On avait adoré le précédent album de Jean-Marc Rochette, Ailefroide. On a de nouveau craqué pour sa nouvelle histoire en altitude, Le Loup. Sur le fond, les deux livres n'ont pas grand chose à voir. Un récit initiatique d'une part, une fable sauvage de l'autre. Mais dans les deux cas, la puissance de l'histoire fait mouche.
Ça parle de quoi ?
"La prochaine fois, Claude, parc national ou pas, je lui mets une cartouche au loup." Dans sa maisonnette nichée en plein parc des Écrins, le berger Gaspard, du genre bougon et la casquette kaki vissée sur le crâne, s'occupe de son troupeau de moutons. Max, son chien, est de loin la compagnie qu'il préfère. Pas trop le genre à redescendre pendant l'hiver dans la vallée. Pas trop le genre à apprécier outre mesure la fréquentation de ses semblables depuis la mort de son fils, soldat, au Mali. Dans ce cadre grandiose, il n'a que son fusil pour se défendre contre la menace invisible, le loup. Dont la protection, décidée dans les bureaux parisiens des ministères, ne semble guère l'émouvoir.
Un prédateur qui attaque un troupeau, ce n'est pas qu'une question tranchée par une circulaire ou un projet de loi, mais une histoire de territoire, de domination, d'instinct et de tripes. Mais quand le fils de la louve recroise le berger qui a tué sa mère, tout se joue dans le regard. Et le vieux Gaspard, à qui l'auteur a donné ses traits, est pris de pitié : "toi, t'es trop jeune pour mourir. On réglera ça plus tard. Entre adultes.". Une décision qu'il pourrait bien regretter.
Pourquoi on adore
Un cadre magnifique, une poignée d'hommes, des dialogues rares, et la menace qui rôde. Difficile de ne pas penser au magnifique film de Jean-Jacques Annaud, L'Ours, à la lecture des pages du livre. L'album d'un Jean-Marc Rochette, merveilleux conteur de la montagne comme on avait déjà pu le voir dans Ailefroide, s'élève à ce niveau d'excellence. Vous allez vous surprendre à passer plus de temps sur les planches muettes que sur celles où le berger dialogue ou soliloque. Vous allez vous retrouver plongés dans les merveilleuses ambiances de nuit de la coloriste Isabelle Merlet. Et quand le récit glisse doucement vers la fable, vous serez toujours portés dans l'histoire. Un album à lire au calme, sans bruit parasite, pour mieux écouter la montagne et profiter du souffle de l'album.
C'est pour vous si...
... vous ne voulez pas louper un des deux meilleurs albums sortis ce premier semestre (l'autre étant Révolution, dont on vous a parlé il y a quelques mois). Si la montagne vous évoque plus Ailefroide que Les Bronzés font du ski. Si vous trouvez que les débats sur la présence du loup dans les massifs montagneux vus de Paris ont quelque chose de tronqué. Si vous aimez les BD qui prennent aux tripes, faites dans une certaine urgence (en quatre mois selon l'auteur) avec une approche graphique radicale qui va à l'essentiel.
Le Loup de Jean-Marc Rochette avec les couleurs d'Isabelle Merlet, éd. Casterman, 112 pages, 18 euros. Et si vous êtes dans la région de Grenoble, les originaux de l'album sont visibles au Musée de l'ancien Évêché jusqu'au 22 septembre. A noter que Jean-Marc Rochette a sorti en même temps Transperceneige Extinctions, un prequel à sa série-phare, Transperceneige, qui propose une autre réflexion écologique d'actualité.