Les prochaines élections législatives se feront sans proportionnelle. Ni avec une "dose" ni en intégralité ! Le thème de la proportionnelle aux élections législatives revient assez régulièrement dans le débat, tantôt comme un épouvantail, tantôt comme un paravant. François Hollande et Nicolas Sarkozy se sont tous les deux prononcés en faveur d'une "dose de proportionnelle" pour désigner les députés... mais aucun des deux n'a entamé la moindre procédure législative pour y parvenir.
En 2007 déjà, Sarkozy s'était engagé, en cas de victoire, "à réunir toutes les forces politiques et à discuter avec elles de la possibilité d'introduire un peu de proportionnelle au Sénat ou à l'Assemblée nationale sans créer le risque d'une instabilité qui serait désastreuse". C'était entre les deux tours de la présidentielle. Il s'agissait surtout, alors, d'amadouer l'électorat centriste : François Bayrou avait obtenu 18,6% au premier tour. Côté extrême droite, le futur président avait déjà siphonné en partie le réservoir de Le Pen père (10,4%).
La victoire en poche, la proposition est restée lettre morte pendant la quinquennat. Il faut dire que la proportionnelle, à petite dose ou à grosse louche, n'est pas le plat préféré des gaullistes. Elle était tellement associée à l'instabilité de la IVe République pour le fondateur de la Ve - et pour un certain nombre de constitutionnalistes - qu'elle n'avait guère de chance de séduire sa famille politique et ceux qui s'en réclament.
Corriger à la marge le mode de scrutin majoritaire
Qu'à cela ne tienne, la proposition était revenue sur la table lors de la présidentielle de 2012. Cette fois, le président sortant n'avait pas attendu l'entre-deux-tours pour la reservir. Dès sa première réunion publique, le 19 février à Marseille, il avait rappelé son attachement au scrutin uninominal à deux tours, en ajoutant : "Il me semble qu'on pourrait corriger à la marge ce mode de scrutin pour que tous les grands courants politiques puissent avoir des parlementaires".
Au fil de la campagne, il avait précisé sa proposition : la proportionnelle devait concerner 10% des députés élus à l'Assemblée et elle s'accompagnait d'une diminution du nombre de ces députés qui sont actuellement au nombre de 577. Las ! Une fois de plus, elle n'a pu être mise en application car Sarkozy a été battu. Heureusement, une proposition quasi-identique - la 48e de son projet - était défendue par Hollande : "J’introduirai une part de proportionnelle à l’Assemblée", écrivait alors le candidat socialiste. Elle n'a pas vu le jour... et ce jour ne semble pas très proche.
La proportionnelle pose moins de problème à gauche qu'à droite où elle est surtout un facteur de division. Quand Sarkozy l'avait relancée en 2012 (en précisant qu'elle ne serait pas appliquée aux législatives post-présidentielles de la même année), il avait contre lui le secrétaire général de l'UMP de l'époque, Jean-François Copé. Et celui-ci n'était pas seul à s'y opposer, à droite. A gauche, la proportionnelle a plus un caractère génétique. Au point que Mitterrand est le seul président de la Ve République à l'avoir rétablie pour les législatives de 1986.
La loi de 1982 a fait naître l'opposition municipale
Il est vrai, en la circonstance, que c'était plus pour des raisons tactiques que par conviction politique. Le chef de l'Etat savait que cette consultation allait se traduire par une défaite sévère pour la gauche avec le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Le meilleur moyen pour amortir le choc était donc de passer à un scrutin proportionnel départemental de liste. C'était aussi la façon la plus assurée de ne fournir aucune majorité stable et cohérente... à la droite. Ce qui fut fait. Aucun groupe n'eût la majorité absolue et 35 députés du Front national siègèrent dans l'hémicycle jusqu'en 1988.
Il se trouve que la proportionnelle peut aussi avoir des vertus. En l'introduisant aux élections municipales dans les communes de plus de 3.500 habitants par une loi de novembre 1982, la gauche (alors au pouvoir) avait permis l'émergence d'une opposition dans les assemblées locales d'où elle était totalement exclue depuis le début des années 1960. En l'espèce, le mode de scrutin est tel qu'en toutes circonstances il assure la mise en place d'une majorité qui, sauf défections massives, est garante de stabilité pendant la mandature.
Droite et gauche paraîssent s'accorder pour dire qu'on ne change pas un mode de scrutin à un an ou moins d'une consultation. En l'occurrence, ce sont les législatives de 2017 qui sont visées. En clair, il ne reste plus que l'année 2015 si jamais l'exécutif a encore des vélléités de vouloir s'attaquer à ce dossier qui est une Arlésienne des annonces politiques de la dernière décennie. Mais le premier ministre a déjà dit son opposition à un tel changement. A droite, Sarkozy n'en parle plus tandis que Juppé et Fillon sont fermement contre.
Le débat sur les alliances est en toile de fond
Le débat autour de la proportionnelle ou sur "la dose de proportionnelle" a évidemment un caractère éminemment politique... et circonstanciel. Il remonte à la surface quand un courant ou un parti prend de l'importance sur l'échiquier sans pour autant parvenir à obtenir, avec le système majoritaire, une représentation - un nombre de députés - à la hauteur de l'audience qu'il a dans le pays. Ceci est le résultat d'une arithmétique simple : ce courant ou ce parti ne fait partie d'aucune alliance. Ni à droite ni à gauche.
La question se pose moins pour le centre que pour l'extrême droite. Naturellement, les centristes se trouvent fréquemment dans un système d'alliance avec la droite, même si localement ou épisodiquement ils se retrouvent dans des coalitions de gauche. Pour le Front national, la problématique a jusqu'ici été différente car les responsables de droite, à de rares exceptions près, se sont toujours refusés à "pactiser" avec lui sur le plan national. Alors même qu'une partie de leur électorat, selon les sondages, n'y semble pas hostile.
Avec la percée électorale du FN en 2014 aux municipales,aux européennes et dans une moindre mesure aux sénatoriales, la donne n'est plus exactement la même. Le recul du PS, pour ne pas dire son effondrement dans certaines législatives partielles, a placé l'extrême droite en deuxième position derrière la droite avec pour corollaire l'élimination du candidat socialiste. A ce rythme, la "dose de proportionnelle" qui était justement avancée, à droite et à gauche, pour faire une place non encombrante à l'extrême droite, finira peut-être par ne plus avoir de raison d'être !