La Ligue du Nord voit "d'un côté la Merkel, de l'autre les petits qui ne lâchent rien"

Matteo Salvini (au C et les sympathisants de la Ligue du Nord, le 13 mai 2014 à Monfalcone.

"Ouh là, nooon ! Il faut qu'on y aille, on va encore être en retard." Un iPad sous le bras, Julio, assistant de Matteo Salvini au Parlement européen, regarde avec angoisse le chef de file de la Ligue du Nord se laisser embarquer dans la mairie de Marano Lagunare. L'édile local, également membre du parti régionaliste et eurosceptique, accompagne le candidat aux européennes de bureau en bureau, jusqu'à lui coller sous le nez une photo de la vue d'ensemble du village, blotti dans un coin de la côte adriatique.

Julio trépigne : la délégation du parti a réussi à descendre et remonter la rue principale du marché en six minutes top chrono pour ce premier rendez-vous de la journée, ce n'est pas le moment de lambiner. Il pousse "Matteo" vers la voiture. "C'est pour qui, les fleurs?", lance la tête de liste dans la 5e circonscription italienne à l'attention de deux petits retraités qui regagnent leur véhicule à côté. "La mama !" "Parfait, embrassez-la pour moi", poursuit le candidat tout en prenant par les épaules une policière municipale qui réclame une photo.

SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO

"C'est pas avec des 'Vaffanculo' qu'on paie les factures"

Avec 8 étapes quotidiennes sur douze jours, le planning du Basta euro Tour  ("l'euro, ça suffit!"), la campagne de la Ligue du Nord pour les élections européennes, et municipales dans certaines villes, est des plus serrées. La veille, à Padoue, l'arrêt prévu sur la place Giuseppe Mazzini a sauté. Les sympathisants ont vu apparaître quelques minutes le camping-car et la Fiat 500 à l'effigie de Matteo Salvini, bras croisés et menton décidé à côté du slogan. Avant d'être réorientés vers une pizzeria de la sortie de la ville, lieu du rendez-vous suivant avec le candidat aux municipales.

"Vous parlez au futur maire de Padoue. Ici, la gauche a prouvé qu'elle ne pouvait rien, c'est l'heure du changement", explique Matteo Salvini, en sweat à capuche, mains dans les poches de son jean, à la presse locale. "Dégradation, délinquance, immigration, nous, on a la réponse", assène-t-il tandis que ledit candidat fait lui-même les essais micro.

"Au début de la campagne, ils disaient qu'on n'allait rien faire, mais regardez les sondages qui montent", se satisfait Matteo Salvini, planté face à une quarantaine de militants qui n'ont pas hésité à attaquer les gressins et les pichets de rouge. Et de mentionner le message d'un collaborateur "du Sud, même pas du Nord", à court de formulaires d'adhésion. "L'an dernier, les gens ont voté pour Grillo (révélation des législatives) en disant 'les autres, vaffanculo!'", poursuit le candidat qui égratigne en priorité cet adversaire, concurrent de son parti sur le terrain de l'euroscepticisme"Mais ils ont vu que ce n'était pas avec des 'vaffanculo' qu'on paie les factures et ils reviennent."

"Très peu de gens ont gagné beaucoup, et beaucoup ont tout perdu"

En dix minutes, il gonfle les troupes : "Y 'a d'un coté les banques, la Merkel, et de l'autre les petits qui se battent et qui ne lâchent rien." Il en a "marre de voir des gens au chômage, marre de voir des gens qui ne peuvent pas se marier à 40 ans car ils n'ont pas d'agent, qui ne peuvent pas faire d'enfant car ils n'ont pas de boulot". Et de glisser au passage "un enfant, c'est un papa et une maman, rien d'autre", très applaudi.

Une heure et 100 km plus tard, la charge reprend tous azimuts devant les quelque 200 personnes assises sous les néons du Petit Théatre Dante de Vittorio Veneto. "Moi, je vais voir les gens qui travaillent tandis que le Renzi (le Premier ministre) va boire des cafés dans les centres historiques", lance-t-il. "J'ai vu beaucoup d'entreprises avec des panneaux 'à vendre', est-ce qu'on n'est plus capables de fabriquer des fringues ? Des meubles ? Non ! Il y a quelque chose qui ne marche pas", assène Salvini, qui prône la sortie de la monnaie unique. Et de marteler : "Très peu de gens ont gagné beaucoup avec l'euro, quand beaucoup ont tout perdu." 

"Le 25, on est d'un côté ou de l'autre, blanc ou noir, le passé ou le futur"

Avant de s'attaquer à l'immigration. "Nous, on est bon, on est gentil, mais il ne faut pas être con non plus ! Avec quatre millions de chômeurs, on ne peut plus accueillir personne", plaide Salvini. "La semaine passée, en Sicile, où les bateaux de la mafia amènent les clandestins par centaines, des mères m'ont dit qu'elles n'emmenaient plus les enfants au parc de peur qu'ils attrapent des maladies", affirme-t-il.

Matteo Salvini (debout) à Vittorio Veneto le 12 mai 2014.

Matteo Salvini (debout) à Vittorio Veneto le 12 mai 2014.

Hausse de la Ligue dans les sondages, anecdote sur les bulletins d'adhésion manquants dans le Sud, argument massue de l'alliance de son parti avec Marine Le Pen pour peser à Bruxelles, puis Matteo Salvini supplie les militants d'aller frapper à toutes les portes pour convaincre. "Le 25, on est d'un côté ou de l'autre, blanc ou noir, le passé ou le futur, on change de rail ou on se prend le mur." Et de promettre : "On va jusqu'au 25 en apnée, le 26 on dort, le 27 on fait la fête et le 28 on prépare l'attaque, l'assaut. Après, c'est nous qui allons nous amuser, leur faire peur, les autres auront besoin de monter sur des bateaux..." 

"Travail, retraite, qualité de la vie, si vous avez besoin de ça, je suis là"

Une poignée d'heures de sommeil plus tard, Matteo Salvini déboule à Monfalcone. Il a juste troqué son sweat revendiquant l'indépendance du Veneto pour un tee-shirt Basta euro, plus passe-partout maintenant qu'il a changé de province.

Devant une soixantaine de militants grisonnants, le discours de la veille est condensé mais identique. Entre l'échec de l'euro et les déçus de Beppe Grillo, Matteo Salvini fait applaudir Marine Le Pen, et charge la loi Fornero sur l'emploi, accusée d'avoir privé 300 000 personnes de retraite. La Ligue du Nord réclame d'ailleurs un référendum pour son abrogation. "Le travail, la retraite, la qualité de la vie, si vous avez besoin de ça, je suis là !", résume-t-il. Et de tenter de monter dans le camping-car, sans cesse retenu par "une dernière photo".

En direct sur la radio du parti

A l'intérieur, Matteo Salivini, iPad sur les genoux, smartphone quasi-greffé à la main gauche, profite du trajet pour poster des photos du tour sur sa page Facebook. Au volant, Alessandro, normalement responsable de la radio du parti mais seul des membres de la Ligue du Nord à savoir conduire un camping-car, lui indique les rendez-vous avec les auditeurs. "Il répond aux questions sans filtre entre chaque étape", m'assure le presque quadragénaire tout sourire, qui profite d'un feu rouge pour tendre une casquette Ligue du Nord à un papy dont la bicyclette est arrêtée à sa hauteur.

Julio (G) et Marco dans la caravane du Basta Euro Tour de la Ligue du Nord, le 13 mai 2014.

Julio (G) et Marco dans la caravane du Basta Euro Tour de la Ligue du Nord, le 13 mai 2014.

Abolition de la loi Fornero, réintroduction du crime de clandestinité, régulation et légalisation de la prostitution, suppression des préfectures, le patron de la Liga décline par téléphone son programme au fil des questions des auditeurs de Padania Libera. "Donne-moi le livret sur l'euro, vite", souffle-t-il à Julio, son assistant, sentant venir une question monnaie unique. L'ancien comptable dans un cabinet d'audit international se jette à l'arrière du camping-car et sort le fascicule d'un carton coincé entre les valises entrouvertes posées sur le lit double. A temps, pour que Salvini lise les citations de prix Nobel dubitatifs quant à la monnaie unique.

Quelques minutes après, c'est Marco qui brandit son portable, avec la liste des étapes, pour permettre à Salvini de donner rendez-vous pour un apéro place untel. Branché sur la multiprise, le journaliste responsable de la web télé visionne les images des étapes du matin. Plusieurs fois par jour, il les met en ligne grâce au PC portable dont le code d'accès commence par B4st43ur0, selon le post-it.

"C'est la Ligue du Nord qui va sauver le pays"

Arrivé à Trieste, Salvini raccroche, se jette hors du véhicule pour une conférence de presse au siège de la section locale du parti. S'appuyant sur un article du Corriere della Sera vu sur sa tablette, il interpelle Matteo Renzi, qui a "promis à un petit Mohamed qu'il serait italien à la fin de sa scolarité" lors d'un déplacement dans une école. "Mais il devrait parler aux enfants des 'esodati' (les victimes de la loi Fornero) pour leur dire quand est-ce que son papa retrouvera du boulot dans un pays normal."

Matteo Salvini et une militante de son parti à Trieste, le 13 mai 2014.

Matteo Salvini et une militante de son parti à Trieste, le 13 mai 2014.

"Ce ne sont pas eux (Renzi, Grillo, le ministre de l'Intérieur Alfano) qui vont sauver le pays, c'est nous, c'est la Ligue du Nord", assure-t-il. "Matteo", le député local et une poignée de militants marchent en ordre dispersé jusqu'au conseil général pour "dénoncer le droit du sol", "que veulent mettre en place les autres partis et qui favoriserait les enfants d'immigrés". A côté du camion publicitaire "Non à l'invasion", le camping-car est déjà positionné.

Encore deux étapes avant que le candidat prenne l'avion pour Rome. "On a annulé la fin de la journée, car il est invité à la télévision, 2 millions de téléspectateurs, on a vite fait le choix", justifie son assistant, qui tend des briquets du parti aux sympathisants avant de sonner la dispersion.

Publié par Souriez vous êtes soignés / Catégories : Italie