Le blog Trans'Europe Extrêmes se rend pendant la campagne des élections européennes dans cinq pays où la droite populiste et europhobe est en plein essor. Deuxième étape : le Royaume-Uni.
Ils scandent "Get Britain out", quand ils ne sont pas pliés de rire dans la file d'attente pour rentrer dans l'Hôtel de Ville de Portsmouth où Nigel Farage tient meeting avec ses colistiers de Ukip (United Kingdom Independance Party) pour les élections européennes. Le comité d'accueil organisé par les Travailleurs socialistes qui brandissent des panneaux "les immigrés sont les bienvenus" n'impressionne pas les militants du parti eurosceptique.
L'assemblée est majoritairement masculine et âgée, à l'exception de quelques jeunes en grappes, assise face à l'immense panneau "Take back control of our country". Rencontre avec huit sympathisants.
Lorraine, Joyce, Dawn et Pam : "l'immigration, c'est le seul sujet"
"Je suis venue voir ce qu'il avait à dire sur l'immigration", entame Lorraine, robe taillée par ses soins dans l'Union Jack -"ça c'est pas fabriqué en Chine"-, un accent du terroir à couper au couteau. "Ce pays est traversé de nombreuses secousses mais l'immigration, c'est le seul sujet", explique la quinquagénaire qui déballe : "J'ai vécu toute ma vie à Portsmouth, j'y ai travaillé toute ma vie, et maintenant on me dit que je dois encore attendre 6 ans avant de toucher ma retraite." "Alors qu'à eux, on leur offre tout sans qu'ils aient donné un penny (à ce pays)", glisse-elle.
A sa gauche, Pam surenchérit : "A côté de chez moi, j'ai vu la mairie donner deux maisons à des musulmans, deux petites maisons voisines…" Elle laisse sa phrase en suspens, yeux écarquillés, la tête qui s'agite de haut en bas pour appuyer ses dires. Sur le siège voisin, Lorraine reprend. "Tu te souviens m'man, quand ton père disait 's'ils font ce tunnel (sous la Manche) ça s'ra que des problèmes', qu'il disait." Quasi sourde, "M'man" Joyce entend finalement assez pour confirmer qu'"avant les immigrants faisaient la queue pour trouver du travail, quand maintenant ils ne font que récupérer les aides."
Leur copine Dawn, plus remontée encore, leur souffle des infos en vrac : "55 millions de livres sont données chaque jour à l'Union européenne, et nous, on ne peut pas payer pour nos hôpitaux, nos écoles…" Depuis que l'entreprise de chimie pour laquelle elle travaillait a fermé, elle est femme de ménage. "J'ai un diplôme, et je suis femme de ménage…", répète la presque sexagénaire, songeuse. Elle aussi a vu l'âge de sa retraite à taux plein reculer de sept ans. Comme elle, Lorraine, qui "n'a jamais réellement voté auparavant", va le faire cette année. Pour Ukip. "On a laissé cette ville mourir", regrette-t-elle en mâchonnant un chewing-gum. Elle ne laissera pas le pays "qui en a vu assez comme ça".
Paul et Richard : "personne ne sait vraiment combien de gens débarquent par jour"
"C'est la première fois de ma vie que participe à un évènement politique", sourit Paul "un vrai joli nom anglais", 73 ans, presque étonné par son audace. Mais qui s'est tout de même assis pas trop loin de la porte de sortie. "Je pense qu'il faut qu'on reprenne le contrôle de l'immigration", explique-t-il avant de blaguer : "Vous en France vous n'avez pas ce genre de problème, vous nous les envoyez tous!"
"Je ne suis pas raciste, ça pour sûr", poursuit le retraité du secteur informatique, la moustache poivre et sel qui danse sur son sourire. "Mais il y a beaucoup trop d'immigrants dans ce pays, on ne peut même plus avoir rendez-vous chez le médecin ni même mettre nos enfants à l'école." Quand à l'Union européenne, il "n'en pense pas grand chose". D'ailleurs, Paul n'est "pas un grand fan des Droits de l'Homme, qui ne profitent qu'aux criminels et jamais aux victimes".
De dix ans son aîné, Richard, son voisin, est lui un habitué des manifestations politiques. Il a été syndicaliste. "Je votais uniquement pour les travaillistes jusqu'à ma retraite où j'ai opté pour les conservateurs", détaille l'ancien technicien de télévision qui cette fois va voter Ukip. "C'est Mr Farage qui m'a amené ici ce soir car c'est le seul en mesure de secouer ce gouvernement", assure-t-il. "Il se passe trop de choses dans ce pays, l'immigration n'est pas contrôlée du tout, personne ne sait vraiment combien de gens par jour débarquent dans ce pays." Et d'ajouter : "Nous sommes le deuxième plus grand contributeur à l'aide internationale alors que tellement de gens luttent pour survivre ici." Ce n'est pas son cas. Quoique, à la réflexion, il se sent "à la limite".
Benjamin et David : "Nigel Farage est vraiment excellent"
Il n'a encore jamais voté. Benjamin, 20 ans, est venu par curiosité. Timide, l'étudiant en électronique, qui flotte dans sa veste en tweed, est intéressé par Ukip parce que "les politiciens actuels, qui viennent de familles bien établies ne peuvent pas comprendre les problèmes des gens du peuple qui ne sont pas soutenus par des parents multi-millionnaires".
Issu "d'une famille moyenne de Clifford", Benjamin est aussi séduit par le "franc-parler" de Ukip, "admirable quand on voit que les trois autres principaux partis dansent autour de quelques sujets en essayant de ne pas fâcher l'électeur". L'immigration aussi le préoccupe. "Il n'est pas contre, mais seulement pour ceux qui cherchent une vie meilleure en travaillant, pas pour ceux qui vivent de la charité des contribuables."
Néanmoins, Benjamin tient à préciser. S'il va bien finir par voter Ukip, il "ne veut pas qu'ils aient aucun pouvoir réel". "Ce parti est construit autour du succès d'un seul homme, Nigel Farage", explique celui qui souhaite seulement "qu'ils puissent avoir leur mot à dire dans la manière dont le Royaume-Uni est gouverné."
Pour son pote de fac David le choix est fait, il va "rester conservateur". "Tout ce discours est très théorique, on ne voit pas bien comment ils vont appliquer tout ça", justifie-t-il. Mais il le reconnaît volontiers, Nigel Farage est "vraiment excellent".