"Notre parti est celui avec lequel les gens osent le plus parler de leur vie quotidienne", confie Maria Lohela, candidate sur la liste Perussuomalaiset (les "Vrais Finlandais") aux élections européennes. A quelques minutes d'une réunion publique dans un dépôt-vente d'un quartier modeste de la banlieue d'Helsinki, la députée de 35 ans précise : "Nous ne sommes pas très policés, parfois nous sommes durs, en tout cas, nous ne sommes pas sophistiqués." Pourtant, blonde platine à la voix douce et au regard attentif, petits diamants aux oreilles, elle a meilleure réputation que certains de ses collègues bruts de décoffrage, coutumiers des sorties outrancières.
"Ne posons pas les gants"
Entre des vieux CD de variété vendus un euro, des chaussons pour bébés tricotés maison et des robes de soirées qui ont vu danser des générations, elle entame la réunion : "Je suis très proche de Timo Soini [le leader charismatique du parti], chaque fois que je suis à ses côtés j'en apprends quelque chose." Elle passe une vingtaine de minutes à détailler, pour les 11 personnes de l'assistance assises autour de petites tables rondes, la situation "particulière" de la Finlande tant au plan géographique, linguistique, que climatologique. "Si nous les Finlandais ne nous occupons pas de nos affaires, personne ne va s'en soucier", poursuit-elle. Et de lancer la discussion avec cette requête : "Ne posons pas les gants" – symbole local du travail.
La première question ne tarde pas, sous forme de coup de gueule d'un retraité qui s'indigne du montant de sa pension. "On va finir mendiants alors qu'on a payé toute notre vie, le système va dans la merde, il déraille complètement, tout le monde se gave", s'insurge-t-il en tapant son poing gauche dans sa paume droite. Toujours debout appuyée au dossier d'une chaise, Maria Lohela avance que les "Vrais Finlandais" ont voté contre les augmentations des députés au Parlement. "Nous ne sommes que dans l'opposition, nous ne pouvons pas grand chose", tente-t-elle. Et de rassurer : "On est en train de construire la force du parti pour conquérir le pouvoir." "Des promesses, toujours des promesses et des discours vides", s'agace un autre qui n'a pas quitté son blouson de cuir malgré l'atmosphère chaleureuse du centre. Son voisin fixe le fond de son gobelet en savourant chaque mot.
"Il ira pantoufler à l'UE comme les autres"
Elle enchaîne, évoque le "budget qui n'est pas fait démocratiquement puisque le gouvernement fait sortir les députés pour faire sa tambouille". La conversation glisse sur le Premier ministre qui a récemment annoncé sa probable démission en juin. "Il s'est enfin regardé dans le miroir, il n'a pas de quoi être fier de lui", lance un participant arrachant quelques sourires. "Mais il ira pantoufler à l'UE comme les autres", marmonne le blouson en cuir, mains dans les poches. Et de citer l'exemple d'Erkki Liikanen, ancien ministre des Finances, "planqué à Bruxelles le temps de la crise il y a 20 ans et revenu par la fenêtre pour devenir gouverneur de la Banque de Finlande".
Il y a celui qui pense que la Finlande est pillée par l'industrie forestière et son voisin qui trouve que l'énergie nucléaire, "une énergie de guerre", consomme plus d'énergie qu'elle en produit, ce qui agace un troisième qui a réduit son gobelet en carton à l'état de confettis et qui pense que seul le nucléaire peut assurer l'indépendance énergétique du pays. Le retraité indigné lève la main pour prévenir "la troisième guerre mondiale frappe à la porte avec la situation en Ukraine", mais Maria Lohela n'est "pas là pour affoler le peuple". "Les Nations unies sont impuissantes, édentées", insiste un autre. La candidate en profite pour recaser que son parti est contre l'intégration de la Finlande à l'Otan, caressant dans le sens du poil l'attachement des Finlandais à leur position de "non-alignés" militaires, notamment défendue durant la Guerre froide.
"Faire fleurir des talents de chacun"
Pendant que certains vont reprendre une part de roulé double crème pâtissière et un gobelet opérationnel, une des deux seules femmes présentes enchaîne sur l'éducation, incapable d'accompagner nombre d'enfants finlandais qui "tombent de la charrette" et se retrouvent totalement isolés.
"Nous devons tous nous serrer les coudes, chaque enfant est comme une graine qu'il faut faire pousser. Il faut faire fleurir les talents de chacun", réplique une Maria Lohela soudainement bucolique.
"Mais au niveau du primaire, du collège ou même avant ?"
"Les professeurs devraient faire attention au cas par cas", botte en touche la candidate.
Peine perdue, la deuxième femme de l'assemblée raconte dans le détail l'histoire de sa fille, orientée en section professionnelle "pour une erreur de calcul de sa moyenne sur son bulletin". D'abord compatissante, Maria Lohela finit par lâcher qu'il "y a quand même de très bonnes écoles, même si les niveaux sont différents, et puis l'école n'est pas Dieu, elle ne fait pas de miracles". Une heure et demie de réunion plus tard, la dernière question est lancée par Heiki, qui voudrait voir le nombre de parlementaires divisés par deux.
"Si on fait ça des gens comme moi, née d'un père grutier au chômage et d'une mère infirmière ne pourront jamais être élus", explique Maria Lohela qui pour une fois martèle ses mots : "J'affirme, absolument, qu'il faut maintenir le nombre de députés." Et de conclure la soirée sur ce vœu : "Que la Finlande soit un pays de méritocratie où chacun réussisse selon ses propres capacités."
Alors que les volontaires embarquent les restes du buffet, je relance le sujet de l'Europe, si peu présente dans ce meeting à quelques semaines des élections. Teemu, consultant dans l'énergie est catégorique : il faut diminuer le poids de l'administration de Bruxelles tandis que Heiki, retraité ingénieur a rejoint le parti en 2011 après 40 ans de vote "Kokkoomus" (libéraux conservateurs actuellement au pouvoir) pour "arrêter d'urgence le fédéralisme de l'Union". A l'opposé de la pyramide d'âge, Toni, 20 ans, étudiant en sciences politiques, adhère aux "Vrais Finlandais" "pour son eurocepticisme et sa critique de l'immigration". Sa plus grande peur : "Que l'Etat Providence finlandais, qui veut que de la naissance à la mort, un Finlandais n'ait aucun problème matériel, ne soit dissout dans le fédéralisme européen."