Le blog Trans'Europe Extrêmes se rend pendant la campagne des élections européennes dans cinq pays où les mouvements populistes et eurosceptiques sont en plein essor. Après la Finlande, le Royaume-Uni et l'Allemagne, quatrième étape : l'Italie. Le but principal du voyage est de suivre la campagne de la Ligue du Nord, partenaire du Front national à Bruxelles et largement europhobe. Mais j'ai aussi choisi de faire un détour par le meeting de Beppe Grillo, leader du Movimiento 5 Stelle (Mouvement 5 Etoiles). Plutôt classé à gauche, le M5S surfe sur une vague "anti-système" fortement eurosceptique et grignote des voix à ses rivaux d'extrême-droite.
La sono a commencé à grésiller à 20 heures précises, sur la place Porta Nueva de Bergame dominée par la vieille ville. Une heure plus tard, une foule débordant jusqu'au trottoir accueillait Beppe Grillo, la révélation des législatives italiennes de février 2013. Déjà convaincus ou juste intrigués, militants et passants sont surtout venus voir un phénomène politique et médiatique. Rencontre avec un député du parti et plusieurs sympathisants.
"Il faut changer de paradigme économique, politique et social"
"Bon, vous ne faites pas de blague", entame Claudio, 33 ans, et député du Mouvement à Rome, qui accuse les journalistes italiens de "faire n'importe quoi". Collé au programme 5 Etoiles, il dénonce "l'Europe des banquiers", chiffres à l'appui : "50% des lois italiennes viennent de l'Union européenne et 80% d'entre elles sont économiques."
"Il faut changer de paradigme économique, politique et social", résume-t-il avant de décliner les sept propositions du parti : l'adoption des eurobonds, l'abolition du pacte de stabilité, "impossible à respecter", l'alliance avec les autres pays méditerranéens pour une économie locale... Et le dernier point, l'organisation, en cas d'impossibilité d'appliquer les premières mesures, d'un référendum sur la sortie de l'euro.
Dessinateur industriel, "fils d'ouvrier", il assure avoir suivi les spectacles de Beppe Grillo avant même qu'il ne soit connu. Puis il s'est impliqué dans la première forme de son mouvement, les "meet up", sorte de cercles d'action locale organisé par municipalités, avant de devenir candidat "poussé par les gens qui trouvaient que j'avais fait du bon boulot". "Je n'ai pas eu de piston, si ça c'est pas formidable", s'anime le trentenaire.
Il fustige au passage la Ligue du Nord "qui raconte des grosses conneries, ils ont gouverné avec Berlusconi pendant 11 ans sans rien faire pour sortir de l'euro". Objectif pour le 25 mai ? "Faire une Europe un peu plus solidaire". Mais en résultat ? "Une voix de plus que le Parti démocrate." Il faut lui arracher : "Arriver premier, décrocher 30 à 35 eurodéputés."
"Ça a été un phénomène mais ça n'a rien donné de concret"
Ils sont au bord de la place mais restent en retrait. Stefano et Barbara "sont venus en curieux". Le couple "veut voir ce que ça donne vraiment, parce qu'à la télé, on entend juste des petits extraits". "Il faut tout écouter pour se faire une opinion", lance-t-il en français dans un sourire.
Mais le quasi-quinquagénaire, commissaire aux comptes, le reconnaît, il "est assez éloigné des idées du mouvement." Barbara, femme au foyer, acquiesce : "On vote Parti démocrate et on votera à gauche pour les européennes comme pour les municipales." Pour l'instant, le couple est dubitatif: "ça a été un phénomène l'an dernier mais ça n'a rien donné de concret", explique Stefano qui regrette que Beppe Grillo "ne fasse que critiquer sans proposer". Mais ils n'excluent pas de découvrir quelques bonnes idées dans le discours.
"Tout ce qu'ils disent est vrai"
Pas passionnés par l'introduction du meeting, Valeriano et Cusenza, 46 et 53 ans, discutent à une vingtaine de mètres de la scène. S'ils sont là ce soir, c'est parce que "Beppe Grillo, c'est le moins mauvais qu'on puisse trouver en ce moment en Italie". Respectivement employé d'une société autoroutière et mécanicien, tous deux ont voté pour le Mouvement 5 Etoiles aux législatives l'an dernier. "Tout ce qu'ils disent est vrai", explique Valeriano qui avertit "mais ils peuvent devenir dangereux." "Grillo dit beaucoup de vérités mais on n'est pas sûrs de ce qu'il ferait s'il arrivait au pouvoir, on n'a aucune certitude qu'il puisse vraiment changer les choses", abonde Cusenza.
Avant, ils ont "un peu voté pour tout le monde" : Berlusconi, parti démocrate, ou encore le centriste Pier Ferdinando Casini. Mais ce Mouvement 5 Etoiles, Cusenza "a l'impression que c'est un parti honnête". "On ne peut pas faire confiance aux politiques dans ce pays", se désespère Valeriano mains jointes qui s'agitent de haut en bas. Seul point dont ils sont sûrs : "L'Europe est erronée en ce moment", explique le mécanicien.
"Ils sont honnêtes et c'est la seule chose qui compte"
A 19 ans, ils vont voter pour la première fois. Le menton tendu vers la scène, Debora, Laura, Alessandro, et Stefania, une bouteille d'eau et une écharpe dans le casque de scooter qui lui pend au bras, "sont venus voir un peu, pour s'intéresser à la politique". "On ne les a vus qu'à la télé, je voudrais savoir ce qu'ils pensent", explique Debora. "Ils sont honnêtes et c'est la seule chose qui compte", l'interrompt Alessandro, qui va voter pour le Mouvement 5 Etoiles aux européennes, comme son père, et contre l'avis de sa mère, méfiante sur ce qui "passe à la télé". L'étudiant veut "une vraie communauté européenne".
Stefania, elle, est perdue. "Tout le monde dit la même chose, ce n'est pas facile de savoir qui va vraiment faire ce qu'ils disent", se justifie la jeune fille. "Ce qui est sûr, c'est qu'on votera pas pour la Ligue du Nord", coupe Alessandro : "Il faut être illettré pour faire ça, ça fait dix ans qu'ils sont au Parlement européen et ils n'ont rien fait."
"Un futur sain pour les autres générations"
Plus que "super méfiante", elle demande à relire ses propos et n'accepte de se faire prendre en photo que parce que sa camarade est d'accord pour poser avec elle. "Et j'espère qu'en faisant ça je fais le bien du mouvement", insiste Isabela. Emmitoufflée dans une doudoune rouge comme Beppe Grillo, elle acclame toutes les sorties du leader 5 Etoiles et complète presque toutes ses phrases, postée du côté "staff" de la barrière qui entoure la scène.
Elle est 26e sur 31 sur la liste du parti aux municipales à Bergame. Comme Claudio le député, Isabela "a commencé à suivre Beppe Grillo il y a 25 ans", "quand il s'est fait virer de la RAI". "Tout ce qu'il disait était vrai mais personne ne l'écoutait", affirme cette femme au foyer. "J'ai toujours été attentive aux questions de consommation, d'énergie, et je me suis engagée spontanément au Meet up de ma ville", raconte-t-elle encore. Et de déclarer, "je veux un futur sain pour les autres générations", "je suis grand-mère, ce n'est pas pour moi que je me suis engagée".
Si ce n'est pour le Mouvement 5 Etoiles, Isabela "aurait arrêté de voter", toute "écoeurée" qu'elle était par les politiques et particulièrement par Berlusconi. Aujourd'hui, elle "espère que le mouvement ira porter en Europe la voix des personnes en difficulté".