Le blog Trans'Europe Extrêmes se rend pendant la campagne des élections européennes dans cinq pays où la droite populiste et europhobe est en plein essor. Après la Finlande et le Royaume-Uni : l'Allemagne.
Elle est très stricte - "je prends toujours un jus d'orange et un cappuccino, c'est comme ça." -, vous parle ses yeux gris verts plantés dans les vôtres, à grand renforts de mouvements des mains, un discret chapelet en guise de bracelet. Il descend les bières confortablement adossé à sa chaise, tout sourire dans sa grande veste noire à laquelle est épinglée le pin's du parti.
Elle a longtemps été impliquée dans "Coalition civile", un "lobby citoyen" conservateur, fondé à la fin des années 90 avec son mari avant de rejoindre Alternative für Deutschland. Il a découvert l'engagement politique, il y a deux ans, à son retour au pays "après avoir passé la moitié de sa vie en Angleterre".
Beatrix von Storch, 43 ans, et Hugh Bronson, 53 ans, respectivement n°4 et n°12 sur la liste AfD aux élections européennes, représentent le même parti mais ont des parcours et une ligne bien différents sur nombre de points. Portrait croisé.
Sortir les maillons faibles de la zone euro
Sur l'avenir de la zone euro, les deux colistiers sont à peu près d'accord, dans la ligne martelée par leur parti. Pour l'AfD, soit les pays dont l'économie est faible (Italie, Portugal, Grèce, "et oui, la France aussi") sortent pour se créer une propre zone euro au sein de laquelle ils dévaluent. Soit les pays du Nord sortent d'eux-mêmes. "Dans le pire des cas", l'Allemagne peut sortir toute seule, va jusqu'à considérer Hugh Bronson à l'unisson avec le programme officiel, un extrême recours sur lequel Beatrix von Storch admet être sceptique. "Enfin, soyons honnêtes...", fait-elle levant les yeux au ciel.
Autre point d'harmonie : le refus de l'hégémonie bruxelloise. "Nous voterons 'non' à chaque fois qu'il s'agira de déléguer une compétence nationale à Bruxelles", assène Beatrix von Storch, là où Hugh Bronson qualifie l'Union européenne dans sa forme actuelle de "monstre froid". Les deux tombent également d'accord sur le troisième axe mis en avant par leur parti : aller vers "plus de démocratie et de transparence", via "des référendums sur toutes les questions de fond", dont la construction de mosquées.
Pour Hugh Bronson, il y a un "malaise" avec les questions d'immigration en Allemagne. Et d'évoquer vaguement des exemples de villages roumains venus "dans leur intégralité" s'implanter dans les banlieues d'Hambourg. Ou encore "ces migrants à qui on offre des cours d'Allemand et qui ne veulent même pas en profiter". Beatrix von Storch, elle, distingue soigneusement immigration du travail et droit d'asile. Il faut pouvoir de "mieux distinguer ceux pour qui c'est vraiment une question de survie et ceux qui veulent juste venir vivre au Portugal ou en Allemagne."
"Si on était populistes..."
Populiste ? Beatrix von Storch le revendique. "Quand on fait de la politique qui prend au sérieux les inquiétudes des gens, on n'a pas de reproche à se faire", assure Beatrix von Storch.
Son comparse, lui, rejette l'étiquette. "Plus de 60% des Allemands sont favorables à l'euro, une grande majorité n'a rien contre l'immigration, si on était populistes, on irait dans leur sens", explique Hugh Bronson. Mais si les grands partis écoutent les citoyens, où est le problème ? Le candidat sort les rames. "Les partis traditionnels racontent des histoires aux citoyens et ils sont relayés par les médias...", dit-il d'abord, avant de se reprendre : "Ah non, blâmer les médias c'est la chose la plus stupide à faire, euh.." "Nous sommes les seuls à dire la vérité, même si elle déplaît", finit-il par trancher. Il explique avoir été "désabusé et déçu" par la politique jusqu'à sa découverte de l'AfD grâce à un ami.
"Cela vient du peuple"
D'ailleurs, le prof d'anglais dans une école privée est fasciné par son parti. "Si vous venez à un congrès, ça ressemble à un think tank, alors que si vous allez à un meeting de UKIP (en Grande-Bretagne), les gens ont une vision étriquée du monde, ils n'y connaissent à l'économie.." Il s'arrête juste avant de les traiter de péquenauds.
Là aussi, la vision de Beatrix von Storch n'est pas la même. La juriste, un temps spécialisée dans l'accompagnement des entreprises l'assure : "Ce parti est un mouvement par le bas, ça vient du peuple."
Quant à la politique familiale, à entendre Hugh Bronson,"ce n'est pas son business". C'est plutôt celui de Beatrix von Storch, qui accepte volontiers d'être comparée à Christine Boutin.
Austère veste kaki et petites perles aux oreilles, la n°4 de la liste s'accroche "à la Constitution", qui définit la famille comme "un père, une mère et leurs enfants" et précise qu'elle est contre l'avortement. Son lobby poussait également à la reconnaissance sociale et financière des femmes en tant que mères pour leur laisser "une véritable liberté de choix" de travailler ou non.
"On veut être l'alternative à tout"
Elle refuse de parler de la place de la politique dans sa famille. "Je me suis forgée ma propre opinion." Lui reconnait ne pas se souvenir pour quel parti votaient ses parents et avoir vaguement voté Verts "pour la paix et la nature, avant que ça ne deviennent mainstream". Mais il est fort en slogans. "Une approche moderne pour de nouveaux challenges", sourit-il, des paillettes dans les yeux.
Tous deux sont très contents de revendiquer des idées à la fois libérales, venues de la gauche mais aussi du conservatisme. D'ailleurs, aux élections législatives de septembre 2013, Alternative für Deutshland a réussi à mordre sur tous les électorats : 290 000 électeurs venaient de la CDU-CSU, 180 000 des sociaux-démocrates, 430 000 des Libéraux, 340 000 de la gauche, 90 000 des Verts, et 210 000 des abstentionnistes. Et Hugh Bronson de résumer : "On veut être l'alternative à tout, aux extrêmes de droite et de gauche, mais aussi au blabla des principaux partis et de Bruxelles."