant la poitrine couverte de fleurs? La 1e sonate pour violon et piano de Brahms sous-titrée "La pluie" alors que nous la connaissions comme "de Thoune" car elle fut composée au bord du lac suisse du même nom? "Le boeuf sur le toit" de Milhaud ou le boeuf n'est... qu'une enseigne de cabaret? Quant au 5e concerto pour piano de Saint-Saëns, surnommé "Egyptien" en raison de son mouvement lent orientalisant, il n'est là que pour justifier la présence de la jeune star Bertrand Chamayou (et aussi parce qu'il fut l'un des préférés de cette grande et regrettée habituée de Nantes, Brigitte Engerer)

Richard Galliano à La Folle journée 2015 (c)Marc Ollivieri/Photopqr

Richard Galliano à La Folle journée 2015 (c)Marc Ollivieri/Photopqr

 

QUEFFELEC, CHAMAYOU, HERVE NIQUET ET... DES MUSIQUES DU MONDE ENTIER

Queffelec, Berezovsky, Chamayou, Pennetier, l'orchestre de l'Oural, des habitués. Des moins habitués mais qui semblent prendre goût à Nantes, Francesco Tristano, Karen Vourc'h. Un bouquet de jeunes interprètes, surtout en trio ou en quatuor, le Trio Chausson, le quatuor Ardeo. Jeunes et parfois déjà grands, qu'on aime bien, notre chouchou Adam Laloum mais aussi David Kadouch ou Rémi Geniet. Les discrètes et si talentueuses soeurs Kodama. Les soeurs Bizjak. Le fidèle Gérard Caussé à l'alto, le fidèle violoncelliste Henri Demarquette, la fidèle harpiste Isabelle Moretti, les clavecinistes Bertrand Cuiller ou  Pierre Hantaï, le guitariste Emmanuel Rossfelder. Et Hervé Niquet et son Concert Spirituel. Et François-Frédéric Guy dans les sonates de Beethoven (la "Clair de Lune", la "Tempête"): n'est-ce pas la première année pour lui?

ON NE PEUT LES CITER TOUS

Et...cela, ce sera la vraie nouveauté, comme l'acte de confiance de René Martin à tous ces "follesjourneux" qui le suivent les yeux fermés (mais les oreilles ouvertes): l'ouverture à des musiques d'ailleurs, qui nous feront connaître comment la nature est perçue dans des civilisations, sur des continents si éloignés du nôtres: musiques traditionnelles chinoises qui se jouent dans les parcs ou les maisons de thé, musiques japonaises de tambours des temples bouddhistes. Autres tambours, ceux du Burundi qui allient le savant et le rituel, car leurs rythmes virtuoses sont aussi des invocations à la pluie, aux récoltes, aux animaux familiers. Musiques de Turquie, d'Iran, d'Afghanistan, de Syrie, où la déclamation du verbe des poètes est aussi essentielle que la voix des chanteurs. Musiques judéo-arabo-andalouses qui ont irrigué le Maghreb et le sud de l'Espagne aux temps heureux...

341 concerts, un certain nombre de conférences... Préparez-vous. Préparons-nous!

Bertrand Renard

(Je chroniquerai pour vous cette "Folle Journée" qui aura lieu à l'Auditorium, à la Cité des Congrès et au Lieu Unique de Nantes du mercredi 3 au dimanche 7 février. Elles ont déjà commencé cette semaine en diverses villes de la région Pays de Loire)

 

Réservation et programme de La Folle Journée